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The Road  de John Hillcoat

S comme Survivre

6.2

Survivre à deux films vraiment pas bons (Barìaa, Life during wartime) c’est aussi apprécier en contrepartie un film moyen, The Road de l’australien John Hillcoat.

Hillcoat est un spécialiste du clip et du film rock. Peu de fictions dans sa filmographie. La dernière en date était The Proposition en 2005, d’après un scénario et avec une partition de Nick Cave, souvent son complice. Cave signe ici à nouveau la musique. Sobre, pourtant. Hillcoat vidéaste et rockeur fait profil bas en se pliant à l’écriture sèche du roman de Cormac McCarthy. Un piano au lyrisme discret et des bruitages d’ambiance pour un récit post-apocalyptique, les déambulations d’un père et son fils dans un monde ravagé dont ils sont parmi les derniers survivants. Quelque chose du Manhattan carcéral de New York 1997 de Carpenter : toute personne croisée est un danger, les bandes font la loi. Mais les murs qui encerclent l’espace chez Carpenter n’ont ici pas cours : prison globale plutôt. En arrivant sur la côte l’océan fait un nouveau mur. L’humanité entière, privée de toute ressource animale ou végétale, est une espèce agonisante. La marge est devenue une norme de fin du monde, vaste terrain vague de SDF, bonnets et chariots dont tous les protagonistes sont affublés. Un peu comme dans Les Enfants de l’Homme d’Alfonso Cuaron et sa seule femme enceinte dans un monde devenu stérile, les deux héros portent l’espoir du genre humain. Pas son avenir, le combat semble déjà perdu, mais plutôt son honneur, un acte de pur prestige avant de disparaître pour de bon. Ne pas se livrer au cannibalisme, partager la nourriture qu’on trouve, assurer sa survie sans devenir soi-même agent de destruction. Une sorte de rachat symbolique pour l’humanité avec refrain messianique : le père considère son fils comme « un dieu », « le dernier dieu » précise un vagabond qu’ils croisent. Dans un monde nu, innocence et épreuve de la souffrance guident un regain de spiritualité. Dieu ne s’éteindra pas avant le dernier des hommes. La tête ainsi courbée, le film n’est évidemment pas à son meilleur. Son travail sur la chair du corps-martyr a plus d’intérêt, image éprouvante dans un sous-sol d’hommes enfermés sans nourriture, corps décimés, chair, déjections, sang, image fugace mais centralisant toute la peur que diffuse le film, la représentation de la mort qui suinte du corps vivant ou se dessine dans sa maigreur. C’est ce qui fait de The Road un survival a part, où l’on doit survivre a son être autant qu’à son environnement. Certains y auront reconnu un trajet proche de celui du Bobby Sands de Hunger et de ses plans d’oiseaux : réunion de l’abstrait, le spirituel, et de l’hyper-concret, le corps-matière. Dans Hunger, de l’exhibition de la matière au symbole sacrificiel, il y avait un trait-d’union politique. Ici, béance dans le propos.

Le millénarisme est encore en très bonne santé. A dix ans du onze septembre et contre toute attente, le millénarisme continue à nourrir des récits. Au film de John Hillcoat, il faudrait ajouter Life during wartime de Todd Solondz, beaucoup moins bon que le morceau des Talking Heads. La liste est destinée à s’allonger et (c’est l’espoir) à s’améliorer avec Romero et Dante. Mais on peut d’ores et déjà tenter de formuler une impression : que si l’Apocalypse ne passe pas de mode, elle change de nature en passant du pur messianisme (ce qui est à venir) au projet utopique (ce qu’on voudrait voir venir). C’est très frappant dans Les Derniers jours du monde, où la catastrophe déclenche enfin la réalisation en ville de l’utopie érotique et montagnarde des frères Larrieu. Loin des Pyrénées, des toréadors et des vagabondages d’Amalric, ici à la Mostra, The Road avance sur un tout autre créneau - gris, sombre, puritain - à la recherche d’une nouvelle théologie. Les deux films n’ont qu’un seul élément en commun. Ni l’un ni l’autre ne nous expliquent d’où vient, ce qui provoque, ce qui déclenche la catastrophe. Cela reste abstrait, comme il se doit lorsqu’il est question d’un désir pur, recommencer à zéro.

par Eugenio Renzi, Olivier Waqué
jeudi 10 septembre 2009

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