Para armar un helicóptero, Izabel Acevedo (Mexique)
Dans un immeuble d’une ville mexicaine, la vie s’organise autour d’une coupure d’électricité qui touche tout le quartier. Lauréat du grand prix de la compétition internationale, ce court métrage a l’heureuse idée de faire dépendre un militantisme discret d’un principe esthétique fort : ses 35 minutes se déroulent en grande partie dans la pénombre et le silence. Izabel Avevedo filme la renaissance d’un lien social, petit à petit, à travers l’adolescent Oliverio qui doit abandonner les jeux vidéo lors de la coupure d’électricité. Il met alors son temps au service de ses proches, et son astuce au service de plantes menacées par l’absence de lumière. Belle allégorie de la société mexicaine, Para armar un helicóptero fait entrevoir une faible lueur au cœur d’une ombre épaisse.
Avant que de tout perdre, Xavier Legrand (France)
Ce premier film de Xavier Legrand est à Clermont-Ferrand ce qu’Amour est aux César. Il a emporté successivement le prix de la presse (Télérama), le prix de la jeunesse, le prix du public et le grand prix du jury. Autant dire que tout le monde est d’accord. Cet enthousiasme univoque a de quoi étonner. Puis on comprend que si les films consensuels ne font pas consensus, personne ne le fera pour eux. Avant même d’être tourné, Avant que de tout perdre annonce une vigueur toute télévisuelle : un sujet grave et d’utilité publique (ou peu s’en faut : les femmes battues), un titre improbable de bête à concours, un décor au plus près des vrais gens (un hypermarché de campagne), des faux gens notoires au casting (Denis Ménochet dans le rôle du mari violent et Léa Drucker dans celui de la femme battue/mère de deux enfants/caissière du susdit hypermarché). Cerise : le film a été pré-acheté par Canal plus. Avant que de tout perdre accomplit son programme, la violence n’est suggérée que par évocations subtiles et affrontements psychologiques indirects : un hématome capté furtivement par ci, un sanglot étouffé par là… Il faut tout de même reconnaître à Xavier Legrand une faculté miraculeuse à sauver les meubles. La mère battue décide de fuir, mais se retrouve prisonnière de la présence de son mari dans l’hypermarché où elle travaille. S’ensuit un suspens plutôt bien négocié, noué en plans-séquences. L’impression demeure pourtant que le produit filmique, ainsi que sa valeur d’échange, fait l’économie malheureuse d’une véritable vision de cinéma.
Hôtel Cervantes, Guillaume Orignac (France)
Comme son cousin La dernière fois que j’ai vu Macao des Portugais Joao Pedro Rodrigues et Joao Rui Guerra da Mata, le film de Guillaume Orignac se nourrit d’exotisme et de puissance d’évocation des images pour inventer une fiction qui n’est pas mise en scène directement, mais racontée en voix off. Le procédé rappelle aussi Tabou, de Miguel Gomes, d’autant plus qu’Hôtel Cervantes joue également sur différents régimes d’images. Alternance de noir et blanc et de couleurs, d’argentique et de numérique, de 16mm et de 35mm, le retour d’une foi dans la narration cinématographique faisant feu de tout bois est un geste récurrent du cinéma contemporain. En l’occurrence, cette foi se confronte à ce qu’il y a de moins narratif, puisque les images sont dépeuplées des protagonistes dont il est question. Dès lors, l’amour du récit relève moins de la croyance que du jeu consenti entre le metteur en scène et le spectateur, tous deux émerveillés qu’une image, aussi simple et dépouillée soit elle, raconte toujours quelque chose.
A Story for the Modlins, Sergio Oksman (Espagne)
Autre exemple de cinéma herméneutique, sélectionné pour la section labo du festival, et vainqueur du grand prix de cette section. Un narrateur, en voix off, prétend (est-ce vrai ?) avoir trouvé un ensemble de souvenirs appartenant à une certaine famille Modlin, dans une rue de Madrid. Ici, la puissance d’évocation des images tient du recyclage proprement dit, et du zèle de l’historien romancier. Le narrateur entreprend de raconter l’histoire de cette famille, à partir des seuls souvenirs trouvés. Elmer Modlin (le père) est un comédien dont le fait d’armes le plus notable est une apparition fugace dans Rosemary’s Baby. Constatant l’échec de sa carrière, il s’installe en Espagne avec sa femme et son fils. Le court métrage fait figurer, comme un diaporama, les photographies et les films de famille ; mais (et c’est le moment où il trouve toute son ampleur) il cherche aussi à faire dire quelque chose à la courte apparition d’Elmer Modlin dans Rosemary’s Baby. La séquence passe plusieurs fois, au ralenti, on zoome sur le visage du comédien raté : une faille apparaît alors dans le film de Polanski, qui ouvre sur la vie d’une famille et sur le court métrage que l’on voit. Constatant que derrière chaque figurant, il y a une figure, A Story for the Modlins en révèle une, et l’augmente en augmentant le film qui la contient.
Guillaume le désespéré, Bérenger Thouin (France)
Nouvel (et dernier) exemple de cette même tendance. Ici, le jeune réalisateur puise dans un foison d’images d’archives de la Grande Guerre pour inventer et raconter la biographie d’un grand homme imaginaire : Guillaume Deyrolles. Le dispositif est simple : une voix off effrénée aux atours céliniens (Voyage au bout de la nuit est cité) s’attelle à faire parler les images montées ensemble. L’imaginaire pénètre dans ces archives disparates et finit par les cimenter, jusqu’à donner vraiment vie à un personnage jamais montré (pour cause). Cas extrême du film faisant parler les images, Guillaume le désespéré trace une mise en scène qui contient le montage mais ne se limite pas à lui.
Autofictions
Deux beaux courts métrages de la sélection française donnaient à l’autofiction littéraire un équivalent au cinéma : Rodri de Franco Lolli et Kingston Avenue d’Armel Hostiou. Le premier est un portrait joué de Rodrigo (oncle du réalisateur), entouré de sœurs aimantes et castratrices. Ni complaisant ni impudique, le film déborde d’une affection familiale très juste. Kingston Avenue présente quant à lui ce qui semble être la suite des aventures de Vincent Macaigne, coscénariste et interprète du personnage principal, qui s’appelle (bien sûr) Vincent. La présence du comédien est si prégnante que les films dans lesquels il joue sont immanquablement imprégnés de son tempérament. Dans Kingston Avenue, Vincent à New York tente de reconquérir la femme qu’il aime et qui ne l’aime plus. Dans Les Lézards de Vincent Mariette (autre film de sélection française), il se rappelle avec émotion de son ex, qu’il tente d’oublier. Dans La Règle de trois de Louis Garrel (où il interprète Vincent), son désespoir un peu comique, après s’être fait quitter, embarrasse son ami. Vincent Macaigne est devenu un personnage de référence : l’ami qu’une femme a quitté.
Carte blanche à Ecce Films
Ecce Films avait donc la tâche d’organiser deux programmes lors du festival, en tant que lauréat du prix du meilleur producteur l’an passé. La société de production, créée par Emmanuel Chaumet, abrite quelques cinéastes parmi les plus inventifs du cinéma français contemporain : Sophie Letourneur, Benoit Forgeard, Justine Triet ou encore Antonin Peretjatko. Un court métrage de ce dernier faisait partie de la carte blanche : Les Secrets de l’invisible. Antonin Peretjatko poursuit un travail comique amorcé par ses films précédents, un burlesque jamais mécanique, toujours porté par un discours qui dépasse les séquences hétérogènes, mais ne les plombe pas. Les films d’Antonin Peretjatko sont à l’image de leurs personnages, extrêmement schématiques (le personnage de la fille, Joli-Cœur, ne vaut que comme ambassadrice des séductrices) et toutefois attachants. Le premier long métrage du réalisateur, La Fille du 14 Juillet, devrait sortir prochainement en salles.