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Festa del Cinema di Roma 2015 (16-24 octobre)

Rome 2015

Rome, vents contraires

La direction artistique du Festival international du film de Rome était assurée depuis 2012 par Marco Muller, qui avait auparavant oeuvré pendant quelques années pour la Mostra de Venise. Le festival romain accueille cette année un nouveau directeur artistique, Antonio Monda, et change de nom, devenant ainsi la “Festa del cinema di Roma”. Ce changement n’est pas sans effet comme le revendique le texte d’ouverture du catalogue, rédigé par le nouveau directeur artistique. Une fête n’a pas de prix, ni de jury, et voici que la compétition officielle disparaît, laissant seulement une place au prix du public. Que peut-on voir à Rome ? Une sélection éclectique impliquant cette année les films de réalisateurs reconnus comme Johnnie To, Noah Baumbach ou encore Robert Zemeckis. Tous les genres sont représentés au sein de la programmation, où l’on peut noter la présence d’une rétrospective consacrée aux films d’animation du Studio Pixar comme de projections de grands classiques du cinéma italien, soulignant ainsi la volonté d’Antonio Monda de faire de ce festival non pas un lieu d’expérimentations cinématographiques exigeantes mais bien une fête où l’on prend du plaisir tout en espérant éviter la discorde.

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# Lundi 19 octobre

Registro di classe – Libro Primo 1900-1960 de Gianni Amelio et Cecilia Pagliarani

The confessions of Thomas Quick de Brian Hill

Registro di classe – Libro Primo 1900-1960 de Gianni Amelio et Cecilia Pagliarani est un documentaire sur l’école primaire en Italie, composé entièrement d’images d’archives tant filmiques que photographiques et manuscrites. Aucune voix off ne commente le montage. En retraçant chronologiquement l’histoire de la scolarisation de la population italienne, le film vise un objet plus large et dresse une cartographie des mutations sociales du pays dans la première partie du vingtième siècle. L’ouverture annonce l’un des points majeurs du documentaire : un élève de 91 ans obtient un certificat dans un village de Calabre. Plus tard, un petit film de propagande étatique rappelle que l’alphabétisation des adultes doit accompagner celle des enfants - un homme analphabète face à une lettre de sa petite fille se retrouve humilié par son ignorance. L’école primaire implique aussi les cours du soir pour les adultes, et l’on voit des hommes de tous âges prendre le chemin de l’école après une journée de labeur.
Plus profondément, le film pose la question des classes sociales, montre comment la scolarisation se fait selon un processus excluant par étapes les plus pauvres. Le constat d’une école à plusieurs vitesses n’est pas nouveau et perdure aujourd’hui au-delà de l’Italie, mais le film raconte aussi des événements propres à l’histoire italienne. Ainsi l’école devient le lieu de la propagande fasciste lorsque Mussolini est au pouvoir, le film montrant des compositions d’élèves écrites à sa gloire. Ce film pourrait être seulement charmant s’il n’avait l’intelligence de toujours accueillir la critique en son sein. Si l’école est le lieu où se prépare la démocratie, il est surtout un lieu où l’on forme et déforme la jeunesse. Des images d’archives laissent alors la parole à Pasolini, qui souligne que l’école est l’instrument de l’idéologie petite bourgeoise qui corrompt et détruit les cultures paysannes ancestrales et les dialectes qui les accompagnent. Outil social pour imposer une norme, l’école génère des rapports de force entre les individus. En témoigne l’entretien réalisé avec une enfant de neuf ans née en Sicile, immigrée dans le nord, à qui l’on demande de justifier son retard scolaire...

Autre film dans la veine documentaire, The confessions of Thomas Quick de Brian Hill use également d’images d’archives, mais dans une perspective bien différente. Beaucoup plus proche de Faites entrer l’accusé que de la programmation de Lussas, The confessions of Thomas Quick est un reportage racoleur sur un faux serial killer où l’on retrouve tous les passages obligés de ce type de production : entretiens face caméra des membres de l’entourage de Thomas Quick, musique angoissante, images d’archives issues de la presse, archives vidéos de reconstitution des faits réalisées par les services de police. Thomas Quick, baptisé ainsi en référence à la rapidité dont il sait faire preuve lorsqu’il exécute ses victimes, est un personnage célèbre en Suède. Le film reprend l’histoire chronologiquement, évoque l’enfance perturbée de notre héros, s’appesantit sur son homosexualité mal vécue, raconte ses premières agressions et séjours en institution psychiatrique. Interné, Thomas Quick entreprend une analyse avec une praticienne et s’accuse progressivement de nombreux meurtres d’enfants irrésolus dans le pays. Coupable idéal et télégénique, Thomas devient une star du crime. Des années plus tard, il avoue avoir menti, le dossier est repris, l’homme innocenté.

Que dire de cette triste fable sans surprise ? Il semble que le film désigne des coupables sur leur seul refus de participer au film. Ainsi, l’analyste de Thomas Quick et, plus largement, le courant de pensée dans lequel s’inscrivait son travail sont pointés du doigt avec des arguments peu convaincants. Aux yeux du réalisateur, Quick ne serait qu’une victime manipulée par un groupe de psychanalystes pervers et carrièristes. La conclusion vers laquelle s’achemine le film relève de la psychologie de comptoir : Thomas Quick a inventé cette histoire parce qu’il manquait d’attention maternelle dans son enfance, mais aussi parce qu’en devenant un criminel mythique il était mieux traité et bénéficiait de la WIFI dans sa chambre et des drogues qu’il souhaitait.

Certaines images d’archives sont néanmoins marquantes : lors d’une reconstitution d’un meurtre en présence de la police et de sa psychanalyste, Thomas Quick, en transe, dit avoir cherché plus avant dans la chair ouverte d’une fillette, sa colonne vertébrale et sa moelle régénératrice. L’homme confesse également éprouver une grande excitation sexuelle à l’idée de tuer et de violer des enfants. The confessions of Thomas Quick n’a qu’un mérite, celui de souligner la fascination quasi érotique de notre société post-moderne athée pour le crime et la pédophilie.

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# Mardi 21 octobre

Dobbiamo parlare de Sergio Rubini

Monogamish de Tao Ruspoli

Angry Indian goddesses de Pan Nalin

Si la société est perpétuellement menacée par les passions humaines qui s’affrontent, le couple est soumis aux mêmes tensions qui attentent à sa cohésion. Comment s’accomoder des désirs de chacun pour rendre pérenne une histoire entre deux individus ? Partant de l’idée que les intérêts de chaque partenaire ne rejoignent pas toujours celui du couple, autrement dit que l’intérêt individuel est parfois contraire à l’intérêt général, Sergio Rubini réalise une satire sympathique tenant de la comédie de caractère. L’action de Dobbiamo parlare se situe dans un espace restreint, le loft d’un couple d’artistes romains : Vanni et Linda. Leurs amis Alfredo et Costanza se disputent à cause d’une histoire d’adultère. Orgueil, avarice, cupidité, luxure, jalousie, chacun met en scène sa propre bassesse pour débouter l’autre et emporter la partie. La discorde d’un couple entraîne celle de l’autre jusqu’à la rupture. Ce marivaudage qui mène chacun non pas à l’amour mais plutôt à sa disparition structure une comédie de moeurs nourrie par la critique de la bourgeoisie ordinaire, où le couple est structuré par la construction d’un patrimoine économique et immobilier commun. Le couple de bourgeois-bohème est également tourné en dérision, tant dans sa différence d’âge que dans l’activité créatrice qui les unit, puisque Linda est le nègre de Vanni, auteur de romans grand public. Loué à une vieille comtesse, leur immense appartement au centre de Rome matérialise leur ambition fallacieuse : organisé pour recevoir des visiteurs, l’espace regorge de livres et d’oeuvres d’art mais possède des fenêtres poreuses à la première averse.

Monogamish, film documentaire de Tao Ruspoli, repose plus directement la question de l’adultère au sein du couple. Le réalisateur initie ce récit à la première personne alors qu’il termine son divorce. Dix ans de relation interrompues à cause d’infidélité, invitent Tao Ruspoli à se demander si la monogamie est possible, et par là même à justifier ses adultères passés. Le couple tel qu’il a été construit dans l’imaginaire occidental est-il encore viable aujourd’hui ? Ruspoli cherche des modèles et des contre exemples, multiplie les entretiens pour se faire une idée et surmonter l’épreuve de sa séparation. Les entretiens avec les membres de sa famille sont parfois divertissants, cependant Ruspoli ne nous apprend rien, et surtout ne répond pas à son interrogation de départ. Il conclut seulement de son étude que chacun fait comme bon lui semble, et les amours multiples restent une piste envisageable à la fin de ce documentaire bien lisse, tant ses questions demeurent mal formulées.

Le désir est aussi l’enjeu du film de Pan Nalin, Angry Indian Goddesses, où cinq jeunes femmes indiennes se heurtent à une société hostile à leur émancipation. La rupture du dialogue entre les sexes est consommée, allant jusqu’au meurtre et au viol de l’une d’entre elle par un groupe d’hommes. Le film de Pan Nalin est étrange parce qu’il se situe quelque part entre la série Sex and the City et le film de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi, Baise moi, sans jamais atteindre la qualité de ses modèles. Le film reste d’ailleurs extrêmement didactique. Les personnages manquent de subtilité parce qu’ils sont chargés d’incarner de manière exhaustive tous les aspects problématiques de la condition féminine en Inde : le viol, l’homosexualité, le divorce, l’éducation des enfants...
Si le sexe, la classe et la race, pour rappeler l’ouvrage d’Elsa Dorlin, sont trois éléments servant une même économie de la domination, on peut également se demander pourquoi Pan Nalin a choisi pour réaliser un film avec des prétentions féministes de mettre en scènes des bourgeoises au physique très marqué par les standards mondialisés de l’industrie du luxe.

par Florence Andoka
jeudi 12 novembre 2015