Dexter  de James Manos

Dexter ton prochain

Je te connais, toi ! Tu étais le premier de ma classe, non ? Je suis sûr que tu es trop compétent, trop efficace pour ton emploi. Qu’est-ce que tu deviens ? Marié ? Les autres y sont bien arrivés. Alors tu as demandé la main d’une qui te rassure parce qu’elle t’ennuie. Il y a deux trois ans tu t’es découvert une sœur bizarrement jolie. Encore une surdouée, je parie. Des enfants ? Depuis la saison dernière, tu es l’heureux père d’un bébé standard. Pourtant, tu dis que tu ne ressens rien. Ton petit monde – collègues, amis, travail, foyer – te semble indifférent, étranger. Être incapable d’émotion, passe encore. Mais il te prend régulièrement des envies de tuer. Ah.

Tout cela me semble sain, tu sais. N’importe qui dans ta situation hypernormale éprouverait cette angoisse et cette rage. N’écoute pas les scénaristes paresseux qui te cherchent des pères pervers sur la tête. En proie à cette sclérose petite-bourgeoise, il est naturel que tu te sois tourné vers le sang, la vie labile, la couleur de l’amour, même si ce n’est que pour y retracer minutieusement le sillage de la mort. Sais-tu que tu es un role model pour tous les jeunes gens bien du monde, qui à force d’anesthésie rêvent de meurtres qui les raniment ?

La seule difficulté sera de te rendre moralement convenable. On sait déjà que ton vœu le plus cher est de rentrer dans le rang. Alors on va faire de toi un serial killer au carré, qui ne s’en prend qu’à ses pairs. Tu vas ajuster tes instincts meurtriers pour devenir un Bronson inverti. Tu seras l’incarnation clinique et obsessionnelle de la loi du talion : un anti-monstre, un poison salutaire, un anti-corps chez les tueurs. Telle sera ta dextérité.

L’atout de ton histoire, c’est la carte du jeu, de la simulation : la bonne conduite – professionnelle, familiale, amoureuse – réduite à un rôle dont s’étonne et se moque ta voix off intérieure. Ce pourrait être aussi la qualité de tes cibles : des méchants, des vrais. Là, il faut attendre la cinquième saison pour te dégoter l’adversaire de belle stature ci-dessus, interprété par John Lithgow. Prends garde : il te fait paraître falot.

À part ça, les intrigues secondaires sont inégales. Les enquêtes font passer le temps, les histoires d’amour l’engluent, les scènes de mise à mort rituelle déculpabilisée – le clou de la série, en principe – tournent à la messe machinale. Au moins l’ultime coup de théâtre de la saison 5, assez fort, laisse-t-il espérer que la victoire de la normalité, chez toi, n’est pas définitive.

par Pierre Alferi
jeudi 13 mai 2010

Dexter James Manos

Depuis le 1er octobre 2006 sur Showtime

Accueil > séries > Feuilletons les feuilletons > Dexter ton prochain