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Et nous brûlerons une à une les villes endormies

Manifeste

Ce manifeste cinématographique a été écrit en 2004 : deux ans avant que je ne puisse commencer à réaliser des films.

Révolution, De l’origine, Fantasmagorie, Lutte des classes, Anarchie, Prolétariat, État d’exception, Histoire, Arts de la mémoire, Opprimés, Messianisme, Tsimtsoum, Allégorie, Penser la catastrophe, Rédemption, Prophétie, Chiffonnier...

Voilà.

Voilà. Une main, vorace et insatiable saisit le monde.

Et de le porter – le monde - à l’entrée d’une béance,

sombre et noire,

aux effluves capiteuses,

comme ultime orifice d’un corps moderne, anthropophage, libéral,

et schizophrénique.

Voilà. Comme maître de la description, le sempiternel,

l’éternel retour du même et son avatar : le mythe !

Rouge et Nuées,

Rage et colère,

Larmes aveugles, sanglots étouffés,

A ceux qui,

du vent dans la ville,

croient reconnaître le souffle, l’exhalaison,

et frappé par celui-ci,

se tiennent immobiles, ne peuvent bouger ;

A celle qui, bravant les coups, fuit son foyer,

A celui qui, bravant l’abandon du père, le suicide attendu,

- Ou encore, les terres désolées, les soleils éteints, les cœurs

arides -

gagnent les Capitales,

aux pavés d’or fin,

aux reconnaissances délivrées ;

A ceux qui,

de halètements sombres,

aux grondements des ventres vides,

font trembler les vitrines des grands magasins,

que la faim tenaille,

les poches trouées, sans la moindre ferraille…

- Oh ! ces regards ébahis,

ces regards perdus,

ces regards perdus

et perdus encore,

de celui,

arrêté en pleine rue,

à midi (heure de pause),

que le passé rattrape.

Ah ! Voilà.

Voilà.

Voilà : les affamés, les irascibles, les impatients, les généreux, les

mal-armés,

que la colère étouffe,

que la révolte rend muet,

que l’injustice détruit,

Ah ! ces poings, de ne pouvoir frapper,

frappent et frappent et frappent encore,

un unique corps, le leur, par eux trouvé ;

Et c’est une danse,

Chancelante,

Qu’entonne avec entrain,

Le retour incessant des lendemains,

Qui vous insulte, qui vous insulte, qui vous insulte !

Rouge, Noir,

Vents et marées,

A ceux qui n’en peuvent plus,

à ceux qui sont à bout,

à ceux qui chevauchent les nuées,

l’enfer est ici,

Et c’est un grand banquet.

Traces, chairs et autres brûlures,

non des baisers d’autrefois et souvenirs futurs

- A toi, vous, trop aimé, et ma poitrine se déchire–

mais angoisses, peurs et rêves,

des matins sans éveils.

Rouge, Vent

Noir, Nuées

Comme morts et vivants,

A vous, à vous, à vous, le cinéma qui vient.

Le cinéma qui vient bruît encore,

toujours,

à jamais,

du mouvement des ombres.

Là où la lumière fût,

il recueille le geste,

Là où le verbe chût,

Il recueille le mouvement,

Et l’étincelle n’est rien si elle ne s’accompagne,

Des forêts incendiées,

D’une décréation des concepts :

A l’origine, le but et le tourbillon,

A la création, la destruction.

Au progrès , la catastrophe.

Le cinéma qui vient se donne au jeu du monde,

Il annonce le jeu planétaire,

le vaste mouvement immanent.

Fluide, impromptu, imprévisible,

Il brise les digues,

Valorise les océans de flammes, les corps en état d’ignition,

l’incandescence, l’affranchissement au même, à l’identique, au

connu, au familier et autres rengaines popu-nationalistes - « Je

préfère ma fille à ma cousine, ma cousine à ma voisine, ma

voisine… » -

il s’adonne aux noces astrales et copulations solaires,

et forme des constellations, une image dialectique.

Il ouvre le réel ,

articule l’ancien et le nouveau,

met en œuvre la politique : Ah ! Mémoire, mémoire, mémoire - la

conscience de soi, la conscience de soi, la conscience de soi -

et écoute le battement imperceptible, le retour du monde : les

promesses murmurées, les promesses emmurées, les promesses

oubliées,

la rédemption et l’utopie.

Documents.

Arrêt.

Radical, Extrême,

Le cinéma qui vient

Allie la ruse à la présence d’esprit,

ne tourne ni ne détourne,

il retourne,

il renverse,

il dévore.

A vous, à lui,

il colère, il injurie, il colère, il invective, il apostrophe, il mortifie,

pour lui (à sa place et non celles des autres),

il agit, contre les images du monde,

la représentation !

Oui, là, Voilà,

Voilà, Voilà, Voilà !

Vent, Noir,

Rouge et Nuées,

Comme morts et vivants,

A vous le cinéma qui vient.

Il jette aux orties les ors et salons,

le romantisme révolutionnaire,

et la fascination

narcissique, complaisante,

puante et bourgeoise du terrorisme, - ce frère ennemi de la

révolution –

le conformisme du non-conformisme et la fausse radicalité – « 

Ah ! Sublime vertu du cinéma-fusil, du cinéma-guérilla » -

de ceux qui brûlent les rideaux tandis que la bonne vient ramasser

les cendres (la République est une vache)…

Et dans l’intervalle,

il brûle,

il incendie,

l’économie à grande échelle,

les résidus de l’humanisme classique,

la société de classes.

Oui.

La société de classes.

Le cinéma qui vient

Du corps et partage,

Ne peut avoir d’amis qu’étrangers,

et fissure les communautés forcloses.

Il se maintient aux arrières-gardes,

aux terrains inconnus où la raison explose,

aux aguets,

vigilant,

attentif,

aux forces du dehors,

aux lignes de fuites,

aux mouvements - déterritorialisations,

reterritorialisations –

flux et reflux,

rouges et nuées,

et signe le refus de la condition humaine.

Car en ces temps de guerre il ne peut y avoir de répit,

car en ces temps de guerre il ne peut y avoir de repos.

Le cinéma qui vient

est un cinéma a-humain,

de cloportes,

de damnés,

de plébéiens,

des oubliés,

- De l’oublié -

qui trace des chemins,

des agencements inassimilables, des métamorphoses,

qui produit du différentiel,

et accueille,

la nuit venue,

à l’étoile où la voix vacille,

le devenir-révolutionnaire,

et les oiseaux de nuit,

comme seuls chants d’amour.

Car en ces temps de guerre il ne peut y avoir de répit,

Car en ces temps de guerre il ne peut y avoir de repos.

Le cinéma qui vient « n’a pas le sentiment que la vie vaut la peine d’être vécue, mais que le suicide ne vaut pas la peine d’être commis ».

Un montage de citations

« Schelling voyait peut-être plus clair : il savait que la pensée n’était pas en tous cas encapsulée dans une cervelle, qu’elle pouvait être partout… dehors… dans la rosée du matin ».

« Le renversement copernicien dans la conception historique est le suivant : on tenait « ce qui a été » pour le point fixe et on voyait le présent s’efforcer, au prix de bien des tâtonnements, de conduire la connaissance jusqu’à ce point fixe. Cette relation doit maintenant se renverser et ce qui a été recevoir sa détermination dialectique de la synthèse qui accomplit le réveil au moyen des images oniriques conflictuelles. La politique l’emporte sur l’histoire. En ce sens, en effet, les « faits » historiques deviennent quelque chose sur quoi nous venons de tomber : les retenir est l’affaire du souvenir. Et le réveil est le cas exemplaire du souvenir. »

« L’image dialectique ne recopie pas le rêve ; je n’ai jamais voulu affirmer cela. Mais elle me semble bien contenir les instances, les lieux d’irruption de l’éveil, et même ne produire sa figure qu’à partir de ces lieux, tout comme une constellation céleste le fait par ses points de lumière. Donc ici un nouvel arc demande d’être tendu et maîtrisé, une dialectique : celle entre l’image et l’éveil. »

« L’anarchie Régulière est l’avenir de l’humanité. »

« Nous avons la barricade de l’utopie. »

« J’ai parlé ailleurs de l’office qu’occupa Camoëns sur le rivage meurtrier de l’Inde : Administrateur du bien de décédés.

Oui chaque mort laisse un petit bien, sa mémoire, et demande qu’on la soigne. Pour celui qui n’a pas d’amis, il faut que le magistrat y supplée. Car la loi, la justice est plus sûre que toutes nos tendresses oublieuses, nos larmes si vite séchées.

Cette magistrature, c’est l’Histoire. Et les morts sont, pour dire comme le Droit romain, ces miserabiles personae dont le magistrat doit se préoccuper ».

« Le fils non-né :

Nous les témoins tardifs d’une forfaiture

Nous vous prions, préservez-nous de l’ère future !

Faites donc en sorte que nous ne puissions naître !

De votre honte nous nous ferions l’écho.

Nous ne voulons de pères héros ! »

« L’origine est le but. »

« Arrête le temps ! Soleil, à toi de terminer ! Fais que la fin soit grande ! Annonce l’éternité ! Lève-toi, menaçant, que ta lumière gronde comme le tonnerre, que notre mort retentissant soit silence.

Cloche d’or, fonds dans ta propre incandescence, deviens canon pointé vers l’ennemi cosmique. Crache-lui le feu en plein visage ! Sache bien que si j’avais le pouvoir de Josué il y aurait un nouveau Gibeon ! »

« Lorsqu’après des millions de siècles, un de ces immenses tourbillons d’étoiles, nées, gravitant, mortes ensemble, achève de parcourir les régions de l’espace ouvertes devant lui, il se heurte sur ses frontières avec d’autres tourbillons éteints, arrivant à sa rencontre. Une mêlée furieuse s’engage durant d’innombrables années, sur un champ de bataille de milliards de milliards de lieues d’étendue. Cette partie de l’univers n’est plus qu’un vaste atmosphère de flammes, sillonnées sans relâche par la foudre des conflagrations qui volatilisent instantanément étoiles et planètes. »

« Nous archivons, parmi la masse d’images trouvées et que nous avons, celles qui provoquent en nous de fortes tensions. Emploi de l’ancien pour le nouveau, pour faire émerger des actualités les sens cachés, pour renverser les sens premiers. Mémoires de fin de millénaires sur les comportements, les idéologies. »

« Vu Goya au Prado et ses gravures Désastres de la guerre : « No se puede mirar » (on ne peut pas regarder), « Que hai que hacer mas ? » (Que faire de plus ?), « Grande hazana ! Con muertos » (Grande entreprise ! Avec des morts), « No hay quien los socorra » (Personne pour les secourir). Goya ne fuit ni son temps ni l’histoire. »

« Nous nous demandons : comment représenter l’épouvante de la destruction des corps humain ? Jusqu’à quel point est-il juste et correct de montrer des images en même temps esthétique et insoutenables ? Léonard de Vinci vient à notre secours quand il demande aux artistes le courage de montrer la guerre dans toute son horreur. »

« Qui a provoqué ce que montre les images ? Qui en est responsables ? Aurait-on pu l’éviter ? »

« Elle aussi, tu dois la combattre, D’ici . »

© Sylvain George – 2004

par Sylvain George
samedi 18 août 2012