Marcher droit
Tiens Moi Droite, de Zoë Chantre, France 2011, 1h04min. Contrechamp français.
5.2
Bachelor Mountain, de YU Guangyi, Chine 2011, 1h35min. News from...
6.5
En France, une jeune fille lutte contre sa colonne vertébrale tordue. Tout le parcours filmique de la cinéaste Zoé Chantre et de Tiens Moi Droite est celui d’une permanente rééducation. Une résistance contre la douleur et la pathologie. Histoire d’un cinéma qui boîte : qui se cherche. Le début est ce qu’il y a de mieux : journal intime récité par la sonorité recto-tono de la voix-off, animé par les illustrations et les notes accumulées depuis plusieurs années de souffrances. On comprend la nécessité d’en faire un film. Trouver une forme pour enfin marcher droit. Parfois, le plaisir est devant la gêne : culpabilisation un peu honteuse de se plaindre de petites douleurs lorsqu’on est, comme vous et moi, en parfaite santé. Des astuces belles mais malignes : la documentariste collecte des disques durs abîmés, parce qu’elle n’a pas de mémoire, et veut reconstruire une colonne virtuelle ; invention étonnante d’une machine à distribuer les gélules. Pourtant, une fois sorti du diagnostic, Tiens Moi Droite s’égare : le cancer de la mère de Zoë et l’Alzheimer de sa grand-mère sortent de l’unité d’un film centré sur la narration à la première personne ; la mucoviscidose d’une jeune clown paraît hors sujet ; les petites soucis de santé d’anonymes font catalogue. L’expression de Zoë nous touchait plus que la démonstration d’une vie possible avec la maladie.
À des milliers de kilomètres, Yu Guangyi boucle une trilogie entamée par Timber Gang (2006) et Survival Song (2008), dans sa province natale du Heilong Jiang, région désertée par les femmes et où les travailleurs préfèrent partir chercher des emplois dans les villes proches. Ceux qui restent s’occupent des travaux manuels et agricoles. Endroit étrange que cette « Bachelor Moutain » du titre, productrice de vieux garçons. Quotidien minimal et rude ; découpe du bois, attelage et transport à cheval : partie descriptive digne d’un western assez forte. A cette précision ouvrière, Yu Guangyi lézarde son travail documentaire d’une romance. Entrecoupé de cartons très descriptifs, le récit suit le quotidien d’un simplet, chômeur et plutôt pauvre, nommé San Liangzi. Le grassouillet bûcheron ne veut pas quitter le coin. Il refuse même le travail qu’on lui propose ailleurs. La raison en est simple : il est amoureux d’une fille depuis longtemps, l’énergique Meizi, pour qui il effectue des corvées gratuitement. Au village, on se demande même si la fille, cheveux courts à la garçonne, est lesbienne ; elle dit ne se préoccuper que de travail et d’argent – surtout pas de San, sur qui elle ne jette aucun regard, notamment lors de la longue séquence d’une fête qu’elle organise. San Liangzi possède la foi d’un grand naïf : il vit dans cette attente permanente du moment où il déclarera sa flamme à Meizi. Nous aussi : mais cet instant n’arrive jamais. Le récit tisse une curieuse trame de comédie romantique et de naturalisme à la Wang Bing (on peut penser à la troisième partie d’À l’Ouest Des Rails, Vestiges, qui mettait en scène un retardé avec beaucoup de force). Gêne devant le regard bienveillant mais parfois complaisant sur l’idiot du village (de longues marches dans la neiges sur des sons saturés ; retours nocturnes vers le domicile où San parle tout seul ; plan final où la caméra regarde jusqu’à ce que l’homme se mettre à poil). Pour ne rien arranger, les conditions de projection sont catastrophiques : dvd saccadé, vitesse étrange, sous-titres français vite désynchro. Difficile d’aimer le film davantage, même s’il est troué par quelques fulgurances plastiques : les phares qui éclairent le jour en train de s’éteindre, se confondant, dans le grain aberrant du DV, avec un coucher de soleil au loin ; patience et rigueur lors des scènes d’attelage des chevaux et du labeur des bûcherons.