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Cannes 2016

Rester vertical  de Alain Guiraudie

#4 Compétition officielle

8.0

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Devenir animal

Léo, un scénariste en manque d’inspiration, arpente la Lozère à la recherche de loups, des animaux qu’il n’a jamais vus. Serait-il réellement affecté par leur disparition, lui qui n’a rien à voir avec eux ? La bergère à l’origine de cette question devient l’amante du personnage principal, puis la mère de son fils, dont la naissance signe la fin de leur couple. Les personnages de Guiraudie fascinent parce qu’une violence latente sourd d’eux constamment, qu’on devine inscrite à même le grain de la peau, les habits ne constituant jamais qu’un voile frêle, prêt à se rompre. Le nu accueille autant l’érotisme que les signes de la mort, dans le visage fatigué d’un vieillard qui passe son temps à écouter les Pink Floyd à plein volume, sur une chaise devant chez lui, et qui n’en est pas moins convaincu que tout le monde voudrait le prendre comme « on prend la reine ». La verticalité peuple le paysage à tous les niveaux, et c’est autant la fente d’une vulve qu’un pénis en érection, s’inscrivant alors contre la ligne droite du corps.

Les personnages de Rester vertical sont dotés d’une rare présence par la disponibilité qu’ils manifestent dans chaque posture, chaque regard. On éconduit l’autre comme on lancerait une charge érotique ; et on le repousse dans une forme d’invite. Les regards pèsent sur les désirs, qui s’accommodent tant bien que mal des aléas de la chair. Le père de la bergère, est un homme bourru, massif. Il travaille en slip sous sa combinaison une pièce, menace d’écraser de son poids le personnage principal, dès lors que la bergère n’est plus là pour accaparer ce dernier. Les relations se reconfigurent ainsi sans cesse, entre hommes et avec les animaux aussi, à l’instar de Léo qui veut constamment serrer quelqu’un contre lui (un agneau, un enfant).

Guiraudie a su capter et prolonger l’angoisse des dernières séquences de L’Inconnu du lac, tout en renouant avec le motif de la fuite parfois absurde qui caractérisait Le Roi de l’évasion. Si ces séquences ne sont pas les plus intéressantes du film (Léo se voit traqué par son producteur venu exiger la remise d’un scénario), ce motif rappelle néanmoins que, sur la trajectoire droite de l’individu qui va de l’avant, il n’existe pas d’étape ou de pause balisée, et que l’arrêt est toujours un choix, une rencontre. C’est l’ouverture du film, avec une belle route ensoleillée de campagne que l’on parcourt plusieurs fois, s’attardant sur les figures étranges qui la peuplent (un adolescent qui déambule avec nonchalance, le vieillard assis devant chez lui et qui surveille autant qu’il accueille), tout en hésitant avant de se garer de côté et d’engager de nouveaux rapports.

Tout appelle l’horizon : le temps et le travail de mort qu’il engage sur les corps, les étendues herbeuses du causse qui accueilleront plus tard dans le film les cadavres des brebis décimées par les loups. L’hypersexualisation des personnages de Guiraudie, capables de vouloir et désirer toujours plus que ce que l’on imagine, malgré la laideur ou la vieillesse, n’est pas seulement un mot d’ordre, mais aussi une idée de raccord multiple, constant, la possibilité de bouleverser la vraisemblance géographique et narrative du récit. « Rester vertical » n’est pas qu’un slogan, la formule désigne cette tension entre deux énergies contraires, le surgissement d’une forme nouvelle dans ce que l’on croyait avoir déjà filmé.

Deux surgissements majeurs, l’un intérieur, l’autre extérieur, se produisent dans le film. Le premier fait suite à ces plans sur le sexe de la bergère et qui rappellent L’Origine du monde de Courbet ; c‘est un accouchement soudain et cru, une ellipse temporelle et narrative, la verticale pure se fissurant pour venir chambouler l’équilibre de l’univers affectif de Léo. Le deuxième surgissement sera une manifestation du devenir animal du causse, dans une lente scène d’encerclement des bergers par la meute, rappelant que tout mode de vie est avant tout une lutte.

par Hugo Paradis
lundi 16 mai 2016

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