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manolo de l’olive

alias : Le bouclier et le cure-dent

L’autre soir à la Shadothèque, salle pleine à craquer pour l’avant première de L’Etrange face d’Ange Leccia de l’impérissable Manuel Olivolo. Ce fut pour moi un immense honneur d’accueillir dans les locaux du fifty-one le doyen des cinéastes, venu présenter à un public trié sur le volet son dernier film après un an d’absence sur la scène internationale. La Shadothèque, son président Costaud Grave et moi-même avions déployé les grands moyens pour l’accueillir, lui et son équipe qui compte quelques techniciens renommés – français de surcroît. Ce que j’admire profondément chez ce grand humaniste, c’est sa francophilie. N’oublions pas qu’il a fait tourner devant sa caméra les plus grands. Cathy Devieille, et sa fille Charade Minestroianni dans L’E-mail, adaptation contemporaine du célèbre roman de Miss de Sévignoc. Pulle Auger dans Elle toujours, la suite du chef d’œuvre de Louis Buenos. Et bien sûr Mike Piccololi, qui s’est déplacé pour l’occasion – celui-là il ne raterait un cocktail pour rien au monde. Il a bien fait Mimi, on sait recevoir au palais du Colonel Shad, et ce n’est pas la crise qui va nous arrêter.

Une atmosphère vibrante régnait au Palais. Chacun avait le sentiment que le rayon de l’élégance venait se poser sur ce monument élevé au mérite et à la classe. On avait dressé les tables remplies de canapés à côté de la librairie, et débouché le Dom Pérignon grande réserve. De la cave à la mezzanine, les employés de service étaient au taquet. Je ne sais pas ce que je ferais sans mes braves parfois. Lundi même, les pauvres ont été pris à parti par des spectateurs barbus au rez-de-chaussée du Palais. Les pigeons n’ont pas apprécié de voir passer les caisses de champ’ pendant qu’il faisaient la queue pour prendre leurs places. Je suis évidemment le premier à reconnaître à la masse le droit de voir le film et de rendre par là un hommage à la grandeur du Cinéma. Et très reconnaissant de l’apport de 110 euros, qu’à travers la carte subventionnée, ils donnent à la cause du Cinéma Libre. Mais cela ne me rend pas aveugle. Je vois très bien la subversion se dissimuler derrière leur engagement. Même Frodinou, qui est pourtant sapé comme un Hobbit, ferait la différence entre un cinéphile genre tweed et un véritable ami de la Shadothèque, en Armannoli comme il se doit. Jack Rippette le disait déjà il y a soixante ans : « L’élégance est la marque du génie des beaux gosses ». Il devraient quand même connaître ça les péquenots, et s’en souvenir avant de vouloir grimper à l’étage ! Mais le calcul des mécréants est vain si dans l’âme des vrais cinéphiles la mezzanine demeure l’avenir du Cinéma, si le cocktail est réservé pour toujours à ceux qui sont bien habillés, et si Shad se tient à la tête de cette assemblée.

Toute ma vie je me suis fait une certaine idée du Cinéma. Le sentiment me l’inspire aussi bien que la raison. Ce qu’il y a, en moi, d’affectif imagine naturellement le Cinéma tel le prince des contes, voué à une destinée héroïque et glorieuse. S’il advient que la médiocrité s’empare parfois des salles, j’en éprouve la sensation d’une absurde anomalie. Mais l’optimisme de mon tempérament me convainc que le Cinéma n’est réellement lui-même qu’au premier rang, celui des places réservées. Bref, à mon sens, le Cinéma ne peut être le Cinéma sans la mezzanine. Ce que je sais des hommes et des choses ne me laisse pas d’illusions sur les obstacles à surmonter pour affirmer cette vision. Il y a toute une montagne d’objections, que dis-je, de calomnies opposées par de faux cinéphiles. Il y a surtout, de la part de ceux qui visent à la subversion, la volonté d’utiliser des arguments soi-disant démocratiques pour imposer le chaos. Quant à Shad, c’est en épousant, sans ménager personne, la cause du Cinéma, qu’il instaure le goût et l’ordre des choses. Ceux qui protestent ne représentent d’ailleurs qu’un groupuscule de jeunes excités qui ne veulent pas accepter l’évidence. Ça existe la France d’en haut. Je vais même vous faire une confidence : c’est moi qui ai soufflé l’expression à Raffarino après une séance de La Soupe aux Choux à Chaillot. « Colonel Shad, me répondit plein d’élan cet homme humble et généreux, vous êtes notre bouclier et notre épée ». Vous me flattez Raffarino. Mais l’épée du Cinéma Libre est courte, lui répliquai-je en levant vers lui mon Martini extra dry, comme le cure-dent qui pourfend cette olive. Et à vous tous, chers cinéphiles, je vous dis : « Sans rancune les gars, collaborez, installez-vous dans la salle en attendant qu’on ait fini l’apéro. »

Tous les lieutenants du Colonel Shad étaient réunis pour cette avant-première exceptionnelle. Entre deux cirages de pompes, j’aperçus Domino Panini en mode all you can eat devant le buffet de petits fours. Je ne me suis pas gêné pour lui balancer une vanne de mon cru : « Fais gaffe Doudou, un Olivieillo en pleine digestion c’est la sieste assurée ». C’est à peine s’il n’est pas tombé à la renverse tellement il se marrait. Pour un peu il en perdait sa moumoute poivre et sel. Dans les couloirs, j’échangeai quelques mots avec Charley Tucson en mission pour la Revue. Charley avait écrit de très belles pages sur Singularités d’une vraie blondasse, film chaudement recommandé par Bergalo dans son expo sur les poils pubiens. « Oliviagra redresse l’envie de cinéma » me disait Allan, connaisseur, « Il est comme les grands peintres, toujours vert après quatre-vingt ans. On l’a souvent traité de réac mais pour lui il n’y a qu’une seule politique, qui est aussi une poétique, celle de la jeune fille ». La réplique fait mouche, je la note immédiatement dans mon Moleskine camaïeu pour une prochaine présentation.

Olivaro est la preuve vivante que la retraite à soixante ans est une absurdité. Ce grand bonhomme du cinoche a tout connu : l’orthochromatique, le muet, le cinémascope, Avatar. 102 ans d’âge, il a de la bouteille le porthos. Il buvait déjà du Red Dog quand nous étions encore en couches culottes. Nous ne pouvons que rester humbles devant un tel parcours. L’année dernière, sur la Croisette, j’étais membre du jury Incertain ringard présidé par Claire Dequoi. Nous avions à « juger » le dernier film d’Oliavarié. Situation délicate. J’ai demandé conseil à ma vieille copine Isabelle Huppé, qui m’a aussitôt confié : « Fais comme moi avec Alain Renié en 2009, donne-lui le prix du meilleur vieux ». Isabelle a tout compris, ce twist of Shad lui est dédié. On a donc filé le grand prix à un jap à la mode, Hong San Un Sou, pour un truc qui s’appelle Oh La La ! Trop claqué après la fête d’Oliver, j’ai personnellement pioncé pendant toute la projo. Mais Frank Raubert m’a assuré que c’était romeurien, alors pourquoi pas ? Et puis il m’a fait de la peine le San sou : depuis que Malin Kermit l’a laissé tomber, il a du mal à joindre les deux bouts. Avec cette récompense il pourra mettre du soja dans sa salade tofu. Cerise sur la pastèque, on lui consacre le mois prochain une rétro intégrale. Vingt heures de cinéma chinois, pas très sexy je vous l’accorde. Mais ne vous inquiétez pas : on trouvera un moyen de faire venir Hong de Thaïlande pour une surprise party façon Shad. Quand je vous disais que la Shadothèque était vraiment the place to be.

par Shad Teldheimer
mercredi 23 février 2011

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