Vendredi
À peine arrivé à la gare de La Roche-sur-Yon (tiens, Jean-Pierre Léaud), on est prévenu : l’électricité coupe tout le temps, on est trempé jusqu’à la moelle, la tornade qui a sévi il y a quelques jours trouve un écho dans l’ambiance fin du monde du festival. Premier contact avec La Roche-sur-Yon (ci-devant Napoléon) : tout en lignes droites, tout gris, tout vide. Une allée de palmiers en pot longue de quinze mètres mène au « Manège », le centre névralgique du festival. On y déjeune, on y festoie, on y voit des films.
16h : Séance au cinéma le Concorde ; projection de deux œuvres de commande de Nobuhiro Suwa, cinéaste invité au festival pour une première rétrospective en France : Les Cheveux noirs, commandé par la Cinémathèque lors de l’exposition sur les chevelures d’actrices, et Sojin Kamiyama, docu fiction télévisuel autour de la vie de ce comédien japonais.
19h : Loupé la projection de L’Intervallo, en compétition. Louise-Michel (Kervern/Delépine) au Manège sera le film apéritif. Je remarque que dans le cinéma des Grolandais, l’érotisme est présent, mais toujours désamorcé par l’enflure de la chair ou la perversion comique (ici le DRH qui trimballe une serrure pour épier Louise qui plume un pigeon).
22h45 : Loupé la projection de Pincus (en compétition), mais pas le début de « La Nuit de l’apocalypse ». Des films de fin du monde, programmés par Peter Szendy (auteur de L’Apocalypse-cinéma). Je suis une légende (Francis Lawrence) d’abord ; Will Smith chasse la gazelle dans Manhattan dépeuplé. Los Angeles 2013 (John Carpenter) ensuite, dont je retiens notamment la course poursuite entre Kurt Russell sur un surf et Steve Buscemi dans une décapotable. Dans la salle, beaucoup de lycéens, peut-être yonnais, qui ingurgitent des pizzas et du coca entre les films. Dedans, ambiance cinéma bis et bon enfant. Dehors, la grisaille pénètre les os.
Samedi
11h15 : Dans le cadre de la rétrospective Jean-Pierre Léaud, projection du Journal du séducteur de Danièle Dubroux. Cette variation autour du roman de Kierkegaard diffuse de la mélancolie sur un mode joyeux, en bon film français d’intérieur des années 1990. Mathieu Amalric, Chiara Mastroianni, Melvil Poupaud, Danièle Dubroux elle-même : le casting, à l’image de la mise en scène, est brillant sans être ostentatoire. Après la projection de ce film trop rare, une discussion avec la réalisatrice est organisée. Le public s’évapore, il ne reste plus dans la salle qu’une poignée de spectateurs pour échanger avec Danièle Dubroux. Celle-ci est pourtant plus que prête à en découdre publiquement avec le cinéma français, dont elle a subi la force centrifuge. En voyant son très beau Journal, on entend un peu ses rancunes.
14h : Je ne sais pas à quel moment ça se décide, et je ne l’avais pas prévu lors de mon pré-planning : le festival de La Roche-sur-Yon se transforme pour moi en festival Jean-Pierre Léaud. J’ai encore envie de le voir en homme mûr, dans les années 1990, tel qu’il est dans son petit rôle du Journal du séducteur. Une certaine faiblesse me conduit donc à la séance de Pour rire ! de Lucas Belvaux, où Léaud mêle les cabotinages bougons de son visage aux acrobaties burlesques de son corps tout en nerfs.
17h : Pour lutter contre la suprématie de Léaud dans cette journée, je vais voir La Dernière fois que j’ai vu Macao, de J.P. Rodrigues et J.R. Guerra da Mata, en compétition. Sur un diaporama de plans plus ou moins touristiques de Macao, des voix déroulent le récit d’un polar où affleure la science fiction. On ne voit pas les personnages du drame raconté (sinon ponctuellement un bras, une silhouette), et les voix prennent en charge la signification des images. Le dispositif est passionnant, et l’on se surprend à voir l’action décrite dans des plans de restaurants, de rues passantes, de ports déserts. Mais, comme on peut s’y attendre, le plaisir s’érode au fur et à mesure que l’astuce devient système de substitution à la mise en scène.
20h : Projection du film en compétition d’Alain Gomis, Aujourd’hui, en salles en janvier prochain. Déjà vu et applaudi à Contis, je le sacrifie au profit d’un épisode de Death Row de Werner Herzog, ici pour accompagner la sortie de son long métrage Into the Abyss.
22h : C’est la fève du festival, le film que l’on va voir un peu par hasard et qui semble regarder tous les autres de loin, confortablement assis dans ses multiples carats : Silvestre, de João César Monteiro, programmé par Miguel Gomes, lequel venait présenter son Tabou. Silvestre, comme un Perceval portugais, est imprégné d’imagerie médiévale. À la différence du film de Rohmer, Silvestre alterne les décors de studio et les décors naturels, créant un espace très particulier, proche du livre de contes chevaleresques. Une jeune fille (Maria de Medeiros) décide de devenir chevalier après avoir subi l’affront d’un voyageur lubrique, et pour cela se fait passer pour un garçon. Le rythme du film est celui du pas d’un cheval, accompagné d’une prosodie portugaise enchantée. Silvestre a eu le grand mérite (trivial, certes, mais significatif) de s’imprimer dans le souvenir des spectateurs du festival, c’est-à-dire des spectateurs ayant vu plus de dix films en trois jours.
Dimanche
11h : Au théâtre napoléonien se tient une conférence sur la critique en ligne. Sur scène sont représentés Zinzolin, Accréds, Débordements et Ceci dit (au bas mot). En fait de conférence, il s’agit plutôt d’une série de présentations de ces sites.
14h : Je cède à l’envie d’assister à la présentation des 400 coups par Léaud/Doinel. Mais dès que résonne l’orchestre de Jean Constantin, il n’est plus vraiment envisageable de s’enfuir. Cette énième vision n’aura d’ailleurs pas été inutile, puisqu’elle a fait surgir un « le saviez-vous ? » hors pair : la scène du commissariat comporte un caméo de Jacques Demy en policier, non crédité au générique. Bonus : Serge Moati interprète un des écoliers de la classe d’Antoine Doinel.
16h30 : Avant le train de retour, un programme de courts métrages de Nobuhiro Suwa parvient à se glisser dans l’emploi du temps. Trois films, dont l’un (La Place des Victoires) fait partie de Paris je t’aime, dont un autre, Letter from Hiroshima, sert d’appendice au long métrage H story, et dont le dernier (Teruterubozu) a été réalisé avec des étudiants du cinéaste. Et c’est celui-ci, que Nobuhiro annonce avoir le plus honte de montrer, qui retient finalement le plus mon attention. Comme dans les longs métrages du cinéaste (2/Duo, M/Other…), Teruterubozu travaille les infimes variations quasi météorologiques du couple, recensant les différentes pressions atmosphériques, les éclaircies, les ondées…
Mardi
Soir : Le palmarès du festival est annoncé, je suis la cérémonie de loin. Pendant ce temps, je regarde 2012. Demain matin, ce sera la projection du 4:44 de Ferrara. L’apocalypse continue.