spip_tete

Cinéma du Réel 2013 #4

Création, destruction

Liquidation, de Christophe Bisson (France, 2013, 20mn) + Fifi Az Khoshhali Zooze Mikeshad, de Mitra Farahani (États-Unis, 2013, 1h36mn)

« On sait qu’en général, ce public passe et voit les œuvres sans y prêter attention ». Devant l’intervention d’un spectateur à la fin de la séance de Liquidation, Christophe Bisson tient à préciser que son film ne prend pas les touristes des musées pour des bœufs. Montrer ce public anonyme qui gêne la vision des œuvres du Louvre ne sert pas ici un discours pessimiste. Mis en relation avec la pratique d’un patient d’un institut psychiatrique qui, travaillant sur des reproductions de peintures, biffe le Christ de Masaccio jusqu’à le recouvrir, ce geste tend vers un horizon directement formel. Défigurant une œuvre, l’obstruction en fait apparaître une autre, sans que l’on sache réellement pour qui et pour quoi.

Ces noces de la création et de la destruction sont solidement justifiées par l’arrière-plan historique de Fifi hurle de joie, où Mitra Farahani retrouve la trace du peintre, sculpteur, collagiste et traducteur Bahman Mohassess, exilé d’Iran après la chute de Mossaddegh en 1953, dans l’hôtel de Rome où il attend son dernier jour. La plupart de ses œuvres installées dans l’espace public furent démolies durant la révolution islamique. Refusant délibérément de travailler pour la postérité, Mohassess prit l’habitude d’en détruire lui-même beaucoup. Aussi, plutôt qu’à un film d’histoire, c’est à une étude de caractère et à un requiem que Farahani s’est livrée en côtoyant l’artiste en 2010, jusqu’à sa mort. Pourquoi il a dessiné tant de poissons, elle ne le saura jamais, malgré ses demandes répétées. L’homme est aussi drôle que cynique et autoritaire. C’est lui qui fixe le cap et indique ce qu’il faut faire à divers endroits du documentaire. Il conseille par exemple d’afficher une image plein cadre ou de conclure par un plan de mer, et ses propositions ont force de loi. Farahani s’y soumet avec complicité et tendresse. Lorsqu’elle parvient à obtenir une dernière commande pour Mohassess, deux jeunes collectionneurs de Dubaï arrivent avec une admiration craintive pour ce vieux maître que le film associe tantôt au Guépard de Visconti, tantôt au Frenhofer de Balzac, mais qui révèle surtout un paradoxe de sagesse ayant trouvé la paix dans la destruction.

par Thomas Fioretti, Antoine Thirion
lundi 1er avril 2013

Accueil > évènements > festivals > Cinéma du Réel 2013 > Création, destruction