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34e Festival du Réel

Notes du vendredi 23

Billet #1

Billet #11

Notre corps est une arme (Combattants #8) , Clarisse Hahn, trilogie (en voie de développement) composée de : Prisons, 12min ; Gerilla, 19min ; Los Desnudos, 16min.
7.3

Espoir-Voyage, de Michel K. Zongo, Burkina Faso-France 2011, 81h 22min, (Compétition premiers films)
8.0

Après le silence (Ce qui n’est pas dit n’existe pas ?), Vanina Vignal, France-Roumanie 2012 , 1h35min. (Contrechamp français)
7.0

Recuerdos de una manana, Jose Luis Guerin, Corée du Sud 2011, 0H 45 min, (News from...).
8.0

Billet #10

Tiens Moi Droite, de Zoë Chantre, France 2011, 1h04min. Contrechamp français.
5.2

Bachelor Mountain, de YU Guangyi, Chine 2011, 1h35min. News from...
6.5

Billet #9

East Hastings Pharmacy, Antoine Bourges, Canada, 2011, 0h46min. (Compétition internationale)
4.0

East Punk Memories, de Lucile Chaufour, France, 2012, 1h20min. (Contrechamp Français).
4.0

Billet #8

River Rites, Ben Russell, États-Unis, Surinam, 2011, 11min.
8.5

Two Years at Sea, Ben Rivers, Grande-Bretagne, 2011, 1h 28min.
6.9

Autrement, la Molussie, Nicholas Rey, France, 2011, 1h 21min.
Non noté

Billet #7

Five Broken Cameras, Emad Burnat et Guy Davidi. France, Israël, Palestine 2011.
8.0 (Compétition premiers films).

Billet #6

Les Hommes de la Baleine, M.R. France, 1956, 26 min.
8.5

Vive la Baleine, M.R. France 1972, 17 min.
7.2

Mario Ruspoli : prince des baleines

Florence Dauman, France, 76 min
(pas de note)

Billet #5

Orquestra Geraçao

Filipa Reis et Joao Miller Guerra, Portugal 1h 03min
6.1 (Compétition internationale)

Henri Hudson and his son, Federico Pezdirc, Espagne 0h 20min
3.8 (Compétition courts).

Dusty Night, Ali Hazara, Afghanistan, France 0h 20 min.
5.9 (Compétition courts).

Earth, Victor Asliuk. Biélorussie, 0h 33 min.
7.6 (Compétition courts).

Billet #4

Kako sam zapalio Simona Bolivara [The Fuse : Or How I Burnt Simon Bolivar], Igor Drljaca, Bosnie Herzégovine, Canada 2011, 9 min. (Compétition courts)
6.3.

Découverte d’un principe en case 3, Guillaume Massart et Julien Meunier, France, 2012, 0h59min.
5.0 (Contrechamp français).

Billet #3

Soreiyu no kodomotach [Children of Soleil], Yoichiro Okutani, Japon 2011, 1h47mn (Compétition internationale premiers films).
3.8.

Billet #2

Dochters, Marta Jurkiewicz, Pays-Bas, 2011, 23’, (Compétition courts-métrages).
5.3.

L’Oiseau sans pattes, Valérianne Poidevin, France-Suisse, 2011, 65’, (Contrechamp français).
7.7

Billet #1

Snow City, Tan Pin Pin, Singapour, 15’, 2011.
4.2

Automne, Dmitri Makhomet, France, 26’, 2012
4.5

Los Animales, Paola Buontempo, Argentine, 8’, 2011
7.0

Four Months After, Yuki Kawamura, Japon/ France, 12’, 2011
6.3

Combattants #2 : La decisión de vencer, Guillermo Escalón, Salvador, 63’, 1981
5.5

Bestiaire, Denis Côté, Canada, 72’, 2012, (Compétition Internationale).
7.7

Billet #0

A nossa forma de vida, Pedro Filipe Marques, Portugal, 2011, 91’
6.0

Snow City, Automne, Los Animales, Four Months After, Combattants #2 : La decisión de vencer, Bestiaire, Un archipel, La cause et l’usage.

Morts et vivants

par TF

Snow City

Tan Pin Pin, Singapour, 15’, 2011.
4.2

Premier décalage spatio-temporel : les images de Snow City datent de 2006. Elles sont à l’origine des rushes du long métrage Invisible City (2008, diffusé au Centre Pompidou en 2010). La réalisatrice avoue à demi mot avoir préparé à la hâte ce montage de chutes, et Snow City déroute par la fragilité du geste et une ampleur qui ne colle pas avec sa durée. Obsédé par la représentation de la ville et ses mutations, Snow City s’ouvre par l’inauguration d’un grand réseau routier à Singapour, puis saute des grands ensembles modernes aux natures mortes – raccord qui coulent comme de paisibles cours d’eau – pour à nouveau glisser de manière non contigue aux employés de bureau, puis de revenir dans un complexe intitulé Snow City, parc artificiel pour loisirs de glisse et activités d’hivers. Un plan me frappe : un ours polaire filmé de prêt se débat péniblement dans son aquarium. Pendant quelques secondes, les natures mortes laissent place à la vie, mais une vie sous respirateur artificiel, et une forme de spleen nous envahit quand on pense à tout ce pan de nature qui risque de disparaître.

Automne

Dmitri Makhomet, France, 26’, 2012
4.5

La timidité – à la fois celle de Dmitri Makhomet et celle de son film Automne – révèle encore une démarche double, à la fois universelle et familiale. On repense alors au film que nous avons vu hier soir : A nossa forma de vida, en anglais The Way We Are. Les homme avancent dans l’âge et dans la vie et les choses sont comme elles sont. C’est un peu le problème d’Automne, qui semble tracer en quelques longs plans la vie, minimale et rurale de sa grand mère, qui ramasse du bois dans le village natal du réalisateur. Aucun doute sur sa sincérité : en filmant sobrement et soigneusement son quotidien, de manière mutique, Makhomet raconte un peu l’histoire de toutes les vieilles dames, de toutes les ruralités. Appliqué dans les moindres cadres, on se demande si le silence et l’austérité affichés du projet ne cachent pas une petite facilité. Un plan s’attarde un peu trop sur les patates et son dîner, le rythme est répétitif au bout de quelques minutes. Il paraît qu’un tornade – évènement anormal en Biélorussie – est le résultat des forêts dévastées, celles que la grand mère du réalisateur traverse pour ramasser les branches cassées afin de se chauffer. Mais le film est distant sur ce phénomène climatique inquiétant, et ne fait qu’exposer sa beauté et sa rugosité, certes pas inintéressante, alors qu’il pourrait évoquer le trouble d’un monde en mutation, en faire son vrai sujet. (Deuxième vague de légers soupirs ce soir).

Los Animales

Paola Buontempo, Argentine, 8’, 2011
7.0

Les huit minutes de Los Animales nous ravivent. Surprise, c’est par un premier artifice qu’on ouvre le « bestiaire » (le film du même nom de Denis Côté est projeté ce soir, c’est de circonstance) : avant de voir les fauves, Paola Buontempo ouvre son film en montrant la ville de Plata par la reconstitution d’une maquette. La voix off évoque la disparition de la présence des animaux dans la ville, la cruauté des hommes qui a expurgée la présence animalière. Ce début scolaire se brise pourtant lorsque la caméra pénètre le zoo. La suite saute dans un registre inhabituel du documentaire : la lumière artificielle des mandarines fait apparaître de façon magique les félins en cage. Moment somptueux, bercé par un montage son d’ambiances nocturnes et de râles d’animaux superposés, dialogue lointain avec le tigre en night shot de Tropical Malady. Dans cette fabrication, toute présence humaine n’en est que plus inquiétante : blouse blanche, face à nous, c’est maintenant le taxidermiste qui nous regarde droit dans les yeux. Fatalement, les animaux finissent par mourir, et au musée comme au zoo, leur regard ne nous répond rien de plus. (Et cette mélancolie qui refuse décidément de quitter l’image).

Four Months After

Yuki Kawamura, Japon/ France, 12’, 2011
6.3

Instant surréaliste : Yuki Kawamura, qui a filmé dans la zone portuaire de Tohoku (situé loin de de Fukushima), tient à préciser que son documentaire ne porte pas sur la catastrophe nucléaire le 11 mars 2011, ni n’est tourné sur les lieux proches de la centrale. En s’excusant presque, l’aveu, d’une grande humilité, interroge déjà sur la forme d’un regret. Four Months After donne pourtant l’impression d’un témoignage indispensable, questionnant sur le processus de fabrication et d’enregistrement du monde qui vient après. Tout ce que la caméra capture dans le champ est forcément une manière arbitraire de filmer les restes du monde. Ce réel, si prégnant -amas de tôles, de ferrailles entremêlées, paysages désertiques et dévastés- qu’il en devient pure abstraction. Les cadres panoramiques, hésitants, et le choix d’un son brut témoignent autant d’une indécision que d’une violence formelle assumée. On a encore en tête le sidérant montage photo qui circulait il y a quelques semaines sur internet , montrant les prises de vues des mêmes endroits photographiés avant et après la catastrophe. Un sentiment d’impuissance totale en même temps qu’un sentiment enfoui, un peu honteux, de trouver grandiose ce nouveau témoignage d’une possible fin du monde. Mais l’emporte le geste guidé par l’urgence et la nécessité d’enregistrement d’une nature morte qui revient à la vie.

Reculer pour mieux sauter

par NL

Combattants #2 : La decisión de vencer

Guillermo Escalón, Salvador, 63’, 1981
5.5

Soixante-trois minutes d’exhaustivité : tourné parmi les guérilleros du Morazán, au Salvador, La decisión de vencer se voit comme un tableau complet du quotidien des combattants. Sans distance, ni même tentation de distance, le film de Guillermo Escalón donne tout à voir pour montrer sans malice que tout est beau et bon, l’enseignement propagandiste, la gastronomie communautaire, les défilés, la messe, les armes. S’ouvrant sur une célébration de mariage, La decisión de vencer assume une logique de l’effet très simple, absolument visible, et qui fonctionne. Les deux premiers tiers du films se déroulent loin du front, dans le microcosme sain et souriant des combattants heureux, jolies bouilles d’enfants, travail industrieux, pain partagé. Plans de groupes, sertis de beaux détails : dizaines de mains toujours actives, visages qui ne dissimulent rien, richesses offertes de la nature. Les armes, note de fond sur paysage clair, reviennent à l’arrière-plan, et forment une frise noire à laquelle on s’habitue.

Enfin l’affrontement, bref et intense, porté sur cette joie de vivre comme par un bras de mer, vers la victoire. Bercé par la voix inlassable du micro, il n’est qu’un beau détail né de tous les autres, expansion logique de la vie par la lutte, miséricorde d’hommes. Un grand défilé l’accompagne et fait vibrer le sol, puis les guerriers s’enfoncent à nouveau dans la forêt, dans la nature, entrant sans peur dans le soleil. Le film est terminé. Pas une seconde de doute, ni un pas en arrière. La propagande nue sous le ciel bleu, sans pudeur, tout sourire, et la fleur au fusil : on lui donnerait le bon Dieu sans confession.

Bestiaire

Denis Côté, Canada, 72’, 2012, (Compétition Internationale).
7.7

Ouvrant le bal de la compétition internationale, Bestiaire est un programme fascinant, construit en réponse à cette unique question : est-il encore possible de filmer les animaux autrement ? Le débat est ouvert, et c’est bien le regard qui est mis en cause, dès la première séquence. Tressant les effets du retard et du recul, Denis Côté filme en plan serré des regards attentifs, s’éloigne peu à peu, pas trop, suffisamment pour qu’on comprenne étape par étape que ces observateurs dessinent, qu’ils dessinent un animal, que cet animal pose avec la fixité d’un modèle des Beaux-Arts, que cet animal est empaillé.

Le prélude au zoo ne saurait être plus explicite : Bestiaire veut nous déshabituer à croire que chaque animal observé nous est immédiatement donné en pâture, viande spectaculaire réconfortante, sur laquelle nous pouvons projeter tout ce qu’il y a de trop, partout ailleurs. Nous ne savons plus voir l’animal en lui-même : notre œil dévorant fond sur lui, et le déguise. En témoignent ces rires dans la salle, forts et sincères, quand le lama désorienté fait des va-et-vient dans son enclos, ou quand la tête de l’autruche entre et sort à différents points du cadre vide, comme si elle jouait à cache-cache. Sésame de la grande catharsis animalière, ce comme si vient épingler sur le poil de l’animal un costume en peau d’homme. Le rideau se lève et la pièce commence : touchante lorsque des mains minuscules sortent de la cage pour saisir de la nourriture, puis enserrent l’ours en peluche qui sert de doudou au petit singe, comme s’il était un enfant. Comique, quand l’autruche ou le lama prennent des airs bêtes. Tragique, lorsque les zèbres surpris par l’objectif se cabrent et s’affolent, et que leur terreur sans paroles ressemble à celle d’un homme sauvage touché par la lumière.

Notre œil spectaculaire travestit la nature. Au zoo, la caméra de Denis Côté adopte tous les points de vue, sauf celui du visiteur : enclos, cages et couloirs envahissent l’espace, repoussent dans le hors champ le corps fêté des bêtes, et ne laissent qu’une corne, une aile, une tête, en guise de trophée. Les cadres nous trahissent. Les repères sont perdus, et les décors de scène, et le confort. Le zoo disparaît, l’atelier de taxidermie le remplace, et la substitution fait sens : nous ne laissons pas les bêtes vivre d’autres vies que les nôtres. Que l’autoportrait, dès lors, se fasse devant la bête empaillée, figée comme un miroir. [cf. Berlinale 2012]

Banlieues muettes

par CB

Un archipel

Marie Bouts et Till Roeskens, France, 2012, 37’ (Contrechamp français)

La cause et l’usage

Dorine Brun et Julien Meunier, France, 2012, 62’ (Contrechamp français)
[La cause et l’usage est une production de la société Independencia, entité distincte, mais proche, de la revue qui porte le même nom et qui chronique, ci-dessous, le film de Brun et Meunier]

Till Roeskens (« je ne suis pas sûr d’avoir fait un documentaire… mais le film a à voir avec le réel. ») et Marie Bouts (« je n’aime rien tant que ma solitude ») ne pouvaient pas mieux présenter leur court-métrage qu’avec ces deux phrases : l’une pour ouvrir la présentation, l’autre pour clore le débat. C’est à une promenade dans Saint-Denis que nous convie leur caméra flottante, dans une zone où le réel pèse lourd et dont ils font un poème, une espace couvert de symboles ; la Tour Siemens domine cette zone comme, dans Le Seigneur des anneaux, l’œil du magicien Sauron surplombe Mordor. Jolie tentative de littéralement réenchanter le béton et les tours, littéralement puisque l’inspiration vient de chansons aborigènes qui faisaient office de cartes. Une ballade autant qu’une balade, toute de voix off murmurées, toute en réorganisation du son, premier ennemi des hommes prisonniers des routes : dans cet univers inversé, la mélodie des grincements du RER prime sur celle jouée par l’homme qui vient de monter avec son accordéon. Le festival propose aussi une jolie coïncidence : le buste de A nossa forma de vida fait sa réapparition. Il est ici aussi noir qu’il était blanc dans le film précédent, incarné par une habitante de Saint Denis dont la tête est posée contre la vitre d’un bus derrière laquelle défilent, comme sur un écran de télé, les images de sa ville. Résistance aux images, à nouveau celle-ci ne voit rien d’autre que le décor de son enfance sur ces zones dites « dangereuses » du territoire urbain.

Après un débat à l’ambiance aussi feutrée que le film, le programme continue. Nous sommes très exactement 17 stations plus bas sur la ligne D du RER : Saint-Denis – Corbeil-Essonnes. Dorine Brun et Julien Meunier ont filmé, trois mois durant, la mascarade que fut en 2009 la réorganisation des élections municipales de Corbeil-Essones. Mascarade parce que Corbeil y est révélée comme cette ville où Serge Dassault, maire-milliardaire, joue aux Sim’s comme un adolescent mégalo. On le taxe d’inéligibilité en raison des sommes d’argent versées aux électeurs potentiels, il impose un certain Bechter à sa place, dont le seul programme politique est de « venger l’honneur » de son maître. Paradoxe d’une situation où les crevures à l’affiche se soucient de leur honneur tandis qu’une bonne partie des votants n’en a aucun, et se contente de venir manger dans la main du riche. Saisissantes scènes de petit meeting où ce dernier demande qui veut du travail, avant d’en donner indifféremment aux quelques désoeuvrés encasquettés qui le regardent, comme on donne de l’avoine aux chevaux. La cause et l’usage pose des questions simples, mais urgentes : faut-il se soucier d’honneur ? À quelles valeurs se rattacher ? À quoi bon donner leur chance aux candidats fauchés qui n’ont que leur intégrité à offrir ?

À Corbeil, on serait bien en peine de répondre. Ce que le film révèle, ce n’est pas seulement le non-sens de bien des situations – une manifestation où des ouvriers, comme les désoeuvrés du meeting, réclament du travail à Dassault, tandis que celui-ci marche tranquillement en tête du cortège, les sujets derrière, un gendarme devant : on y découvre surtout l’inanité du regard, l’absence d’amour-propre d’électeurs à qui on pourrait très bien expliquer, démontrer qu’ils ne sont que des jouets entre les mains de forces qui les dépassent, mais qui l’accepteraient, le reconnaîtraient, et se contenteraient volontiers de bénéficier d’un peu d’argent, d’un permis gratuit ou d’un discours électoral paternaliste. Absurdité sans nom de cette grosse femme noire clamant que les immigrés ont besoin qu’on les laisse se débrouiller pour mieux s’opposer à la gauche, tout en vantant les mérites de Papa Serge. Avec humour mordant, Brun et Meunier miniaturisent les élections présidentielles à venir – jusqu’à la malicieuse caricature des écologistes, contre qui la nature s’acharne, et dont le candidat, avec son exposé de bonnes intentions, ne fait que lasser un jeune garçon fuyant le champ du discours dès que l’occasion se présente. L’utopie d’une ville où tout le monde semble se passionner pour la vie citoyenne s’effondre, et le pantin de Dassault gagne avec les voix d’un quart des votants, bénéficiant sans doute d’un taux d’abstention de 50%. Reste le portrait assez rare, plus précieux qu’une simple leçon de citoyenneté en période électorale, de ce que font les gens quand ils s’engagent. Des rois de l’incohérence et du dialogue de sourds, majoritairement.

par Camille Brunel, Thomas Fioretti, Noémie Luciani
samedi 24 mars 2012