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9e festival du cinéma de Brive

Jeudi 12 avril

Billet #1

The Trap, de Peter Watkins ; Complet Six Pièces, de Pascale Bodet ; Alpi, d’Armin Linke ; The Medic, de Mark Gestorfer ; Sur le départ, de Michael Dacheux ; Midsummer Night, de Hiba Vink ; Et ils gravirent la montagne, de Jean-Sébastien Chauvin.

« Tes questions étaient d’une bizarrerie ! » - PB.

L’improvisation commence ici. La salle 3 est pleine, je me vois refuser l’entrée d’une séance pour la première fois à Brive. Bon signe ! Le Christelle Lheureux attendra sa diffusion dans la grande salle, où passe alors The Trap , un inédit de Peter Watkins. La solution de repli semble idéale. Elle ne l’est pas exactement. Watkins n’est pas de ces cinéastes qui accueillent à bras ouverts les spectateurs retardataires. Se faire parachuter dans son univers sans préparation laisse étourdi un certain temps. Je retrouve mon équilibre en me souvenant que Watkins est le réalisateur de La Commune, film de six heures produit en l’année 2000, sorti en France sept ans plus tard, où les événements de 1870 étaient reconstitués dans un hangar à peine maquillé en décor de XIXe siècle, tandis que les Communards étaient interviewés par « TéléCommune ». Watkins partait austère au premier abord, mais son sérieux se mélange à un principe ludique, déjà à l’oeuvre dans The Trap , qui consiste à tout filmer comme un documentaire de télé-réalité, avec zooms, décadrages, voix off du cameraman. On est ici dans un bunker en compagnie d’une mère et de son fils face à des informations fictives annonçant le passage à un nouveau millénaire calamiteux. Le film me semble trop typique du procédé de Watkins pour interpeller vraiment. Engagement très à gauche, distanciation, dénonciation des médias. Toutefois, l’idée de regarder un film de 1975 filmant 1999 avec les techniques pseudo-réalistes des faux documentaires à la mode en 2012 ne manque pas de piquant.

À 15h, ce jeudi, Serge Bozon truste la programmation. Il apparaît dans La Vie Parisienne , en salle 3 et dans Complet six pièces en salle 1, film de Pascale Bodet auquel il participe également comme assistant réalisateur. L’an passé, il avait été le DJ de l’une des soirées du festival. Bozon est un OVNI aux faux airs de Tr-UFO, parachuté dans des productions parisiennes légères où il promène son désarroi comique d’un gag potache à un autre – il faut se préparer à le voir se frotter les testicules sur une table de ping-pong à la fin de La Vie Parisienne . Il joue l’interlocuteur interloqué d’une créatrice de mode incarnée par la réalisatrice, personnage benêt charmant dans son malaise, ses phrases trop longues, ses silences mal placés. Le personnage de Bodet n’apparaît que dans le premier et le dernier des six sketches mais il est de ces personnages auxquels on s’attache très vite. Si bien que les saynètes qui s’intercalent entre ses deux apparitions, dont l’une avec Ludovic Berthillot en couturier, entre autres invités, s’avèrent plus difficile à se remémorer. Le fait que quelques sketches soient oubliables n’est cependant pas ce qui attire l’attention ici. Je remarque surtout quelques détails liés au cadrage – clairement pas la préoccupation principale du film, mais quand même. Un plan de la Tour Eiffel dont le haut de l’antenne est coupé. Une poubelle au beau milieu d’un plan. Une ellipse étrange. Dans la cour je rencontre Pascale Bodet et je l’interroge sans dictaphone sur ces détails. Enlever la poubelle du cadre ne constituait tout simplement pas une nécessité. Quid de l’ellipse, qui prend étrangement fin à un moment où il ne se passe toujours rien ? « Les temps morts sont importants dans les films », souligne Skorecki, juste à côté. Reprendre le film sur la reprise du dialogue aurait coupé cette respiration et surtout atténué le malaise qui sépare les deux femmes, reprend Bodet. Le problème de l’ellipse est réglé, celui du cadre un peu moins. Je comprends un peu mieux le lendemain. L’installation d’une caméra dans une rue pose avant tout des problèmes qui amènent à conceptualiser le cadre, à le traduire en termes de perspective, d’angle, de focale, etc., facilement explicables à l’équipe technique. Si bien qu’on peut en perdre de vue la surface, à force d’en établir la profondeur. Si en surface se trouve une poubelle, la poubelle reste. C’est une hypothèse.

La difficulté de se souvenir des détails d’ Alpi , second volet du programme, est beaucoup plus grande. Le film d’Armin Linke, estampillé « documentaire expérimental », séduit d’abord par quelques jolis plans d’eau et de sable, de sable tout seul, qui semblent amorcer une réflexion autour d’un va-et-vient entre naturel et artificiel. J’y vois finalement une sorte de fourre-tout, oscillant entre la Suisse, l’Autriche, l’Italie et Dubaï sans établir de cohérence. La dimension expérimentale l’emporte, le motif de la répétition contamine le propos. Chaque plan s’éternise, on se sent dans la peau d’un enfant mort d’ennui qui joue à répéter infiniment le même geste. Comme on regarde la télé, comme on se bouffe les ongles, on s’abandonne à la contemplation, l’esprit éteint, d’actions et de sons systématiquement répétés. Le film s’achève, je me suis laissé dormir.

Nouveau diptyque. The Medic , de Mark Gestorfer, suit un jeune ambulancier. Acteurs et réalisateurs inconnus mais tics célèbres : une actrice peu pudique, beaucoup de cigarettes, poncif du sauveur sauvé. Le héros rencontre à une soirée une jeune femme seins nus qu’il accompagne vomir. Le lendemain matin, celle-ci fume, fume et fume. Sa folie illumine la vie ennuyeuse du trentenaire. Pas la nôtre. On en a soupé de ces filles folles. Jolie scène finale, dans laquelle l’ambulancier la vouvoie pour ne pas trahir son attachement à celle qu’il a retrouvée presque suicidée dans la rue.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que Sur le départ sort du lot. Quelques heures après, je peine encore à croire ce que j’ai vu. Lauréat du prix du scénario à Brive il y a quelques années, il aurait gagné (un peu) à s’éloigner de son script trop écrit, trop littéraire, pompeux en diable. Les héros portent des noms d’instrument, l’histoire est celle de deux jeunes hommes amoureux : Piano et Clarinette. Mon Piano, « mon » Clarinette. Cela en fait d’ores et déjà un gadget, mais pourquoi pas. Apparaît le visage d’Elise Lhomeau, dans le rôle de Violon. Elise Lhomeau était l’une des Filles en Noir de Jean-Paul Civeyrac (la plus jolie). Tout s’explique : Sur le départ est un film Fémis qui ne dit pas son nom. Très appliqué, très propre, terrifié à l’idée de s’éloigner de son plan. Scotché à Truffaut, Rohmer, Bresson : Michaël Dacheux a dû regarder tant de chefs-d’œuvre pendant ses études à Toulouse qu’il en a oublié à quoi ressemble un navet.
Le sien commence pourtant plutôt bien, par une longue période musicale. Dès que les acteurs se mettent à réciter leur texte, c’est autre chose. Le texte est trop réfléchi et pas aussi beau qu’il n’en a l’air (il ne suffit pas de mettre les mots « ombre », « jeunesse » et « mélancolie » dans la bouche d’adolescents pour en faire des poètes, si ?). C’est pourtant d’un contrepoint qu’avaient besoin la musique classique, les travellings sur des statues, la lumière crépusculaire, les cigarettes pensives ou les mots apparaissant à l’écran : gardez l’œil ouvert pour voir passer furtivement « esthétique » et « C’est fort », orthographié « sephor » à l’occasion du passage devant l’enseigne abîmée d’un magasin de parfumerie. Dans son ensemble, l’écriture n’est pas seulement prévisible, elle est prévue. L’inspiration s’est perdue. « Tu penses trop », lance Clarinette à Piano, confirmant l’enfermement du scénariste qui soliloque dans sa bulle. Pour remédier à cela, une idée forte, destructrice du travail trop fait, eût été salvatrice. En l’occurrence, Sur le départ aurait gagné à être muet. La diction des acteurs suit une musique si convenue qu’elle aurait été mieux jouée par les instruments dont les personnages portent le nom. Pourquoi ne pas faire confiance au public ? Après The Trap , après Alpi , on était bien capables de voir un film sans dialogues. Le découpage étant extrêmement habituel, on aurait imaginé sans trop de peine la teneur de ce que pouvait exprimer la musique de la diction – tout en évitant la banalité des métaphores. Il y a bien des cartons entre chaque époque, et la pellicule y apparaissait particulièrement poussiéreuse. Le film muet était là mais on l’a bâillonné, faisant parler des acteurs pour ne rien leur faire dire. Quitte à raconter une histoire d’adolescents amoureux, s’inscrire dans la continuité de The Artist eût été moins anachronique que de tenter un remake de Christophe Honoré. A l’endroit où je suis assis dans la salle, j’entends les bruits du dehors. Lorsque Piano et Clarinette se mettent à chanter en se regardant dans le blanc des yeux et en se caressant les joues, deux pigeons se posent près du mur, je les entends roucouler. Authentique.

Avant de continuer, un reproche idiot. Le souci de cette première journée peu grisante est là : trop de films vus tentent de ressembler à d’autres. On sent l’application scrupuleuse de recettes très précises, et la satisfaction finale des réalisateurs devant la ressemblance entre leur film et la photo du livre. Cela concerne, dans une certaine mesure, les films du troisième diptyque de la journée, Midsummer Night de Hiba Vink et Et ils gravirent la montagne de Jean-Sébastien Chauvin. Le premier vise le film de vacances, le second le film à l’américaine, entre Lynch et Matrix. Reproche idiot parce que, comme me l’avoue peu après au restaurant Hiba Vink, les réalisateurs qui figurent dans la programmation de Brive ne cherchent pas l’originalité mais l’honnêteté. Le moyen-métrage est une manière de faire ses gammes : or atteindre l’honnêteté demande plus d’entraînement que d’atteindre l’originalité. Aussi les réalisateurs abandonnent-ils plutôt cette dernière, qui entrera en jeu lorsqu’il s’agira de mettre en valeur leurs films sur le circuit commercial. Pour l’instant, pas d’autre compétition que celle de la sincérité.

Ainsi Jean-Sébastien Chauvin fait-il fausse route en s’attachant à la singularité de son pitch plus qu’à ses acteurs. Tout la première partie ressemble à l’illustration inquiète de ce qui a été décidé en pré-production, seule la fin parvient vraiment à faire taire le script. Dans Et ils gravirent la montagne , Yann Ebongé et Perle M’Boyo incarnent deux fugitifs. Ils se sont échappés d’on ne sait pas trop quel complexe industriel. Il traversent la nature, harcelés par on ne sait pas trop quel système de surveillance. Ils vont dans on ne sait pas trop quelle direction. De temps en temps, ils se baignent. Sans trop de conviction. Sans aller au bout de rien. S’expose là une certaine idée de cinéma (et pas du cinéma, restons modestes) : suggérer tout (l’apocalypse, la lutte de classe, la révolte noire, Big Brother...) et ne rien dire, n’aboutir nulle part. Le début du film se prend pour Godard, la fin, pour Lynch. L’ensemble illustre, en RED camera, une idée très contemporaine, fort consensuelle : la révolte comme posture, comme geste, comme mode. A Brive, cela aura eu le mérite de bousculer une programmation plutôt proche du réel avec un peu de fantastique. Ailleurs, il n’est pas certain qu’on reconnaisse grand-chose au film.

Une chose est sûre : Midsummer Night  et Et ils gravirent la montagne  tournés en HD, témoignent d’une attention spéciale portée à la composition de l’image, à l’inverse du film d’acteurs de Pascale Bodet qui cadrait sans s’en faire les poubelles vertes de Paris, comme si l’image ne comptait pas. Ce qui n’est jamais vrai puisque même un film comme celui de Bodet, où beaucoup d’acteurs sont bénévoles, a coûté 17 000€. Prix du mixage, prix de l’étalonnage… – auxquels les projections brivistes ne faisaient pas toujours honneur, c’est un reproche, il faut bien le formuler.

Le « film d’île » est un genre en soi à Brive. Chaque année, un ou deux moyens-métrages semblent avoir été tournés dans la résidence de vacances du réalisateur. Devant Midsummer Night , on se dit que le film d’île de cette année est plutôt réussi. Loin des sentiments cinéphilisés de Michaël Dacheux, Hiba Vink recherche la vérité, l’étude de mœurs. Dès les premières images, on perd cette impression que le réalisateur est dans la salle, qu’il viendra prendre le micro juste après. Vink ne redoute pas de jouer le jeu un peu puéril de la fiction. On disait qu’on était sur une île, qu’il n’y avait ni caméra ni équipe, juste un groupe de sept trentenaires en crise réunis pour une fête suédoise folklorique. On ressent un réel plaisir, du jeu d’un côté, du cadre de l’autre. On respire, sans se formaliser des passages obligés que sont le coming out d’un personnage masculin, le jeu de la vérité entre amis que l’on trouvait déjà dans The Medic , les gros plans sur des personnages s’extrayant du groupe avec l’air triste, la musique mélancolique sur les regards perdus à l’horizon. On a le droit de trouver qu’un vrai potentiel est mis au service d’un résultat plutôt banal, mais pour l’instant, cela fait partie du jeu.

Juste après la projection, je me retrouve au restaurant face à deux femmes. L’une d’entre elles vient d’enlever un chapeau blanc et de le poser sur ses cuisses : c’est Hiba Vink. Les présentations sont faites rapidement. Elle me demande si j’ai trouvé des points communs entre son film et celui de Jean-Sébastien Chauvin, comme on s’inquiète de la cohabitation entre son tableau et celui d’un confrère dans une galerie. Je réponds en souriant que les deux sont bien filmés. Premier verre de vin.

L’île de Midsummer Night en question se situe dans la Frise et n’est pas la résidence de vacances de Hiba, juste un décor choisi sur un coup de tête après l’écriture du scénario. Tourné au Nord de la Hollande donc, le film de Vink est sous influence scandinave, Danemark et Norvège en particulier. Je dis que je devrais sortir mon dictaphone et le poser à côté de mon assiette. Je ne le fais pas. Nous continuons. Danemark d’abord : non pas le Dogme mais plutôt Susanne Bier (After the Wedding, Nos souvenirs brûlés, Revenge), dont Hiba s’inspire notamment pour l’emploi des jump cuts, souvent très beaux, employés à la fin de longues séquences, comme plusieurs virgules à la fin d’une période littéraire. Norvège ensuite. Souvenez-vous de Happy Happy, de Turn me on : des films tournés par des femmes, dans lesquels les questions de sexualité sont évoquées de manière simple et désinhibée, entre l’intellectualisme de l’angle d’attaque français et la potacherie des comédies américaines. J’apprends au moment où arrive le dessert que le personnage provoquant la dispute finale a été rajouté assez tard. L’un des trentenaires est en effet une jeune femme extérieure au groupe d’amis. Hiba m’explique qu’elle était à l’origine l’oeil de la caméra, la subjectivité filmante, comme dans Rachel se marie la caméra tourne toujours sans prévenir les acteurs, tenue par un personnage que l’on ne connaît pas. Coproduit par la télévision, le film a cependant dû composer avec une facture plus classique, et l’oeil du film s’est changé en élément perturbateur du scénario. Dans The Island, film du suédois Simon Vahlne de Brive 2011, la caméra était déjà dotée d’une autonomie étrange. La Scandinavie, les îles, la caméra subjective : topique briviste à suivre. En attendant, j’accompagne la délicieuse Hiba Vink au Maryland, où la soirée se poursuit très tard. Je ne sais pas dans quel état je serai demain.

À suivre...

par Camille Brunel
mardi 17 avril 2012

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