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#4 Echos de la fin du monde - sur la saison 3 de The Leftovers

The Leftovers  de Damon Lindelof et Tom Perrotta

La part du lion

The Leftovers, saison 3 - épisode 5

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La Tasmanie, où atterrissent malencontreusement Laurie, Matt, Michael et John alors qu’ils cherchent à rejoindre Melbourne, est, on le sait, la demeure du Diable. Après avoir joué avec les mots, l’épisode 5 prend une célèbre chanson de Charles Aznavour au sens propre : “Je ne peux pas rentrer chez moi”, chante-t-il. Guillaume (ICI) l’avait pressenti, “they can’t go home again”. Que veut dire, ici, rentrer chez soi ? Quitter les Enfers, peut-être. Puisque c’est impossible, autant essayer de vivre dedans. Voilà la raison de ce gigantesque moment de folie qu’est l’épisode 5 : si la prochaine étape est un délire, il faut alors l’anticiper. Le titre de l’épisode est bien “It’s a Matt, Matt, Matt, Matt World” : ce monde à venir est celui que s’imagine déjà, à travers ses nombreux fantasmes, le révérend Jamison. En même temps, nos quatre protagonistes ne semblent jamais réellement habiter cette Sodome, ils fréquentent en permanence une sorte de sas, n’ont toujours l’air que de passage. C’est le repos (éternel ?) que cherchent ces personnages, tant et si bien qu’une fois sortis du bateau, on est en droit de se demander si cet Enfer sans conséquences n’est pas une version fantasmée d’une traversée qui se serait déroulée somme toute sans encombres.

Après “Homeward Bound”, c’est “Je ne peux pas rentrer chez moi” que l’on entend. Les titres s’opposent, l’un affirmant que le billet du retour est enfin acquis, l’autre que celui-ci est impossible. Une autre différence apparaît : c’est Kevin qui entonne la chanson de Simon & Garfunkel, quand il n’y a plus personne pour reprendre le refrain d’Aznavour. La raison de cette différence est simple : après la famille, c’est la notion de “chez soi” qui a disparu. Nul ne peut se l’approprier, et encore moins la chanter. Le bateau à bord duquel embarquent Matt, Laurie, John et Michael n’est ni une dystopie, ni une utopie. Tout l’épisode semble ainsi suspendu dans un entre-deux. L’idéal humanitaire qu’invoque Matt pour contourner l’interdiction faite aux avions d’aller en Australie répond directement au messianisme dont il fait preuve depuis le début de cette troisième saison. Entretemps, les quatre compagnons auront fait un pari : essayer d’habiter et de vivre dans ce lieu de perdition qui préfigure leur destin commun. Le crime des habitants de Sodome n’est pas seulement de vivre dans le péché et la dépravation, mais également d’être inhospitaliers. Ce n’est toutefois pas en réfugiés maltraités que les quatre habitants de Miracle traversent le détroit de Bass, qui sépare Melbourne de la Tasmanie, tout simplement parce qu’il n’y a pas de refuge. Si les liens sociaux sont défaits, c’est donc aussi qu’il n’y a plus vraiment de règles qui puissent être enfreintes. L’épisode laisse d’ailleurs de côté les frasques sexuelles qui ont lieu dans ce décor carnavalesque. Au coeur de l’intrigue, il y a, une fois encore, une disparition : bien qu’elle ait une explication logique, tout le monde s’en désintéresse. Les explications rationnelles ne suffisent plus, ou arrivent trop tard. C’est pourtant la pente que suit à présent la série : à travers le personnage de Laurie, c’est la raison, désormais dépourvue de cynisme, qui revient au premier plan.

Matt est-il venu chercher en Australie un dernier signe divin avant la grande épreuve, ou pense-t-il que le détournement de l’avion est déjà un premier indice de la présence de Dieu tout au long de son parcours ? Si c’est le cas, on ne pourra que s’étonner de l’ironie du Seigneur, qui balaie d’un revers de la main toutes les tentatives de sauvetage, toutes les figures de Sauveur. Au mieux, Matt s’est trompé de Dieu : celui qu’il voit sur le bateau a les allures d’un clochard, et jette quelqu’un par-dessus bord. Ce n’est pas celui qu’adorent les chrétiens, tout au plus celui que fréquentent les Juifs, qui se venge des péchés humains. Tout à leur désir de rétablir un certain ordre, rationnel chez Laurie, religieux chez Matt, les deux personnages qui mènent la barque ont pourtant entrepris de quitter Miracle, la ville où rien ne pouvait arriver. La cité avait en effet fini à feu et à sang au terme de la saison 2. Ce à quoi croient réellement Matt et Laurie est une idée somme toute commune et convenue de la justice, celle des Hommes. Ils ne désirent rien plus que le retour aux affaires normales, dont la perspective s’éloigne pourtant sans cesse.

C’est en effet un attentat terroriste qui ouvre l’épisode 5 : un homme nu fait exploser une centrale nucléaire française dans le Pacifique, dans une volonté de précipiter la fin du monde en même temps qu’en un rappel d’un crime que les autorités françaises n’ont jamais accepté de payer, sur un territoire où elles n’étaient pas tout à fait chez elles. Est-ce pour ça qu’un chanteur français accompagne la marche de l’épisode ? Une autre idée vient en tête : Aznavour est d’origine arménienne, comme l’Arche qui devait sauver l’humanité et les animaux du Déluge. La chanson, comme l’Arche, ne sauvera cette fois-ci personne : dans l’épisode suivant, Kevin se demande lui aussi si son pouvoir de résurrection est un fusil à un coup. Le terroriste incarne, à sa manière, un retour de l’homme à l’état sauvage, c’est-à-dire un trajet impossible vers un horizon inexistant. Il fait également écho à Kevin, un Messie qui n’a jamais réussi qu’une seule chose : détruire sa vie et celle des autres.

Tout à sa quête d’un nouveau Christ, Matt n’a jamais songé qu’il avait peut-être réécrit le mauvais livre. C’est dans L’Exode qu’il faudrait chercher, et c’est un autre monde qu’il faudrait ouvrir. Il n’y a pas d’Arche, il n’y a qu’un paquebot qui n’accueille que les initiés. Il n’y a pas de maison, il n’y a que des fuites. Il n’y a pas de Dieu, il n’y a que des individus qui ne savent pas se hisser à la hauteur des héros.

par Aleksander Jousselin, Jessica Rodrigues
vendredi 26 mai 2017