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37e Festival international du court métrage #1

Clairon fermant

Clermont-Ferrant, 27 janvier/4 février 2012

Cette année, à Clermont-Ferrand « Il fait froid ! » fait office de « bonjour ». Météo sibérienne qui ne décourage pas un public nombreux et varié. On se presse dans les salles liées à l’événement comme dans un foyer. Les recalés (les fins de queue) manifestent leur sentiment d’injustice et négocient en vain auprès des bénévoles encadrant les séances. Pour ceux qui entrent, ils sont ravis : la programmation du cru 2012 a compté de beaux films. Les séances se ressemblent toutes, les courts sont regroupés en paquets (de cinq généralement) aléatoires, et chaque œuvre est suivie immanquablement par deux séquences d’applaudissement (1.générique 2.lumière), créant une parité quasi jacobine entre des objets différents. Certains survolent la foule de leurs semblables, et font le succès du festival. Ce succès, ou du moins le zèle des organisateurs et du public, est d’autant plus remarquable que les finances vont mal, et que la pérennité de l’événement est en question.

D’ailleurs on ne le dit jamais trop : c’est la crise. Le festival en a pris bonne note, et sa programmation a fait la part belle aux courts métrages de dépression. Aux côtés de films un peu éculés sur le sujet, quelques réalisateurs signent des œuvres saisissantes et situées plus ou moins près de l’œil du cyclone économique. Parmi elles, La Dérive, de Matthieu Salmon : une cinquantenaire fraîchement licenciée d’une imprimerie et désœuvrée passe ses journées auprès de son ancien lieu de travail, sous prétexte de rendre visite à ses collègues. Ceux-ci, d’abord accueillants, chassent petit à petit et de plus en plus brutalement (jusqu’au lancer de cailloux) la chômeuse, qui met en péril l’intégrité de leur territoire. Soutenu par une bande-son angoissée et un choix des décors astucieux (les friches de la périphérie de Paris, eaux troubles dont la dérive est le mouvement naturel), le film de Matthieu Salmon saisit habilement les enjeux sociaux du licenciement.
Si l’héroïne éponyme de Douce, de Sébastien Bailly, est aussi victime de licenciement, c’est par crise sentimentale et non économique. La jeune infirmière s’éprend inopportunément d’un homme dans le coma, et son appétit sexuel enflamme l’atmosphère froide et chirurgicale de l’hôpital…
Du côté de la crise sociétale, on a pu découvrir l’ambitieux Sur la route du paradis, d’Uda Benyamina ; autour de l’histoire d’une sans papiers et de ses deux enfants, la cinéaste marie un mise en scène urgente (vive et près des corps) à une fantaisie « damnés de la terre » proche de celle de Gatlif.

Le cinéma asiatique se porte bien, ses courts sont parmi les plus remarquables du festival. À commencer par Night Fishing, le petit exploit (tourné à l’iPhone) de Park Chan-wook, primé à Berlin mais passé relativement inaperçu à Clermont-Ferrand. Dans ce film sur le passage d’un monde à l’autre, l’image saisit le spectateur par sa patine quotidienne sublimée en trip morbide et stylé.
Beaucoup moins ébruité encore, Bermula dari A (A partir de A), de l’Indonésien BW. Purba Negara, traite avec pudeur un sujet on ne peut plus pathétique : une jeune aveugle apprend à un jeune sourd à prononcer une phrase que l’on ne saisit qu’à la fin du film. Cet apprentissage laborieux est bien sûr l’occasion de la naissance du sentiment amoureux, mais débouche finalement de façon déceptive sur la prononciation de la fameuse phrase : « dieu est grand », qui sonne comme un substitut à leur relation.
La naissance du sentiment amoureux était aussi au centre de Little precious, du réalisateur Austro-Chinois C.B. Yilin. Succession de tableaux illustrant le quotidien de son héros, le film présente la jeunesse chinoise embarrassée de sa puissance fragile, et devant réinventer un mode de séduction adéquat.
À l’opposé des longs plans fixes de Little precious, on a pu voir Twenty dollars de la Chinoise See Chit Lam ; la circulation (vol puis récupération) d’un billet de vingt dollars est ici prétexte à des plans-séquences en steadicam habilement chorégraphiés. Malheureusement, les beaux gestes de mise en scène ont pâti d’un problème touchant plusieurs films du festival : l’indignité de la copie. Probablement due à un problème de compression numérique, cette copie faisait l’effet de sortir tout droit de feus les sites de streaming, et rendait sa vision très précaire. Parmi les autres films souffrant du même travers, Al Hesab (Le Compte), film égyptien d’Omar Khaled, préserve malgré les défauts de l’image sa force d’évocation de la violence sociale en Egypte.
C’est finalement coréen le Grand prix de la section internationale, avec le consensuel mais léché Guest de Ga Eun Yoon.
Signalons enfin Time of Cherry Blossoms, film d’animation du taïwanais Shiu-Cheng Tsai dont la richesse des textures et la profusion de couleurs n’a rien à envier aux maîtres nippons du genre.

Le cinéma d’animation était d’ailleurs bien représenté cette année (heureusement), et il a été récompensé (légitimement). D’origines et de conceptions diverses, il faut citer Posledny autobus (Le dernier bus) des slovaques Martin Snopek et Ivana Laucíková, Keha mälu (La Mémoire du corps) de l’estonien Ülo Pikkov, tous deux primés par le jury de la sélection internationale, O Céu ne andar de baixo (Le Ciel d’en bas) du brésilien Leonardo Cata Preta, ou encore Conte de faits de Jumi Yoon, emportant le prix de l’animation francophone. Le tendre Belly, dessiné par Julia Pott, sort quant à lui médaillé de la section Labo.
C’est surtout du côté de la sélection française que des œuvres se sont démarquées, en particulier au cours de la remise des prix. Mollement, un samedi matin, de Sofia Djama (que nous avons manqué) a ainsi reçu deux récompenses, tout comme La Sole, entre l’eau et le sable d’Angèle Chiodo. Grimé en documentaire animalier (par la voix-off notamment), l’image dévoile petit à petit le sujet du film : une jeune fille joue à l’exploratrice chez sa grand-mère, et fait participer celle-ci à son conte et à ses virtuoses bricolages à la Gondry. Angèle Chiodo, jeune diplômée de l’EnsAD (les arts déco), assume un ton enfantin et un regard tendre-amusé sur le rapport grand-mère/petite fille qui, sans être très original, emporte franchement le spectateur dans l’« on ferait comme si ».

Le film le plus présent au palmarès, avec trois mentions, étant Ce qu’il restera de nous, du comédien/metteur en scène Vincent Macaigne. Nous avons passé la journée précédant la remise de ses prix à ses côtés, et un portrait lui étant consacré sera bientôt disponible, dans lequel nous reviendrons sur ce premier film violent et généreux.

Enfin, un court métrage singulier (c’est pourquoi il intervient ici sans transition) a retenu notre attention, à défaut de celle du jury. Artificial Melodrama, de Giovanni Fontani Modena, abuse d’un esthétisme à la Wong Kar-Wai (voire à la Gaspard Noé) et d’effets kitsch d’appareil pour développer un mélodrame tout à fait poseur et creux, situé à Singapour. Au-delà d’une jouissance cynique rappelant Lost in translation de Sofia Coppola, Artificial Melodrama a le mérite de rendre compte de l’océan nauséabond des images publicitaires et de leur vanité shiny, en les surexploitant sans ménagement. De ce court métrage déroutant pourrait bien émerger un cinéaste sachant quoi faire des images contemporaines…

par Louis Séguin
vendredi 10 février 2012

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