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66 mostra internazionale d’arte cinematografica

C comme Chung Kuo

Il y a plus de trente ans, c’est au festival de Venise qu’eut lieu la première du documentaire d’Antonioni, Chung Kuo. On connait la controverse qu’il a engendré, instrumentalisé dans la querelle opposant Jiang Qing, femme de Mao, et Zhou Enlai. Chung Kuo fut interdit de sortie en Chine. C’étaient les soubresauts de la Révolution Culturelle.

La donne a bien changé depuis les années 1970. Contre la tendance Rouge de Jiang Qing, les partisans de l’ouverture économique se sont largement imposés depuis. Directeur de la Mostra depuis six éditions, le sinophile Marco Müller a fortement réactivé la fenêtre ouverte par le documentaire d’Antonioni. Trop selon certains. Cette année Müller donne l’impression d’avoir voulu freiner. En vérité, il a fait un travail de cuisine, en parsemant les productions chinoises dans les différentes sélections. Elles restent nombreuses. Nous en avons manqué beaucoup, dont plusieurs présentés en Orizzonti (le Un Certain regard vénitien). Ceux que nous avons vu mettent en évidence les transformations économiques et politiques du pays. De Chung Kuo aux films chinois sélectionnés aujourd’hui, il semble que la simplicité, l’impressionnisme du carnet de voyage ou de la chronique ne peuvent plus avoir cours. Le « Pays du centre » ne se montre plus au cinéma que dans l’éparpillement (Once Upon A Time Proletarian) ou la confusion idéologique (Judge). L’exception hong-kongaise fait quant à elle toujours un peu rempart au politique – même si la rétrocession est présente comme métaphore dans de nombreux films. HK a fourni le meilleur film, Accident, et le plus mauvais, Prince of Tears. Les deux évoluent à l’abri des péripéties politiques, dans une dynamique de production digne d’Hollywood. Prince of Tears part d’un sujet fort, la chasse aux communistes dans le Taiwan des 50’s, mais n’en tire qu’une romance mouillée.

Les films de République populaire ont à l’inverse les yeux braqués sur le contemporain du pays. Once upon a time Proletarian tente d’en embrasser toutes les ramifications à travers la parole de douze habitants choisis dans tous les horizons sociaux et géographiques. Judge est plus précis. Son sujet est captivant et peu conventionnel. Un juge remet en cause une condamnation à mort qu’il a prononcée à l’encontre d’un voleur de voitures récidiviste. Mais il fallait bien un discours souterrainement orthodoxe pour qu’une production nationale au sujet brûlant - justice chinoise, peine de mort - puisse afficher en pré-générique sa licence de l’appareil de censure. L’élan d’insubordination du juge se moule dans l’esprit des lois : entre la sentence et l’exécution, la législation vieillotte sur le vol est en train d’être modérée.

Sous la volonté de donner l’image du progrès économique et de l’humanisation d’un régime dans son tournant libéral, demeurent de vieux réflexes de représentation  : le personnage du patron en attente d’une greffe de rein est un salaud, la police est bonne parce que prolétarienne etc. C’est un film tiraillé dans son discours entre une idéologie à l’œuvre et une autre de façade. Proletarian dévoilait un peu via ses témoignages, ouvriers et contremaîtres lisant leurs consignes de travail, ce que cette confusion produit de bêtise institutionnelle.
Aucun des deux films n’ont cependant l’ampleur suffisante pour construire un cinéma à l’image de la complexité des transformations actuelles. Once Upon A Time Proletarian semblait plus qualifié, en tant que documentaire produit en indépendant. Mais le titre le dit (le sous-titre plus explicitement encore, 12 Tales Of A Country) : le film fabrique un illustré de la Chine scrupuleusement légendé. C’est résumer en quelques mots ce qui manque d’attention, de générosité, ce qui en fait manque de Jia Zhang-ke dans ce travail.

Judge cache au final un propos sinon radiographique en tout cas militant. De manière fragile, la charpente dogmatique cohabite avec une touchante politique des corps, et c’est là qu’il redevient intéressant. Cela commence comme un film de statues. Des personnages se tenant droits, immobiles et muets dans le cadre. Systématiquement. Ils s’animent à mesure que le film avance. Au début dignes des modèles de Bresson, ils deviennent des acteurs au fur et à mesure. Cela passe par les choix : la redécouverte d’un pouvoir dans le jugement - dans le fait que jugement veut dire critique. Il faut comprendre littéralement ces termes de modèle et d’acteur. Le héros est un juge-modèle qui applique la loi à la lettre, en rouage mécanique de la justice chinoise, mais finit par prendre en charge une vision de la loi. Ses membres en sont tout irrigués : il retrouve un affolement des gestes, et même une voix. De passif, il devient actif.

A propos de passif-actif, hier (11 septembre), dans la micro salle Pasinetti, séance spéciale pour : A day to Remember. Contre toute attente, le jour en question n’est pas le 11, mais le 4 juillet. Le jeune cinéaste Liu Wei descend dans la rue et demande aux gens de Pékin : sais-tu quel jour est-on ? Veux-tu dire quelque chose à propos de cette date ? Personne ne répond.

Un PS sur Marco Müller, notre chinois. Un article paru quelques jours avant le début de la Mostra dans le prestigieux Corriere della Sera le définissait comme un « petit menteur » et un « ancien maoïste ». En Italie, la première insulte est légère. En revanche, la deuxième fait mal. Dans un climat de chasse aux sorcières, ce texte venant d’un quotidien respecté a été la brèche ouvrant la voie à un véritable déluge d’attaques mesquines et aberrantes. Il y a trois jours, Il Giornale, quotidien de la famille Berlusconi, titrait : « Pourquoi a-t-on un maoïste comme directeur de la Mostra ? » Facile de répondre. Cela pourrait commencer par : parce qu’il parle plusieurs langues, dont le chinois. Parce qu’il a une expérience forte et surtout parce qu’il a su inventer et diriger de magnifiques festivals (à Locarno d’abord, puis à Venise). Mais par cette voie on finit par parler de cinéma, ce à quoi la presse italienne est absolument imperméable. Le lendemain, la Mostra faisait à nouveau la une du Corriere. Cette fois-ci Pier Luigi Battista signait un édito contre la gauche qui contrôle Venise et se plie à l’arrivée de Chavez. Ce dernier, de passage pour assister à la projection du film d’Oliver Stone, où il est longuement interviewé, a été en effet bien accueilli. Comme il se doit. Battista se permet le luxe de définir Chavez comme dictateur et le Venezuela pays sans liberté de presse. De l’extérieur, tout cela ressemble à un film comique. En vérité l’air à Venise est vraiment irrespirable. Pendant 12 jours un vent amène ici le souffle du reste de la Botte. Et cela peut donner envie de vomir.

par Eugenio Renzi, Olivier Waqué
mercredi 9 septembre 2009

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