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Cannes 2013

Un Jimmy, deux Guillaumes, trois zombies

Quinzaine #2

Seconde journée scandée de déconvenues qu’on aurait volontiers échangées contre le retour de la pluie.

3.3

Cap sur les 70’s dans Blood Ties  : rouflaquettes grosses comme des bagnoles sur les joues de Clive Owen et de Billy Crudup, respectivement Caïn et Abel, avec bande-son juke-box (pas mal). James Gray est le producteur et le coscénariste. Guillaume Canet est l’autre coscénariste et le réalisateur. Ce partenariat franco-américain a lieu sur le terrain d’un récit de lutte entre frères ennemis, ce qui n’est pas sans évoquer La nuit nous appartient (2008). Pour y injecter du nouveau sang, Canet rajoute une sœur ; qui ne sert qu’à crier deux fois. La production s’offre une actrice d’Avatar (Zoe Saldanha), une Française, mais oscarisée (Marion Cotillard, toujours aussi gênante) et un dur à cuire porte-bonheur (James Caan). Il faut bien reconnaître à Canet un sens de l’action mais n’affleurant sporadiquement qu’au milieu de ses tics de sitcom. La tragédie à la Gray recherchée ici devient alors tragédie de l’imitation : en imaginant les personnages prisonniers de leurs clichés, on finit par se dire que la déchéance du frère renégat n’en est que plus inexorable – déjà écrite des millions de fois, même pas vécue ici de sa manière la plus flamboyante.

1.9

Hué dans l’après-midi, The last days on Mars de Ruairi Robinson est applaudi à sa seconde projection, peut-être parce qu’il est minuit passé et que l’incongruité de cette famélique série Z pitchée comme un direct-to-dvd (des zombies cosmonautes) dans la sélection de la Quinzaine se voit moins. On se demande ce qui a pu séduire Edouard Waintrop, s’il a parié que le cinéma bis, à un certain degré d’absurdité, pouvait se confondre avec le cinéma d’auteur. La poudre aux yeux d’une citation de Kubrick (un vaisseau bague en apesanteur) a dû faire effet. C’était pourtant la preuve par excellence que le cinéma bis est, dans l’écrasante majorité des cas, un artisanat plus qu’un art, qu’il y est surtout question de reproduire (« bis ») le même geste à l’infini avec une minutie de copiste : un gangster en rouflaquettes tirant longuement sur sa cigarette chez Canet, un zombie écrasant son visage au hublot d’une porte fermée chez Robinson… On pouvait comprendre la nécessité de copier les oeuvres quand il s’agissait de tableaux, mais à l’ère de la diffusion numérique, à quoi bon ? À moins de considérer l’idée qui consiste à guérir les zombies en leur administrant des antibiotiques comme une trouvaille, évidemment.

5.2

La Quinzaine est excellente transformiste, passe d’un programme grindhouse à la salle Richelieu en un après-midi : on y assiste également à Les garçons et Guillaume, à table ! , signé « Guillaume Gallienne de la Comédie Française ». Pour se faire une idée du film, il faut d’abord raconter la salve d’applaudissements qui accompagne l’intégralité du générique de fin, le public debout, cercle tourné vers le centre, Guillaume Gallienne et près de lui, Aurélie Filipetti de la République Française. Le mélange du respect porté spontanément à un comédien estampillé Comédie Française et du plaisir qu’il y a à avoir vu cet artiste se comporter en clown accessible pendant deux heures rend le public fou d’amour.

Le film reconstitue, au sens policier du terme, l’épanouissement sexuel de Guillaume G. Guillaume au pensionnat, à l’armée, en boîte gay (apparition de Reda Kateb en dragueur indélicat, pas mal ; plus tard de Diane Krueger en proctologue fille de nazi – encore moins délicate). Ce qui retient l’attention, c’est le portrait de la mère, Melitta Gallienne, interprétée par Guillaume Gallienne de la Comédie Française. Il y a quelques années, Joann Sfar avait bien proposé à Charlotte Gainsbourg de jouer son père et celle-ci avait dû refuser ; l’idée était suffisamment belle pour mériter d’être concrétisée un jour.

On renifle le plaisir du comédien des planches tenant à jouir de toutes les possibilités offertes par l’image enregistrée. Effets spéciaux (Gallienne maman et Gallienne fiston dans le même plan), super-raccords entre les époques (sur le mouvement, l’expression…), montages parallèles, apparitions et disparitions… Pour le reste, comme chez Canet, comme chez les zombies, le film semble n’exister que pour son twist final, où il puise la justification de tout ce qui le précède, sorte d’excuse à sa trivialité.

Malgré cela, le film n’en est pas moins touchant par moments, comme peut l’être par mégarde une chanson de Véronique Sanson. D’un sentimentalisme tellement épais qu’il en retrouve du charme, une sorte de poésie du lourdingue. Venant d’un Comédien-Français en représentation devant Madame la Ministre, c’est le moins qu’on pouvait attendre.

par Camille Brunel
mardi 21 mai 2013

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