450 km séparent Locarno de la Croisette, et 433 km de la Mostra (dans l’itinéraire googlemap en cochant la case « éviter les autoroutes »). Pourtant, le festival de Locarno a été dans son histoire plus proche de Venise que de Cannes, beaucoup plus que les 17 km indiqués sur le compteur. On trouve à cela plusieurs raisons, toutes assez raisonnables. La langue dominante du festival, qui a lieu sur la branche suisse du Lago Maggiore, est l’italien, ainsi que la nationalité des équipes. Italien était aussi l’ancien directeur Marco Müller qui, à sa tête entre 1992 et 2000, en renouvela l’identité insistant sur une politique double : tropisme chinois et vague vidéo. Formule heureuse, qui se retourna contre le festival lorsque Müller déménagea à Venise avec ses idées et son carnet d’adresses. Sur le Lac on se souvient encore de l’époque Irene Bignardi comme d’un cauchemar très cher payé. Et de la gestion Frédéric Maire comme d’une sage administration.
Olivier Père a redonné de l’allure et un véritable cap. Aujourd’hui, Locarno apparait beaucoup plus proche de Cannes que de Venise. Nommant Frédéric Boyer à la tête de la Quinzaine, la Société des Réalisateurs français a offert à OP deux ans de temps pour ramasser tout ce qu’il avait construit entre 2004 et 2009. Ce dernier n’a pas hésité. Les sélections débordent de quinzenaires. Ceux qui n’ont pas de film sont simplement membres du jury. Et ceux qui sont dans le jury parfois ont aussi un film (hors compétition). Résultat : tout le monde est là. En vrac : Rabat Ameur Zeïmech, Raya Martin, Louis Garrel, Rebecca Zotlowski, Shinji Aoyama, Sophie Letourner (qui tourne un film où Locarno interprète Cannes), Joao Pedro Rodrigues, Nicolas Klotz... Locarno n’est pas pour autant un simple copie collée de la vieille Quinzaine. L’édition 2011 n’est pas sans nouvelles entrées dans le circuit OP. En best of : Valérie Massadian (pour son premier film), Adrian Sitaru, Stefano Savona. Des rétrospectives, des hommages et des films suisses continuent la tradition et complètent le cadre. D’autre part, l’essentiel de la politique d’OP, dans cette guerre déclarée à son ancien festival, consiste moins à approcher Locarno de la Croisette qu’à lui siphonner les énergies. Pour l’instant, il gagne haut la main.
Cette politique diffère essentiellement de celle de son précedesseur, Marco Müller. Ce n’est pas un geste intellectuel. Ce n’est pas, comme la politique de la vidéo de M.M, une manière d’élire un certain cinéma et d’utiliser le festival pour le soutenir. On peut dire qu’il s’agit très généralement d’une question de goût. Afin de préciser, un parallèle avec une revue, les Cahiers, peut aider. Locarno de M.M rassemblait aux Cahiers de Narboni et Daney, qui pendant dix ans ont utilisé la Revue (le nom, l’aura, les lecteurs...) comme un moyen de faire de la militance critique : soutenir certains auteurs, un certain cinéma, oublier le reste. Ces Cahiers-là ont été retournés comme une veste par Serge Toubiana, qui était beaucoup moins intéressé par le cinéma que par cette revue, qu’il a administrée comme un fin en soi, la transformant en un Panthéon institutionnel où tout les grands sont admis, morts ou encore vivants, de préférence zombies, n’hésitant pas, pour sauver les apparences, à faire appel à des rédacteurs en chef moins cyniques et plus cinéphiles que lui. Chez O.P il y a peut-être un côté sergetoubianesque – politique au sens strict. Mais aussi, et cela le rend plutôt sympathique, un autre côté : sincère, passionnel, enfantin – un côté thierryjoussif. La politique de la « revue » d’OP est en effet double. Elle se demande ce que le cinéma peut faire pour Locarno mais aussi ce que Locarno peut faire pour le cinéma. Les deux directives, en l’apparence opposées, se soutiennent mutuellement ; comme les personnages de certains films d’Hitchcock, elles sont tellement doubles qu’on ne saurait dire quelle cause elles défendent, le bien ou le mal ; pour sûr, elles peuvent mener loin.
L’obstacle majeur au succès de Locarno est un facteur structurel : le nombre limité des chambres d’hôtel, la distance qui le sépare de l’aéroport de Milan et les prix suisses handicapent sa réussite. En dépit de ça, je serais impressionné, mais pas étonné, si dans cinq ans Locarno arrivait à détrôner Cannes de la place du festival le plus important du monde.