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Les Antiquités de Rome  de Jean-Claude Rousseau

L’antiquité a vingt ans

Projection, 31 mars 2012, 12h, Cinéma du Centre Pompidou.

Les Antiquités de Rome (1989) est le premier long métrage de Jean-Claude Rousseau. C’est aussi son premier film à trouver le chemin de diffusion en salle – une programmation, qui comprenait également La Vallée close, eut lieu au Studio des Ursulines à Paris en septembre 2000 avec la complicité de l’ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion). Et c’est encore l’ACID qui, pour fêter ses vingt ans, reprogramme ce beau film de J.-C.R. samedi 31 mars à 12h dans la salle cinéma 1 du Centre Pompidou – en présence de l’auteur. Voici un texte que Prosper Hillairet écrivit à l’époque de la sortie du film.

Nouveau venu, qui cherches Rome en Rome. Et rien de Rome en Rome n’aperçois.

Jean‑Claude ROUSSEAU est allé à Rome. Qu’y-a‑t‑il cherché et qu’a‑t‑il aperçu ? Un film en est revenu.

On y voit Rome, ses monuments, ses rues, les chambres d’hôtel où ROUSSEAU est passé. La caméra cadre et montre peut‑être autant les chambres que les monuments. Des chambres, on aperçoit aussi un peu de Rome : un fronton, un bout de façade, un morceau d’église, un mur aveugle.

Les chambres communiquent peu avec la ville. Bien que le voyeur‑voyageur se mette à la fenêtre pour regarder, ce n’est pas vraiment fenêtre sur Rome. C’est par le son que la ville s’engouffre dans les chambres et que chambres et ville communiquent le plus.

Cependant, des correspondances visuelles s’établissent. Chaque lieu, monument, chambre a sa propre géographie, géométrie, lumière, Les trois premières parties ont leur figure géométrique : le cercle pour la Rotonde, le triangle pour la Pyramide, le carré pour le Forum de Trajan. Ces figures se distribuent tout le long du film, tissant des jeux d’analogies ou d’oppositions le triangle d’un fronton dans le cadre d’une fenêtre et un triangle lumineux sur le mur d’une chambre. Les figures géométriques forment et font communiquer la géographie des lieux, tout en étant soumises aux changements de la lumière qui devient événement dans le cadre de l’écran.

Le cercle et le carré sont les figures primordiales. Le carré surtout. Il est le lieu de l’échange. Cadre de l’écran lumineux, cadres des fenêtres. des miroirs, des portes. Il est lieu de passage, de communication. Passage de l’image, communication de la ville et des chambres (fenêtres). La chambre elle‑même est lieu du cadre les miroirs. qui forment des doubles et parfois introduisent des géographies improbables dans certaines chambres. Les chambres ouvrent peu sur la ville mais ouvrent sur elles‑mêmes par des miroirs.

Le carré est la figure, le lieu du double et de l’échange. Ainsi dans L’épisode du Forum de Trajan où le cadre d’une porte redouble (en abyme) le cadre de l’écran et où pour l’unique fois le voyeur est dans la ville. Ici chambre et ville s’échangent : le voyeur passe en ville, le garçon de la ville passe en chambre, et se regarde dans le miroir.

Miroir, double. Le carré en est le lieu. Miroirs qui redoublent les chambres, le cinéaste en miroir. Figures du double deux fenêtres de chambre, deux chaises du voyeur, deux ponts (en symétrie) dans l’épisode central, cadres de fenêtres, de portes. qui redoublent celui de l’écran, de l’image. Carré dans le carré. Rome dans Rome.

Le carré entre en relation de miroir, d’analogie avec lui‑même par le double, mais il entre aussi en opposition avec l’autre figure primordiale, le cercle. Dans l’épisode de la Rotonde et sa reprise dans Songe, cercle et carré établissent des relations d’antagonisme. d’encerclement ou d’encadrement.

Le carré est terrien, minéral, noir (Forum de Trajan), il s’impose dans la permanence du cadre e cercle est aérien, aquatique. lumineux (Rotonde), il se transforme en lune, en bleu du ciel.

Le carré est le lieu permanent de monstration (cadre de l’image), le cercle est tremblement dans le cadre, événement.

Le carré est la figure de l’espace, espace de présentation de la ville (image, fenêtre), lieu de l’événement. Le cercle est la figure du temps, passage cyclique, répétitions, retours – surtout dans Songe où les deux figures s’opposent et où reviennent des lieux, des événements des épisodes précédents (retour du garçon qui se lave).

Le carré est du côté du monument, de l’image comme monument qui retient et se souvient le cercle est du côté de l’événement qui survient et revient. Les lieux reviennent dans le temps du film, le temps se retient dans le cadre de l’image. Cendre du temps dans le gel de l’image.

Quelle est la nature de ce temps ? Est‑ce un temps chronologique La mention « Samedi » dans l’épisode du Colisée, au milieu du film, semble introduire un calendrier ‑ christique ? ‑ si on tient compte de la cérémonie religieuse qui précède. Retour d’une Passion ? Temps narratif, fictionnel ? La rencontre dans le Forum, des surgissements sonores peuvent être des commencements d’histoires. Pourtant aucune de ces dimensions n’est tenue. Le temps ici ne fait que passer.

Passage. Passage dans le cadre. Un homme est passé, une voiture est passée, une lumière, à ce moment‑là, dans le cadre, et le film l’a retenue. Le cadre du cinéma est ce lieu où passent les choses, les êtres, les lumières mais où aussi ils restent dans leurs reproductions infinies. Tels ces monuments qui restent, se souviennent, sur lesquels le temps ne semble pas avoir prise et qui, pourtant, sont la proie du temps. Ce qui est ferme est par le temps détruit et ce qui fuit au temps fait résistance. Telle est l’image de cinéma. Qu’est‑ce qui reste de tout cela des antiquités, des images du passé, des songes. Retenus dans des images qui passent, qui coulent comme le fleuve. Le Tibre seul, qui vers la mer s’enfuit, Reste de Rome. O mondaine inconstance.

Tout passe, voilà la formule de la constance, de l’endurance. Il faut souligner les temps sans images qui reviennent en alternance et où seul du temps passe. De ce temps éternel qui passe sans cesse, qui dure, sans image, sans événements. De ce temps cyclique. cycle d’éternité, qui revient sans cesse. Alors que le noir appartient au cadre porte du Forum de Trajan, fenêtre que l’on ferme qui fait le noir dans la chambre.

Noir. Nuit. Plus d’image. Seulement du temps qui passe, qui coule dans le cadre ; le cadre est l’espace du temps qui passe et qui revient. Le cadre reste, le temps s’écoule. Le monument perpétue le souvenir, le cadre supporte le temps. Le passé est inscrit dans le dur de la pierre, le temps est inscrit dans la fixité du cadre.

L’image dure dans le cadre, le temps se durcit dans la fixité du cadre qui s’obstine à montrer. Les Antiquités de Rome nous confrontent, nous spectateurs du film. à ce temps qui passe et qui se durcit dans un cadre qui s’obstine. Car si le temps finit chose si dure, il finira la peine que j’endure.

Comment vivre le temps dans ce film ? En se laissant aller aux images qui vont, aux souvenirs des monuments et des événements, en faisant communiquer les lieux et les temps, comme dans Songe où tout se mélange, revient. En devenant aérien face à des images terriennes. Notons l’importance croissante du ciel dans le film jusqu’à ce plan de nuages. météores sans images de ville. En nous laissant aller à la rêverie des lieux qui restent, des événements qui reviennent dans le souvenir. Comme le voyeur qui à la fin semble s’endormir.

Rêverie où les images passent détachées de leur support matériel, dur, où les sons font passer et communiquer des images, des lieux qui s’obstinent. Et du grand bruit en sursaut je m’éveille.

Prosper HILLAIRET
(merci à Joachim Du Bellay)

[2000]


jeudi 29 mars 2012

Les Antiquités de Rome Jean-Claude Rousseau

France ,  1989

Image, son, montage : J.-C.R.

Durée : 1h45min.

Première sortie française : 2000.

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