Enfin un beau film. La Guerre est déclarée était précédé d’une rumeur unanimement flatteuse. Les deux projections, hier soir et aujourd’hui en début d’après-midi, ont été un succès : 15 minutes d’applaudissements amplement mérités.
L’histoire est autobiographique. C’est celle de ce couple d’acteurs, cinéastes, scénaristes. L’amour soudain et total, la naissance d’un enfant atteint d’un cancer du cerveau, la lutte pour lui sauver la vie et ne pas perdre la leur. Ce film est aussi un poème. Joyeux, poétique, gracieux. Il parle à tout le monde mais ne raconte pas une histoire à un public. Il donne un visage et un corps aux expériences universelles : l’amour, la naissance, la mort. L’enfant s’appelle Adam, autant dire l’homme, n’importe quel homme. Les deux parents portent les noms de Juliette et Romeo, autant dire les amoureux. Dès le choix de ces noms de bataille, on ne peut qu’admirer la simplicité du film – signe d’une grande concentration : lorsqu’on part à la guerre, il est vital d’aller à l’essentiel, de doser les forces.
Disons immédiatement que la maladie n’est pas le sujet du film, mais plutôt le terrain où ces deux jeunes gens jouent leur match. Ce terrain n’a aucune spécificité sinon celle de la science médicale, avec ses lieux, ses règles, son langage. Si le film a touché autant, c’est qu’il a su franchir la question abstraite de l’être humain d’une part, celle concrète de la maladie de l’autre, et se pencher ainsi sur les outils dont le couple s’arme lorsqu’il décident de réagir à la déclaration de guerre qui annonce : votre fils a un cancer du cerveau.
Quelles sont ces armes ? Il s’agit moins d’en inventer de nouvelles que de mesurer celles dont on dispose. Dans Habemus Papam, Monsieur Melville détrompe son analyste : si Dieu l’a choisi pour être Pape, lui dit-il, c’est qu’il possède les qualités qu’exige la tâche. De même, Juliette et Romeo conçoivent leur stratégie comme un habit taillé sur mesure : en tâtonnant, mais toujours à l’intérieur de limites précises. Sans envahir un espace qui les dépasserait. Prier : oui ou bien non. Fumer : oui, beaucoup. Parler, partager, discuter les mauvais fantasmes : oui. Décoder le jargon médical via internet, voire s’improviser spécialistes en neurologie : certainement pas.
On l’avait remarqué, il y a un an, avec Des hommes et des dieux : le plus beau cinéma est celui qui met au centre de la scène la renaissance du langage politique. Il faut entendre par là un processus guidé par une action concrète, imposé par une situation de danger qui, liant les destins de plusieurs personnes à des résolutions collectives, oblige un groupe à associer un mode de communication et une discipline de délibération. En d’autre mots, à se constituer en assemblée. Les moines de Beauvois finissent par comprendre, dans l’action, que l’Histoire leur fait revivre le récit de la première assemblé de Chrétiens, récit qu’ils connaissent par coeur puisqu’il le répètent chaque dimanche lors de la messe. Juliette et Romeo n’ont peut-être pas de Bible à lire sinon celle offerte par la culture dans laquelle ils baignent. Leur vérité plus profonde consiste en revanche à formuler à haute voix des maximes conformes à la réalité de leur rapport. Pas pour se donner des conventions. Mais pour se rappeler, lorsque la fatigue et l’angoisse entrave leur alliance, lorsqu’une couche d’opacité se glisse entre eux, ce qu’il y a de fort dans la jeunesse d’aujourd’hui : un rapport paritaire, directe, frontal entre amoureux.
De ce point de vue, une scène entre toutes vient éclairer leur morale. Ils ont résolu de ne pas poser de questions techniques aux médecins. Mais Juliette a envie de briser la règle. Elle le dit à l’oreille de Romeo tandis que le docteur reste silencieux devant eux, derrière son bureau, exclu pour un moment du conseil de guerre qui s’improvise. Une frontière est posée. C’est aussi une limite entre champs d’action que la caméra arpente avec précision chirurgicale, en trois mouvements : champ rapproché sur Juliette et Romeo, contre-champ avec Juliette et Romeo de dos, champ large de Juliette et Romeo avec le docteur de dos, en amorce.
À l’intérieur de leur champ d’action, la morale des amoureux recoupe celle des cinéastes. La solidarité entre les pratiques de deux couples est une conséquence de la mise en abyme. On peut y voir aussi l’inverse. Que cette solidarité entre vie et réalisation soit le prémisse nécessaire à la réalisation du film.
Tout comme le couple d’amoureux, le couple d’auteurs bégaye. Le film ne se donne pas de mode d’emploi. Il ne sait pas comment faire un drame et, d’ailleurs il en a pas spécialement envie. Il avance heureux par zigzags entre comédie, film d’action, mélo, clip... Il sait en revanche qu’il ne peut pas s’imaginer différent de ce qu’il est : un film du jeune cinéma français. Il reprend d’ailleurs des motifs et des solutions de mise en scène souvent vus à l’écran, mais il le fait avec une joie et une conviction tellement inouïes qu’il semble presque s’insurger. Contre la mollesse des personnages et le cynisme des réalisateurs. Contre la difficulté, typique d’un certain cinéma français, d’admirer ses propres héros.
La Guerre est déclarée est la réflexion d’un couple de jeunes gens sur l’état des rapports entre hommes et femmes. Pas n’importe quels hommes et femmes. D’une manière légère mais nette, un milieu social est donné d’emblée : artistes de gauche parisiens. La mère de Romeo est programmatrice de cinéma, séparée de son père, elle a refait sa vie avec une femme. Juliette vient au contraire d’une famille traditionnelle et aisée. Ces deux bourgeoisies, réunies par la bataille en cours, s’enrôlent aisément dans les mêmes rangs. Tout le monde ne peut rentrer dans un tel tableau. Mais c’est un cadre. Et ce cadre contient une image, celle de trentenaires qui se parlent, agissent, se disputent et tentent de s’en sortir. La trame du film – la tragédie et le drame auxquels il nous fait accéder – est quant à elle universelle. Les réactions émues aujourd’hui dans la salle du Miramar le montrent. Mais le pinceau n’hésite pas à dessiner des formes et des teintes hautement résolues.