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Putty Hill  de Matt Porterfield

Outside Baltimore

6.5

Tout commence par un paint-ball énergique. Très vite, le cadre délaisse le terrain de jeu pour fixer un jeune garçon aux cheveux longs fraîchement éliminé de la partie. D’abord anodines, les questions du cadreur deviennent pressantes. Elles se détournent vers le frère de Cory – adolescent mort d’une overdose – son ressenti, et les relations qu’il entretenait avec le frère disparu. A-t-il déjà assisté à un enterrement ? Où pense-t-il que son frère repose désormais en paix ? Les premières minutes entretiennent le doute : fiction ou documentaire. Après le générique de fin, l’indécision demeure par l’effet d’un dispositif qui navigue entre interviews et caméra plus lâche captant des moments de vie d’adolescents de la communauté. Il semble pourtant que les histoires ne soient pas fictives, simplement réagencées. Beaucoup d’éléments renvoient le spectateur sur le terrain de la fiction. Le coup est classique. Dans le cinéma réaliste, on part de situations ou évènements réels et existant pour créer des personnages : organiser du faux pour revenir à une forme de vérité. Ici, c’est le principe inverse du documenteur, qui remet en scène et dispose d’un espace décollant vers l’appareil de fiction.

Matt Porterfield recompose le portrait de famille de Cory en convoquant l’entourage du jeune disparu. Ses deux soeurs reviennent du Delaware, un dealer raté raconte son amitié née en prison avec Cory. Les gens qui l’ont connu racontent avec émotion sa bonté. Or le générique indique que la photo du défunt est celle d’un acteur. En un sens, le détail ne poserait aucun problème si le film n’était pas si flottant. La plupart des scènes sont jouées avec beaucoup d’effort. Les parties les plus documentaires en revanche ne sont ni les plus justes ni les plus intéressantes. Putty Hill devient beau lorsqu’il dresse le portrait d’une jeunesse cassée, errante, qu’il aère le cadre pour rejouer librement des scènes de la vie quotidienne. Il cède néanmoins à quelques facilités. La scène du buffet de l’enterrement déçoit, défilé paresseux d’hommages et de chanson. C’est lorsqu’il s’écarte des ficelles habituelles du documentaire, du dispositif de fausse confidence, que le film touche. Il y a par endroits des scènes fortes : la vie impossible entre un père, tatoueur et ex taulard, et sa fille Jenny qu’il n’a jamais élevée, qui trouve le moyen de lui crier enfin sa haine. Dans une autre moment, on est suspendu aux silences énigmatiques d’un junkie vivant au crochet du foyer, piquant une tête tout habillé dans la piscine de ses parents, post-ado sorti d’un film de Gus Van Sant ou de Larry Clark au sourire vicieux et à la gueule d’ange.

Un autre grand personnage envahit le projet de Porterfield : Baltimore. Putty Hill est une ancienne banlieue du Nord-Est de la ville où le réalisateur a grandi. C’est cet entre-deux qui intéresse le réalisateur, d’un quartier à la fois dedans et dehors. On pense à The Wire. Et plus encore à The Corner (HBO, 2000), autre série signée par David Simon et composée de six épisodes sur des toxicomanes de Fayette Street. Même principe indirect : la caméra interpelle un personnage, discute avec lui, puis laisse la parole et l’action à la fiction. La principale qualité de Putty Hill est la douceur de son regard, l’impression discrète d’un portrait amoureux et flâneur entre les moments de désespoir : se réunir dans une chambre aux allures de squatt, se balader en forêt et se baigner avec les garçons, aller au skate park ou fumer des joints. L’errance s’achève sur le flou d’un trajet nocturne sur l’autoroute, lorsque Zoe et une amie reviennent de la maison de Cory, perdues comme de petits halos de lumière dans la nuit.

par Thomas Fioretti
mardi 27 septembre 2011

Titre : Putty Hill
Auteur : Matt Porterfield
Nation : États-Unis
Annee : 2010

Avec : Sky Ferreira, Cody Ray,
Dustin Ray, James Siebor Jr,
Zoe Vance, Charles « Spike » Sauers.

Durée : 1h27.

Sortie : 07 septembre 2011.

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