Pour épargner à Bella (Kristen Stewart) de mourir en couches, Edward (Robert Pattinson) l’a changée en vampire. Une fillette est née, considérée par un groupuscule de vampires romains intégristes comme une menace. Un bain de sang guette. C’est sans compter sur l’un des piliers de la saga Twilight : Frustration. Ou l’art de ne rien donner.
Ce qui ne manque pas de sidérer à chaque nouvel épisode de Twilight, c’est sa désinvolture. Acteurs empaillés vifs, musique de funérarium, effets spéciaux de série TV, lumière sans saveur... Dans le second épisode, une ombre de scénario relie quelques séquences lucratives où Taylor Lautner, jeune acteur bodybuidé, se déshabille. Le troisième répéte l’intrigue du second, le quatrième la laisse mariner le temps d’un épisode supplémentaire, résultat d’une division du dernier tome en deux. L’opus final porte donc à leur paroxysme absurde les tares énumérées jusqu’ici. A part les images, rien n’est travaillé. Un beau garçon, un huskie de synthèse, une jeune femme détruisant un rocher à coups de poing, un autre beau garçon et pour lier le tout, l’image d’une actrice qui ne change jamais, d’une émotion à l’autre, depuis 2008. Eternellement la même, vampirisée depuis le début. Non pas que Kristen Stewart soit une incapable : c’est bien son personnage, ici, qui exige d’elle la plus grande raideur, la plus grande fadeur, puisque c’est le maître mot. Il s’applique d’ailleurs aussi au montage. À chaque cut le film repart de zéro, la tension retombe.
En touchant à sa fin, la saga se rembobine automatiquement comme une VHS en fin de bande : les deux acteurs retournent s’accroupir dans leur champ de fleurs virginal et se repassent mentalement des images du premier épisode. Le générique qui suit prolonge le flash back et refait défiler l’intégralité des personnages de la saga, rappelant le nombre impressionnant de bons acteurs compromis dans l’affaire (Bryce Dallas Howard, Michael Sheen, Dakota Fanning, Anna Kendrick...). Variations sur le vide : raconter d’abord ce qui n’aura pas lieu, puis raconter encore ce qui s’est déjà produit. Prisonnier d’un cahier des charges qui lui impose de friser le ridicule pour attendrir les fans, Twilight se ménage ainsi, par instants, des alcôves de bizarrerie. Comme si, foutu pour foutu, celui-ci choisissait de tout envoyer valser, ou bien de vampiriser un peu de folie chez les séries Z. Cela marche parfois, et fait de la saga un ensemble de films auto-parodiques souvent drôles. L’amant éconduit Taylor Lautner, hyper-hétéro dans ses intentions, est par exemple doublé par Xavier Dolan lui-même dans la version québécoise du film.
Twilight 5, ne reconnaissant plus aucune limite au ridicule, dérape franchement. Le loup-garou torse-nu tombe en effet éperdument amoureux, à sa naissance, du bébé de l’héroïne. Le temps venu, il l’épousera. Aussi pudique qu’une adolescente bourrée en boîte de nuit, la saga ne fait étal que de son enjeu sexuel. Après tout, c’est ainsi que les geishas faisaient fortune, laissant languir les prétendants, monter les enchères jusqu’à se donner au plus offrant. Ainsi le personnage de Taylor Lautner passe-t-il le film à fixer un bébé, puis une fillette, sans parvenir à dissimuler son impatience aussi maladroite que malsaine de voir l’enfant atteindre l’âge de rejouer la petite tragédie du renoncement et de l’abandon. Le bébé lui-même est d’ailleurs un monstre, dont les premières apparitions sont celles d’un poupon généré par ordinateur, aux expressions dérangeantes – un objet entre les mains d’adultes, déjà. En bon coupable, Twilight finit par se rendre, et supplie ainsi que cesse l’indulgence du public à son égard. On aimerait croire que c’est la conscience d’être condamné à l’immunité qui le rend cynique. Ce serait probablement voir quelque chose là où, on l’aura compris, il n’y a rien à voir.