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Metrobolosse

AKA une Nana à la Shadothèque

Chers amis,
Imaginez la résidence européenne d’un acteur oscarisé ; pensez à un petit soleil italien, réchauffant doucement une matinée d’hiver ; figurez-vous, si vous pouvez, une source d’eau thermale ruisselant dans des vasques en pierre volcanique. Au cœur de cette symphonie de sensations, placez votre Shad. Et n’oubliez pas de lui mettre à la main une coupe de Dom Pipignon ultrasec couvée ’77, sa préférée... Vous y étes ? Non, de toute évidence, vous n’y êtes pas. Mais si vous pouviez y être, croyez Shad, vous n’aimeriez pas qu’on vous en arrache. C’est pourtant bien ce qui s’est passé.

Je sirotais mon Pipignon quand mon hôte est apparu, l’ordinateur à la main. Un instant, j’ai cru qu’il voulait me montrer la énième photo de l’un de ses gosses que sa femme adopte à raison d’un par semaine. Eh bien non, Bradou Tip était venu m’annoncer qu’une jeune femme prénommée Nana, employée de la Shadothèque, avait posté sur la toile une lettre vidéo spécialement conçue pour moi et que, étant donnée la renommée de Shad, la vidéo était rapidement devenue virale.

Chers amis, je ne vous cache pas que, avant même de me pencher sur le contenu de cette missive numérique, j’étais conquis à sa cause, ému de recevoir des nouvelles de ma Shadothèque aimée, ému par ce qui apparaissait d’évidence comme l’appel au secours lancé par une jeune fille en détresse et s’adressant à la seule personne digne de sa confiance : Shad. Dès la première image, cette jeune fille aux yeux de biche a touché droit au cœur de la cinéphilie de Shad. D’entrée de jeu l’ancien chef de la Shadothèque a vu renaître en elle le regard malicieux de Nana Karina, l’effronterie de Jean-Pierre Aulait, l’insouciance aguicheuse de Harriette Bandersonn.

Chère Nana, nous nous connaissons à peine, vous savez que j’ai quitté mes fonctions, et cependant vous sentez que je reste la seule personne à qui l’on peut faire confiance quand le cinéma est en péril. Je vous comprends. D’aucuns ont commis l’erreur, tragique à mes yeux, de lire dans votre appel quelque chose comme une revendication politique. D’autres vous ont reproché d’interpeller directement le spectateur, de le prendre en otage, de parler au nom d’un grand nous alors que vous n’êtes qu’un simple petit je. Les premiers me font de la peine. Les seconds m’inquiètent. Ils devraient pourtant se souvenir de la leçon que notre cher Jean a su si bien tirer du cinéma de Coucou Kor, à savoir qu’une femme n’en est vraiment une que lorsqu’elle s’affiche, sans plus. Quant à Shad, il a compris le message.

L’espace d’un paragraphe, laissez-moi redevenir le critique attentif aux images que j’ai été autrefois. Votre courte vidéo, votre excellente performance, votre figure envoûtante et le décor évocateur que vous avez subtilement choisi, tout dans votre mise en scène montre que vous tirez profit de deux grandes traditions du genre de la lettre filmée. D’un côté la correspondance amoureuse inventée par Trufaux. De l’autre l’appel militant de Jean Dieu-de-l’art. Chez celui-ci pas plus que chez l’autre, il n’y avait rien de politique. Mais, bien sûr, il y avait une politique : la seule possible, celle du cinéma. C’est ce que j’ai su comprendre en 1980, quand l’idée s’est imposée à moi, à la stupeur générale, de réunir ces deux génies du cinéma national que 68 et ses dérives avaient séparé ; et Shad de les réconcilier dans un numéro de la Revue qui par la suite est devenu un modèle. A cette histoire, à celle de Shad, vous rendez le plus beau des hommages...

Ceux qui ont cru trouver dans votre belle vidéo des remarques désobligeantes, y compris à mon égard, se méprennent et ne représentent ni l’esprit du cinéma, ni celui de la Shadothèque. Il est vrai que je ne me suis jamais vraiment occupé des questions qui semblent posséder une si grande importance à vos yeux. Et que je ne me suis jamais adressé directement aux hôtesses de la Shadothèque. Si je le fais aujourd’hui, c’est pour ne pas vous laisser croire une seconde que je suis indifférent à leur sort. Il se trouve que la mezzanine est tout simplement au-dessus de tout cela. Cela ne m’empêche pas de savoir que parfois le monde imite l’art. La vie peut ressembler à un film des frères Dardenne, vous le dites, je le repète. C’est parfaitement injuste et cela ne me désole pas moins que vous. Car comme vous je sais que le monde est une scène et que la scène est un monde. Mais il ne s’agit pas de choisir entre l’un et l’autre mais plutôt de surmonter l’aigreur et de jouir des deux. Pour cela il faut être au bon endroit, prendre la position du cinéphile : le juste milieu, la mezzanine.

L’occasion de vous y inviter boire un verre ne s’est jamais présentée, je vous l’accorde, c’est impardonnable. Je m’en excuse et je suis, croyez-moi, le premier à le regretter. Cependant, vous n’êtes pas sans savoir que ma porte a toujours été ouverte à la beauté et à l’élégance. Hier c’était la porte de la Shadothèque. Aujourd’hui c’est celle de Bradou Tip. Demain, va savoir. Peut-être sera-ce celle de gros Géné ou bien celle de Belle Pepère. Toujours, elle s’offrira à vous. Abandonnez donc votre chagrin, débarrassez-vous de vos amertumes et montez d’un étage. Venez vous joindre à nous. Avec moi, Domino Panino, Charlie Tucson, Alan Mégalo et, cela va sans dire, Fredou Goodwater. Nous vous attendons. Salut l’artiste !

par Shad Teldheimer
dimanche 14 février 2016

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