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Festival du film de Vendôme (5-12 décembre 2014)

Vendôme 2014

Dans un cinéma appelé Le Minotaure, Vendôme accueille tous les ans un festival. Celui-ci dure une semaine mais les films en compétition sont regroupés sur deux jours. Voir autant de films en si peu de temps, c’est faire concrètement l’expérience de la différence et de la répétition : les films sont d’inspirations et de styles variés, et pourtant de similitudes thématiques et formelles se dessinent. L’omniprésence de la musique, par exemple, et de son corollaire, la danse, comme seul horizon existentiel possible. La “compétition nationale” de Vendôme est découpée en six sessions de trois-quatre courts ou moyens métrages, dont voici le compte-rendu.

Compétition Nationale 1

Ennui ennui, de Gabriel Abrantes

L’enlèvement d’une fausse princesse nomade par un apprenti seigneur de guerre afghan. La rapidité et l’incongruité sont les deux moteurs qui permettent à cette comédie de rouler des mécaniques. L’humour d’Abrantes fonctionne par un système bête et méchant d’associations d’idées - carrotes, bananes, cornes de gazelle - qui va si loin si vite qu’il fait passer les gags les plus douteux. Et il y en a en quantité : Ennui ennui juxtapose à l’infini, dans un clin d’oeil perpétuel qui n’échappe pas à une certaine vulgarité.

PS : aussi vu à Brive par Camille Brunel, lire son avis ICI.

Animal Serenade, de Béryl Peillard

Nina, une jeune maman qui aime un peu trop le rosé, adopte un berger allemand appelé Jojo. Parmi tous les lieux communs naturalistes brassés par ce film désagréable à regarder, le pire d’entre eux, et peut-être le plus mensonger, est le devenir animal des corps filmés. Nina blague, parle fort, danse, voudrait ne faire qu’un, en somme, avec l’énergie sauvage de son chien Jojo. Mais le berger allemand ne fait rien à l’affaire : Animal Serenade est un film sans vie.

Cambodia 2099, de Davy Chou

Deux amis se racontent leurs rêves de la veille, l’un s’apprête à partir aux Etats-Unis, l’autre a rêvé qu’il voyagait en 2099. Comme dans son précédent film, Le Sommeil d’or, Davy Chou parvient à placer ses personnages entre deux mondes : entre le Cambodge et les Etats-Unis pour l’un, entre le présent et un futur rêvé pour l’autre. De belles scènes sont tirées de cette situation d’entre-deux, comme cette errance d’un couple en scooter alors qu’en voix-off, le garçon lit à la fille une lettre d’adieu. Ou encore, au beau milieu d’une place, la danse du futur d’un énergumène en pyjama et casque de moto. La promesse du titre est tenue : le film se passe à la fois à Phnom Penh et ailleurs, maintenant et plus tard.

Compétition nationale 2

Boucle piqué, de Chloé Matthieu et Lila Pinell

Le stage d’été à la montagne du club de patinage artistique de Colmar. Le documentaire s’attarde à la fois sur les séances d’entrainement et sur les moments de détente entre filles. Dans les deux cas, l’enfance est représentée comme l’âge des humiliations. Sur la patinoire, des figures répétés encore encore sous les commentaires impitoyables du coach et dans les chambres d’hôtel, des soirées pyjama où les filles se taquinent. Les brimades montent en intensité à mesure que le film avance, la présence de la caméra n’étant peut-être pas pour rien dans cette surenchère cruelle. Cette dimension spectaculaire, du reste revendiquée dans la chorégraphie finale, provoque toutes sortes de réactions allant du rire à la gêne.

Essaie de mourir jeune, de Morgan Simon

La relation compliquée entre un père et son fils dérape franchement un soir où le premier pique la copine du second. Du sordide chic.

8 balles, de Frank Ternier

Film d’animation qui mélange dessins et collages. La narration impressionniste de 8 balles laisse filtrer quelques informations : Gabriel est à la recherche de l’assassin de sa femme et de sa fille, repérable par son odeur de poisson frit. Malgré une certaine inventivité, le film n’est pas à la hauteur de ses prétentions poétiques.

Les Eclaireurs, de Benjamin Nuel

Le film commence comme une parodie fantaisiste de Wes Anderson : le titre s’affiche en jaune sur une vieille photo de quatre amis en uniforme scout. Trois d’entre eux se retrouvent des années plus tard dans un restaurant japonais, la conversation tourne autour de l’absent. Arnaud Fleurant-Didier, qui signe la musique et joue un personnage, apporte avec lui une tonalité pince-sans-rire qui se retourne contre le film : embryon de farce, embryon de drame nostalgique, mais en fait rien de tout cela. Dommage, ce Club des cinq : vingt ans plus tard avait des arguments pour séduire.

Compétition nationale 3

Si jamais nous devons disparaître, ce sera sans inquiétude mais en combattant jusqu’à la fin, de Jean-Gabriel Périot

Prix du titre le plus long. L’idée de cette sorte de clip n’est pas inintéressante : filmer rigoureusement la fabrication de la musique sur scène et son impact sur le public. Malheureusement, au bout de quelques minutes, les musiciens s’arrêtent et les micros se braquent sur le corps d’une femme qui se traîne par terre. Un détour vers la performance artistique qui laisse un peu songeur.

Ce Monde ancien, de Idir Serghine

L’errance quotidienne de trois amis, deux garçons et une fille, dans une zone industrielle : hypermarché, bowling, hôtel formule un. Le film regroupe plusieurs idées qui sont apparemment au goût du jour chez les réalisateurs de court métrage - les animaux comme métaphore de la condition humaine, par exemple, ou les instants de danse improvisée. La zone industrielle est comme la cage du lapin, ce dernier osera-t-il en sortir ?

Beach Flags, de Sarah Saïdan

En Iran, un groupe de jeunes femmes s’entraîne pour une compétition internationale de nageuses sauveteuses. La ligne claire de ce dessin animée est joliment en phase avec la naïveté du propos.

Inupiluk, Sébastien Betbeder

Des amis parisiens, tous les deux prénommés Thomas, accueillent deux inuits, Olee et Adam, pour un séjour en France. Sébastien Betbeder revient au court métrage après plusieurs longs (Nuage, Les nuits avec Théodore, 2 automnes 3 hivers) et moyens métrages (Yoshido, Je suis une ville endormie). Inupiluk repose en grande partie sur sa donnée de départ : quatre personnes qui doivent passer plusieurs jours ensemble sans pouvoir se comprendre. Mais la réussite du film tient moins à ce dispositif qu’à la manière dont Betbeder l’enrobe de détails superflus qui en font le véritable sel comique. L’idée qu’ont les français, par exemple, d’enregistrer les inuits pour les faire traduire après coup. Le spectateur, lui, a la traduction en simultanée : il lit en même temps les sous-titres et l’incompréhension sur le visage des deux parisiens. Le film contient des ajouts formels qui pouraient sembler inutiles (le narrateur en voix-off, les plans en super 8), mais dont l’intérêt est d’arriver par surprise, là où on ne les attend pas. Une suite est paraît-il prévue, avec cette fois-ci les deux Thomas en visite au Groënland.

Compétition nationale 4

Géronimo, de Frédéric Bayer Azem

Géronimo a le mérite d’assumer totalement les tics du jeune cinéma français remarqués pendant ce festival : ancrage dans des territoires français oubliés, musique électro à la moindre occasion, flirt avec l’onirisme. Et en prime, un titre qui clignote. Le réalisateur tire plutôt bien partie de ce côté clinquant. Le film met en scène l’arrivée de jeunes branchés dans un village, et leur confrontation, sur un terrain d’auto-tamponneuses, avec un jeune homme aux allures de Géronimo. Avec ses néons fluo, la fête forraine semble être un terrain de jeu apprécié par Bayer Azem. Le film finit par ressembler à un agréable juke-box en images : quand ça s’arrête, il suffit de mettre un jeton, et c’est reparti pour un tour.

Oripeaux, de Sonia Gerbeaud et Mathieu de Panafieu

Une petite fille parvient à convaincre son père de ne plus chasser les coyotes qui entourent leur maison. Aussi candide et inoffensif que la plupart des autres dessin-animés de la sélection.

Tant qu’il nous reste des fusils à pompe, de Caroline Poggi et Jonathan Vinel

Une ballade nihiliste qui tourne vite en rond, et dont Camille Brunel a déjà parlé dans son compte-rendu de Brive, à lire ICI.

Jamais Jamais, d’Erwan Le Duc

C’est le premier court de la compétition qui se présente d’emblée comme une comédie française. Le scénario, du moins, semble taillé pour ça : deux lieutenants de police sont d’astreinte dans le même commissariat. L’une étant coincée et l’autre délurée, cela donne évidemment des dialogues pas piqué des hannetons, dont l’inspiration est à chercher du côté des comédies Jaoui-Bacri.

Compétition Nationale 5

Aïssa, de Clément Théhin Lalanne

Le film repose sur une pirouette scénaristique : pendant dix-huit minutes une jeune congolaise se fait examiner sous toutes les coutures par un médecin parlant à son dictaphone - rapport destiné, on le découvre à la fin, au ministrère de l’intérieur. L’efficacité d’Aïssa est sa qualité mais aussi sa facilité : en cadrant chaque partie du corps d’Aïssa, Clément Théhin Lalanne ne montre pas vraiment autre chose que le rapport du médecin. Ses plans percutants réveillent toutes sortes de souvenirs historiques, à défaut de donner une véritable existence au personnage.

PS : Camille Brunel, en tant que membre du jury “blogueurs” du Festival cinéma et droits humains organisé récemment au Reflet Médicis à Paris, a remis à Clément Théhin Lalanne le Prix spécial des droits humains.

Nectar, de Lucile Hadzihalilovic

La première partie du film ressemble à un remake érotique de la publicité La Laitière : une femme nue dans une chambre d’époque, malaxée par ses suivantes jusqu’à ce que sa peau sécrète du miel. La seconde partie se perd dans une métaphore : nos immeubles sont l’équivalent de ruches, la femme et l’homme modernes ont abandonné la fertilité au profit de la productivité.

Tourisme international, Marie Voignier

Un voyage touristique à Pyongyang en Corée du nord. La caméra suit les guides officiels présentant les musées et les monuments, tout en leur coupant la parole : on les voit parler, on entend les bruits de fond, mais on n’entend pas leur voix, remplacée par des cartons de textes. Un passage du film éclaire les raisons possibles de ce choix. Dans un célèbre studio de cinéma, il est expliqué aux visiteurs que le son des films de propagande n’est pas fait en prise directe : il n’y a que les voix, qui sont enregistrées après coup. Dans son film, Marie Voignier inverse le dispositif, avec une prise de son directe, mais sans les voix. Au premier abord, le geste peut sembler à la fois naïf - comme s’il était possible de neutraliser le pouvoir de manipulation des images en désactivant une piste son - et présomptueux - en quoi les mots de l’auteur sont-il plus fondés que ceux des guides à commenter les images ? Mais les intertitres jouent un rôle plus complexe. Tantôt c’est une sélection ou un condensé de ce qui a été dit par le guide, tantôt c’est un commentaire de l’auteur, ou une informations supplémentaire. Le dialogue entre les images et les textes finissent par donner une perspective intéressantes à ce voyage menacé par les platitudes idéologiques et touristiques.

Tempête sur anorak, de Paul Cabon

Peu importe que la narration ne soit pas toujours claire - la fin notamment - Tempête sur anorak est le plus drôle et les plus inventif des films d’animations proposés dans la compétition.

Compétition nationale 6

Man on the chair, Dahee Jeong

Tentative de méditation cartésienne en dessin-animé : un homme, assis sur chaise, est hanté par l’dée de sa subjectivité. Et le resultat n’est pas mauvais, le film fait étrangement penser à Doodlebug, un court métrage de Christopher Nolan dans lequel on troube des jeux d’échelle et des retournements de point de vue similaires.

Les Enfants, de Jean-Sébastien Chauvin

Dans un monde post-apocalyptique, une mère part de sa maison avec ses deux enfants pour échapper à un monstre. Un film maladroit et touchant qui place la représentation au coeur de ce qui distingue les enfants des adultes. Les enfants, ce sont ceux qui voient, ou du moins ceux dont l’envie de voir est inextinguible (en regardant, en dessinant, en imaginant). Les enfants sont aussi ceux qui soutiennent le regard en toute circonstance, comme devant ce cadavre déchiqueté qu’ils croisent sur leur route. Dommage que le film, n’ayant vraisemblablement pas les moyens de son propos sur la puissance des images, ne sonne pas toujours juste.

Le Sens du toucher, de Jean-Charles Mbotti Malolo

Ce film n’échappe pas au travers de la plupart des courts d’animation de la sélection, qui est de ressembler à un spot de sensibilisation. Cette fois-ci, l’histoire attendrissante d’un couple sourd-muet, dont on se lasse malheureusement très vite.

Peine perdue, d’Arthur Harari

Ce moyen métrage, mainte fois récompensé en 2014, met en scène deux jeunes hommes dans un camp de vacances, l’un prodiguant à l’autre des conseils pour séduir les filles. Le film se métamorphose en cours de route : il commence comme un marivaudage un peu maniéré, avec une machination sentimentale, et se termine beaucoup plus simplement par un dialogue entre les deux personnages masculins. Cette belle scène finale donne au reste du film les allures d’une diversion. Mais une diversion à quoi au juste ?

PS : Peine perdue a aussi été vu à Brive par Camille Brunel, lire son avis ICI.

Palmarès

Grand Prix : Cambodia 2099, de Davy Chou

Prix spécial du jury : Si jamais nous devons disparaître, ce sera sans inquiétude mais en combattant jusqu’à la fin, de Jean-Gabriel Périot

Prix d’interprétation : Nicolas Granger pour Peine Perdue d’Arthur Harari

Prix du jury étudiant : Inupiluk, de Sébastien Betbeder

Prix de la jeunesse : Si jamais nous devons disparaître, ce sera sans inquiétude mais en combattant jusqu’à la fin, de Jean-Gabriel Périot

Prix Format court : Tourisme international, de Marie Voigner

Prix Cinecole en Vendomois : Fear of flying, de Conor Finnegan

par Timothée Gérardin
jeudi 18 décembre 2014

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