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Après la bataille  de Yousry Nasrallah

Demande au Sphinx

7.9

Récemment, trois films tournés en Égypte sont arrivés jusqu’à nos écrans. Mafrouza d’Emmanuelle Demoris a été tourné avant la révolution. Tahrir – place de la révolution de Stefano Savona, pendant l’émeute qui a porté à la chute de Moubarak. Après la bataille, le titre le dit, vient quand désormais les dés ont été jetés. Des trois films, celui de Nasrallah est le plus fragile. Il ne se donne pas le temps de Mafrouza. Ni l’urgence de Tahrir. Il n’a donc ni l’espoir de l’un, ni la passion de l’autre. Ce n’est cependant pas un film froid.

L’Égypte chez Nasrallah est toujours moins un pays qu’un peuple, moins un peuple qu’une histoire, moins une histoire qu’un récit, et – enfin – moins un récit qu’un conte. Cette dernière illusion contient d’ailleurs les autres : le pays, le peuple, et l’Histoire qui se mêlent, dans le récit, à l’actualité turbulente. Le cinéma, chez Nasrallah, a un pied dans le passé et l’autre dans le présent, les oreilles dans le boudoir de Shéhérazade et les yeux dans un soap opera bollywoodien. Le cocktail qui en résulte donne une image anticinématographique, un récit politiquement ambigu, un scénario de boulevard. Et un très beau film.

D’où vient sa beauté ? Principalement de ses personnages. L’héroïne est une intellectuelle. Elle est aussi jolie, féministe et révolutionnaire. Pourquoi distribue-t-elle de l’avoine aux cavaliers pauvres qui ont attaqué la place Tahrir ? Pourquoi s’est-elle éprise de l’un d’entre eux – celui qui, pour être tombé durant l’attaque, porte seul sur ses épaules la honte politique de l’action et celle, personnelle, de la défaite ? En lui, l’intellectuelle marxienne voit d’abord un lumpenprolétaire vendu à la contre-révolution, l’Égyptienne un cavalier qui sait faire danser son cheval, et la femme simplement un homme. Le film avance comme ça, par superposition de contradictions qu’il n’essaye pas de résoudre mais plutôt d’observer, avec une admiration et une prédilection certaine pour le suspense.

Déjà, dans Femmes du Caire, Nasrallah avait pris le point de vue d’une femme. Et ce point de vue l’accompagnait dans son propre film, comme si le réalisateur en découvrait l’histoire et son dénouement en même temps que l’héroïne. Quelque chose de semblable arrive ici. Encore plus fortement. Le film commence doucement. Au début, il semble glisser et déborder de tout côté, dans les images de la télévision de la place Tahrir, dans les ruelles d’un bidonville à côté de l’esplanade de Gizeh, dans les paroles d’un père de famille. Comme si le film cherchait sa voie. Puis, précisément à partir de la scène où, lors d’une soirée organisée par un caïd local, l’intellectuelle aperçoit le chevalier danser avec son cheval, Après la bataille se met en place, trouve son chemin : on sent alors vivement que Nasrallah devient cette fille. Il prend ses yeux. Il regarde à travers. Il voit la révolution. Et, plus précisément, la contradiction que cette révolution a ouverte. Pas dans la grande place, pas chez les femmes ni au sein du peuple, mais dans la vie d’un humble cavalier.

Est-ce limité ? Est-ce naïf ? Mao a écrit : « les marxistes dogmatiques ne comprennent pas que la contradiction universelle se trouve dans ce qui est spécifique ». Beaucoup de critiques dogmatiques, même sans être marxistes, sont passés à côté de ce lumpenprolétaire, mais aussi noble cavalier Égyptien. Ils sont passés à côté de lui, de sa femme sage et ignorante, des problèmes de ses fils à l’école, et de tout un tas de détails que Nasrallah poursuit avec patience et intérêt. Certes, l’impression qu’il est en train de nous embobiner est forte. Peut-être, à la fin de l’histoire n’y aura-t-il aucune réponse. Peut-être nous raconte-t-il tout cela pour gagner une nuit de plus.

par Eugenio Renzi
mercredi 26 septembre 2012

Titre : Après la bataille
Auteur : Yousry Nasrallah
Nation : Égypte - France
Annee : 2012

Avec : Mena Shalaby (Reem) ; Bassem Samra (Mahmoud) ; Nahed El Sebaï (Fatma) ; Salah Abdallah (Haj Abdallah) ; Phaedra (Dina) ; Abdallah Medhat (Abdallah) ; Momen Medhat (Momen).

Durée : 2h02min.

Sortie : 19 septembre 2012.

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