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Venise 2012

Débarquement

L’île du Lido, où se déroule chaque année la Mostra, n’est pas difficile à trouver. Elle est cette longue canne posée juste derrière le poisson-Venise. Des gradins y auraient été parfaits pour observer la Sérénissime de loin. Et pour cause, on n’y vient pas se promener, mais regarder. La mer turquoise sous les nuages noirs, par exemple. Ou alors des films. Le festival a débuté depuis trois jours, rien ne semble pour l’instant avoir marqué les esprits. Le nouveau directeur, Alberto Barbera, inspire plutôt la méfiance : en supprimant la section consacrée exclusivement au cinéma italien, il donne des airs cannois à la sélection vénitienne, désormais divisée en trois (Compétition, Hors-compétition, Orizzonti). Et ici personne n’a envie de se croire à Cannes. Venise se targuait d’être, comparé à l’infernale foire printanière, un festival plus exclusif, moins dense, plus cinéphile. Cette année, les changements s’opèrent, l’agrandissement guette – une longue palissade entoure les fondations du futur palais du cinéma. A vue de nez, rien de bien grave – le cinéma italien ne semble manquer à personne, d’ailleurs Barbera n’a pas jugé nécessaire d’en injecter un peu plus dans la sélection qui ne comporte que trois réalisateurs nationaux, Bellochio, Comencini et Cipri. L’île du Lido n’est pas difficile à trouver tant qu’on ne la confond pas avec le Lido di Jesolo, station balnéaire voisine où, tout au plus, se planque Terrence Malick. En l’attendant : pseudo-Lynch, pseudo-Tree of Life, compétition israélienne et navet australien...

Bob Wilson’s Life and Death of Marina Abramovic
Giada Colagrande, Italie.

GIORNATE DEGLI AUTORI

Meshes of Afternoon
Maya Deren et Alexander Hammid, EU, 1943

GIORNATE DEGLI AUTORI

Abramovic s’avance dans une salle comble où l’on entr’aperçoit soudain Lambert Wilson, puis Willem Dafoe. L’hystérie collective qui entoure la figure de l’artiste paraît bien démesurée – surtout quand Bob Wilson vante sa capacité à « rester assise » ou à « se tenir debout ». Making of d’une pièce hagiographique montée à Manchester l’année dernière, le film de Giada Colagrande n’est pas beaucoup plus qu’un long bonus DVD dans lequel le sens des œuvres le cède à la célébration du génie. Échec total du film : la page wikipédia d’Abramovic la rend cent fois plus intéressante en cent fois moins de temps. Quant à la pièce documentée ici, elle n’a pas l’air du chef-d’œuvre de Bob Wilson, entre morale neuneu (« à la fin j’ai voulu qu’il y ait une illumination, l’espoir qu’au-delà de la souffrance il y a une voie ») et manifeste pédant (une sorte de drag-queen wagnérienne prononce quatre fois le mot « creativity » – cut sur Wilson affirmant avoir voulu proposer une réflexion sur la créativité). Pourtant, en fait de créativité, on n’y est pas non plus. On est seulement chez Lynch. Poses et maquillages outrés, années 80 dopées à l’unheimlich, Willem Dafoe. Cette parenté explique la présence, en lever de rideau, de Meshes of the Afternoon de Maya Deren et Alexander Hammid, grand-parents spirituels du réalisateur de Mulholland Drive : caméra à l’épaule dans une maison labyrinthique, apparition morbide, diagonales et gros plans monstrueux. Le film surprend toujours pour son emploi d’une caméra de 1943 comme d’une caméra d’aujourd’hui, libérée du trépied, flottante, promenée dans des lieux sombres ou scotchée au réel.


LEMALE ET HA’CHALAL (aka Fill the Void
Rama Burshtein, Israël 2012. 1h30.

VENEZIA 69

Fill the Void n’échappe pas à la loi des premiers films dont la volonté d’impressionner se voit un peu trop. Pas tant par le sujet (une jeune femme hésite à épouser le mari de sa sœur morte en couche) que par la forme : aucun travelling, et une lumière blanche éblouissante signée Asaf Sudri qui imite au lux près le style du chef hollywoodien Janusz Kaminski. Les intérieurs israéliens de Burshtein ressemblent à ceux de Munich ou de Funny People. Ce n’est en tout cas pas le seul poncif croisé ici – la scène de discussion maladroite, dans un salon, entre les futurs mariés, a beau être finement interprétée, elle fleure bon l’exercice de style. Fill the Void n’en dresse pas moins un beau portrait de femme à travers le personnage de Shira, la jeune sœur – belle scène finale où celle-ci se balance d’avant en arrière dans sa robe de mariée, faisant aller et venir son visage – et avec elle sa détermination – entre la netteté et le flou. On retient aussi une réécriture pas dénuée d’humour de l’ouverture du Parrain version Purim, dans lequel un vieux rabbin écoute les doléances de ses fidèles en leur glissant quelques billets dans la main, et quelques conseils à l’oreille.

Low Tide
Roberto Minervini, EU, Italie, Belgique, 2012. 1h32. USA, Italy, Belgium, 1h32’

ORIZZONTI

Si le calembour est un pet de l’esprit, alors Low Tide est un film « minimalickste » et annonce la projection de To the Wonder prévue demain. Ne pas se laisser abuser par le nom du réalisateur : tout se passe ici aux Etats-Unis, dans une banlieue profonde dont on imagine facilement qu’elle puisse être le pendant infernal de celle où se déroule Tree of Life. Le héros n’a cependant ni père, ni frères, juste une mère encore bien jeune qu’il doit parfois aider à regagner son lit à la limite du coma éthylique. Avec ses dreadlocks et son corps lourd et mou, elle constitue l’inverse parfait de la mère incarnée par Jessica Chastain pour Malick. Là où s’effectue la rencontre entre les deux films, c’est surtout dans le rapport mystique à la nature, éclatant lors d’un finale dans des vagues assourdies. Le gamin s’arrête régulièrement, la caméra dans le dos, pour jouer avec un serpent, deux grenouilles, un chat ou des poissons rouges, Adam cherchant à synthétiser l’Eden au fond de son enfer, à trouver aussi dans la vie animale la source de sa méditation. Le film brille par sa volonté de faire le portrait d’un adulte dans le corps d’un enfant, filmé par le corps d’un adulte (la caméra le filme en plongée) avec un regard d’enfant (elle s’arrête, curieuse, et tourne autour de lui à la moindre de ses découvertes). Quant au scénario, pas beaucoup plus précis que dans un Malick, il enchaîne les scènes sans dialogues dans lesquelles le fils se met au service de sa mère : quelque chose d’hypnotique se dégage de cette systématisation du don de soi. A l’image, cela donne de belles trouvailles, comme cet immense avant-bras du gamin posé, au premier plan, sur les petites épaules de sa mère endormie.

Bait 3D
Kimble Rendall, Australie, Singapour, 2012. 1h33

Hors compétition

Samedi soir, séance de minuit. Après un tremblement de terre, treize survivants se retrouvent enfermés dans un supermarché inondé : deux requins blancs passent faire leurs courses. Ceux-ci n’ont cependant rien de sauvage et se contentent d’une opération de nettoyage tristement humaine, aussi moralisatrice que frustrante : sur treize victimes potentielles, seules cinq finissent en volutes rouges tridimensionnelles – tous des hommes, dont les deux Asiatiques (seuls des Australiens « de souche » revoient la lumière du jour), un truand, un ado coupable d’avoir offert de fausses Gucci à sa copine – et un policier en surcharge pondérale. Rien de franchement plus bête que d’habitude, il y a juste quelque chose d’étrange à entendre la salle s’esclaffer de bon cœur devant la prestation des acteurs alors que le réalisateur est présent. Le cadre est trop sérieux pour le film, dont l’humour vient justement du sérieux excessif des acteurs ; si bien qu’on en vient à s’imaginer chez ces derniers un second degré calculé, comme si le moindre accès de ridicule à l’écran avait été préparé au millimètre près. Le bug du projecteur en plein milieu du film aussi, alors ?

par Camille Brunel
lundi 3 septembre 2012