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Cannes 2011 #18

Aki Kaurismaki

Compétition officielle

Quel rapport y a-t-il entre la voix de Jean-Pierre Léaud et celle d’Eric Besson ? Les deux timbres peuvent-ils s’accorder ? Les deux personnages peuvent-ils dialoguer ? Ce sont les questions que posent Aki Kaurismäki, chez qui le décor du Havre permet d’articuler, de manière à la fois subtile et frontale, la comédie avec le drame de l’actualité, l’inspiration burlesque avec la situation des immigrants sur les côtes de la Manche.

Un homme regarde à sa fenêtre son voisin dîner avec un enfant correspondant au signalement diffusé à la radio. Il appelle la police. Nous ne voyons que ses mains mais reconnaissons les intonations si singulières de l’interprète d’Antoine Doinel. L’idée est doublement bonne, déjouant à la fois l’effet séducteur du clin d’œil et le fantasme de l’anonyme dénonciateur français. A la télé, un reportage sur le démantèlement de la jungle de Calais laisse, off, la parole au ministre de l’Intérieur d’alors. La confrontation est double : interroger le pouvoir de la nostalgie sur l’actualité politique, c’est aussi confronter ce présent à un passé moins confortable.

L’attirail désuet que dispose le film, mignon il est vrai, est tout droit sorti d’un film des années quarante. Il suffit de voir ce cireur de chaussures, ces femmes commentant le scandale du quartier, cette rue sortie d’un film de Carné, ce bar où l’on discute les mérites des régions françaises mais où l’on se tait lorsque un policier entre : Le Havre est un film sur Vichy. Le film ne rabat pas un univers sur l’autre mais invente un espace de circulation entre les personnages des deux mondes. Le geste de Kaurismäki consiste à construire une rue de cinéma au milieu d’un territoire de télévision. La précision du cadre témoigne de la fragilité du studio. Les placards, portes et pans de murs entre lesquels les héros se faufilent menacent à chaque instant de s’écrouler. L’optimisme du film tient ainsi à ce fil mince : si l’Histoire crée des situations de cinéma, la fiction reprendra ses droits sur le constat accablé du reportage télé.

par Arthur Mas, Martial Pisani
vendredi 27 mai 2011

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