Avec un budget de 270 millions de dollars, Monstres Academy est le film le plus cher de cet été 2013, et l’un des plus chers, tous étés confondus. On n’y trouve pourtant ni reine d’Egypte mégalo, ni Titanic en train de faire le poirier, ni galions pirates s’affrontant au bord d’un maelström : seulement un campus de monstres gentils, à quelques crétins et une bibliothécaire ursuléenne près. De la lumière, du jazz et des gags. Bob Razowski est un petit cyclope dont le rêve est d’intégrer l’élite de la nation et pour cela, il intègre d’abord la fac la plus prestigieuse possible, Monsters University. Bizutage, rencontres, soirées, olympiades... Les scènes sont souvent inventives, chaque monstre recelant son propre gag, et souvent drôles, du coup. On n’avait certes pas trouvé une telle vitalité chez Pixar depuis longtemps, mais ce n’est pas le temps passé à chercher de vraies blagues qui a fait exploser le budget.
Comme Raiponce en 2010, lui aussi estimé à 260 millions, Monstres Academy confronte l’œil à un régime d’image qui n’est pas celui du photoréalisme, mais n’est pas non plus celui des dessins animés 3D habituels (Epic, Moi moche et méchant 2, etc.). Les personnages ne sont pas seulement lisses, ils sont épais, ils sont lourds. Il est également question, sur ce film-là, de l’élaboration d’un logiciel qui évite d’avoir à concevoir ombres et reflets manuellement. En somme, tandis que le cinéma « réel » se virtualise (nombreuses séquences entièrement générées par ordinateur de Man of Steel, de Pacific Rim), le cinéma d’animation se rapproche du réel, puisqu’il est désormais possible d’y promener la caméra sans se soucier des jeux de lumière, générés automatiquement – l’image est forte – par l’ordinateur lui-même. Le disque dur devenu sa propre lampe : on n’a jamais été aussi proche de l’intelligence artificielle.
Scènes éclairées à la bougie, à la boule à facettes, à la torche, pénombres et clair-obscur, Monstres Academy regorge de jolies manières d’éclairer l’obscurité du placard où se cachent les monstres. Ombres mais aussi reflets : Le Parapluie bleu, court-métrage projeté en lever de rideau, se déroule dans un New York pour le coup photoréaliste, où les éléments de la voirie prennent vie et accompagnent le trajet de deux parapluies – on est à mi-chemin entre les jouets de Toy Story et les objets numérisés de David Fincher. Le clou du spectacle est ainsi un effet de lumière : le reflet, sur le parapluie bleu, du parapluie rouge dont il est amoureux.
Les étudiants de la Monsters University s’entraînent à effrayer sur un simulateur ultra-puissant, capable d’imiter les psychologies de différents enfants. Le simulateur a pourtant l’air d’un mannequin de crash-test plutôt vétuste. De la même manière, la haute-technologie simulatrice des ordinateurs se déguise en comédie pour jeunes, un truc plutôt vétuste aussi. Résultat : même vu en VF et en 2D, le film est une réussite. Catherine Deneuve et Jamel font sagement leur boulot ; le pitch, prudent, reprend quelques anciennes idées pixaresques, notamment celle qui consiste à associer un vaniteux et des bras-cassés – Cars – et celle de la fac, qui planait au-dessus de Toy Story 3 tout en y restant périphérique, puisque le film s’achevait sur le départ à l’université du personnage détaché de ses jouets. Le réalisateur Dan Scanlon (ancien story artist, surprise : de Cars et Toy Story 3) ne cherche pas à renouer avec Monstres&Cie, sorti en 2001. 12 ans ont passé depuis, mais 12 ans en arrière : Monstres Academy raconte la jeunesse des héros de 2001. La petite Boo, fleuron du premier épisode, n’est pas née. La volonté est palpable d’inventer un film qui ressemblerait un minimum au précédent – les private jokes ne sont pas si nombreuses, quoique réussies. La référence principale, ici, c’est plutôt le séminal Toy Story, jusqu’au finale où il s’agit de transgresser une règle immémoriale pour se sortir d’un mauvais pas.
Ainsi Pixar désoriente, et la critique ne sait toujours pas si, après les trahisons Cars 2 et Rebelle, c’est de l’art ou du commerce. Résultat : alors que Toy Story 3 suivait les codes du « film d’évasion » à la lettre, le film fut un succès critique. Aujourd’hui, on accable ici et là Monstres Academy parce qu’il fait « film de campus ». Pouvoir rapprocher le premier des Douze Salopards en faisait un chef-d’œuvre, ne pouvoir rapprocher le second que de The Social Network ou les films de John Hughes en fait un film secondaire. C’est dommage autant qu’absurde, d’ailleurs les gags sont ici autrement plus intéressants que les consensuels Buzz Espagnol, Ken et Barbie de Toy Story 3. Interprété par Jonah Hill (en cyclope) et Seth Rogen (en yéti), Monstres Academy n’aurait pas démérité - sans parler du fait qu’on aurait cessé de lui reprocher d’avoir laissé de côté la confrontation avec les humains.
Reproche d’autant plus absurde que cette confrontation a lieu, lors d’une conclusion moins spectaculaire mais plus conceptuelle que celle qui constituait le bouquet final en 2001. La confrontation n’est pas diluée dans tout le film mais condensée dans le dernier acte, manière de varier les plaisirs. Il s’agit alors de déconstruire la peur, d’expliquer comment on élabore une scène d’horreur à destination des adultes. On assiste ainsi à un making of, où s’intercalent ici et là quelques plans qui, montés seuls, auraient pu angoisser (un petit monstre vert fuyant la lumière des torches) mais se marient brillamment au point de vue des monstres, inquiets à l’idée de ne pas faire peur une fois lancés dans le monde humain, sur le terrain. Retournement de situation, santé retrouvée de Pixar : ce dernier acte célèbre la capacité du studio à ne plus se soucier de simulation mais purement, et simplement, de mise en scène, à même le réel. C’est cela, et rien d’autre, qui vaut aux héros de faire sauter le box-office, ici représenté par une série de bombonnes jaunes se mettant à exploser.
Making of, Monstres Academy est aussi journée portes ouvertes aux studios Pixar. S’il y flotte un parfum d’élitisme à la Harry Potter (« je suis là pour rendre les meilleurs encore meilleurs, pas les médiocres moins médiocres », lance un dragon doublé par Helen « The Queen » Mirren), le film ne manque pas de donner l’impression que le studio est ouvert et que chacun peut y tenter sa chance. Mais il y a un twist. Pixar, ce n’est pas l’université : c’est l’usine du premier film où travaille l’élite. L’université représente surtout le territoire de ceux qui étudient trop, à en perdre leur âme. On l’avait senti lors des masterclass Pixar données au festival d’Annecy : les talents recherchés ne sont certainement pas les plus académiques. Le film est finaud, suggérant que chacun a sa chance, qu’il n’y a pas de chemin tout tracé pour réussir… Il suffit de faire partie, dès le départ, des meilleurs, que ce soit ceux qui travaillent le mieux (Bob), ou ceux qui ont le plus de talent (Mike) – et puis de s’associer. Après… la lumière se fait toute seule.