L’expression « Sucker Punch » désigne un coup de poing auquel on ne s’attend pas. Elle ne convient pas vraiment au film de Snyder ; celui-ci attentif à ne jamais surprendre le spectateur, à le guider à travers son scénario de vieux tubes remixés, à le coacher par un Scott Glenn un peu capitaine Call of Duty, un peu maître Pai Mei. Le titre s’appliquerait mieux au Wenders qui, arrivé tard sur le terrain du relief, s’y prend avec la naïveté du néophyte doublée de la prétention qu’on lui connaît, et que les années de jury n’ont pas arrangé. Il ne cesse de frapper le spectateur à coups de 3D inutiles et fatigants (un point sur la 3D viendra à la sortie de The Hole de Joe Dante, le seul à avoir enfourché les lunettes à cristaux pour explorer la profondeur de l’écran).
Inversement, « Pina » n’est pas un titre évident pour la fiction de Snyder. Mais pas moins que pour le film de WW, où il est peu question de la danseuse et chorégraphe allemande. À la fin, on en saura peu sur elle. Ceux qui n’ont jamais eu l’occasion d’assister à l’une de ses pièces, moi par exemple, n’apprendront même rien du tout ; ou bien, ils en sortiront avec l’impression d’avoir vu un best of. Wenders découpe la chorégraphie, plonge la caméra sur scène, s’approche du geste, efface par là l’espace à trois murs du théâtre et lui substitue un cube impossible où les déplacements des comédiens disparaissent au profit des mouvements des caméras (deux, un en steadycam, l’autre sur dolly).
Fils du théâtre, le cinéma tente depuis toujours d’échapper à son héritage, et dans l’effort ne cesse de réaffirmer ses origines. Cette course impossible, qu’avec un peu de malice on pourrait appeler faux mouvement, peut être, on le sait, sublime. Mais le cinéma n’est jamais aussi bête que lorsqu’il essaye d’apprendre au théâtre ce qu’est un bruit, ce qu’est un corps, ce qu’est un mouvement. Wenders ne peut pas s’en empêcher, et c’est un triste spectacle. De surcroît, la vision binoculaire des pieds et des mollets déformés par l’effort, des visages laids des comédiens et comédiennes, le bruit surligné des planches, semblent d’une vulgarité inouïe.
On connaît la bêtise de Snyder. Celle de ses 300 surfeurs recoiffés en spartiates appliqués à défendre les portes de l’Occident de l’invasion de hordes persanes. Anachronisme et confusion jouée cash pour raison idéologique, celle-ci claire et nette. Sucker Punch est un film esthétiquement plus gâté, politiquement moins évident que 300. On y distingue tout de même une touche gothique et un penchant pour les allemands version deuxième Reich, Zeppelin et masque à gaz moutarde, que d’autres films signés Legendary Pictures avaient déjà avoué. On y distingue aussi une obsession pour l’orgueil vierge de la pubère canon – que la parabole malheureuse de Britney Spears rend aussi curieusement anachronique.
On y reconnaît enfin, et c’est sa véritable qualité, un côté réaliste. Avec tout son bric-à-brac temporel, il parvient tout de même, voire malgré lui, à parler de nos jours : de notre manière de danser sur une planche Wii, par petits mouvements sur place qui deviennent, sur l’écran, de belles chorégraphies de guerre, d’arts martiaux, de danse ou de sport. Bref, de cape et d’épée. Tout cela est un peu macmahonien (le cinéma, même le plus imaginaire et fantastique, reste un art du réel, de préférence avec de belles filles), et surtout très frontal (curieux de voir que sur la vieille question du spectateur, le jeune Snyder recoiffe Wenders). Autrement dit, il s’agit de théâtre filmé, ni pire ni meilleur que 99% des jeux vidéos en circulation sur vos Xboxes. Pas grand chose, dira-t-on. De quoi vous entretenir le temps d’un battement de paupière d’une fille blonde. Pina Bausch était, d’après ce que les hommes et les femmes de sa compagnie racontent à WW, une fine psychologue. Elle savait voir, ou imaginer, ce qui se passe derrière un battement de paupière, dans l’esprit de celui ou celle qui s’abandonne à la danse. C’est bien dit par Wenders, et bien montré dans Sucker Punch.