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70a Mostra Internazionale d’Arte Cinematografica

Tom à la ferme

6.1

Dans le passé, nous n’avons pas défendu Dolan dans le passé. Son dernier film ne laisse pas indifférent. Les images de Tom à la ferme restent dans la tête, donnent envie d’y repenser, d’en parler, d’écrire dessus.
C’est un film esthétiquement plus calme que les précédents Dolan. Seul le son nous rappelle, par moments, les excès d’autrefois. Dolan part dans le Quebec profond. Il y découvre une intrigue étonnamment très proche, de celle de L’inconnu du lac : la lutte déchirante entre le désir et la peur de l’autre. Le traitement est plus américain que français. La ferme ressemble au Bates Motel. Mais il s’agit d’un lieu profondément lynchien, un de ces endroits où l’absence de l’autorité paternelle ouvre la porte au chaos. Une séquence finale ramène l’histoire sur le lac de Guiraudie, pour un final différent de celui, fantastique, du cinéaste français, mais tout aussi troublant.

*

Xavier Dolan, c’est toujours un peu les Alcooliques Anonymes, ça commence par une présentation : « Bonjour, je suis Xavier Dolan… » Ici, elle prend la forme d’un joli prologue, où la caméra filme au plus près un feutre bleu griffonnant sur un bout de sopalin quelques mots d’amour triste. Ces mots sont destinés à être lus à un enterrement, mais on ne le saura qu’après : pour l’instant, ils ne valent qu’à titre de présentation : La main qui tient le marqueur est celle de Dolan lui-même. Manière de confirmer, une fois de plus, qu’il est l’auteur de ce qui va suivre. En même temps, on peut y lire aussi l’inverse, une sorte de prise de distance. Comme si ce recit appartenait au personnage fictif auquel Dolan prête son visage et son corps : Tom, jeune publicitaire de Montréal qui vient de perdre son copain dans des circonstances que le film n’éclairera pas. Par la suite, le pitch est assez limpide. Tom débarque dans la maison de son ex, dont il rencontre la mère, qui ignorait l’homosexualité de son fils, et surtout le frère, qui tient à ce que les choses restent comme ça.

La furieuse homophobie du frère cache quelque chose de plus trouble, même si Dolan a le bon goût d’épargner au public le retournement de situation qui aurait conduit à une énième scène de viol dans la programmation du festival. Dolan a du goût : c’est une chose. Il fait ses films pour ceux qui n’en ont pas vu beaucoup : c’en est peut-être une autre. S’il se montre particulièrement doué, il ne l’est pas forcément de la manière qu’on croit. Pour faire simple : là où celui-ci revendique un dandysme attaché au second, voire au troisième degré de lecture, il fonctionne peut-être au premier. Et ce n’est pas l’espèce d’atmosphère hitchcockienne qui plane sur le film qui y change grand chose – une grand-mère un peu louche, ou un champ de maïs soudain filmé en 16/9, comme si le changement de format venait signaler l’inscription du film dans une sorte de « cinéma » officiel, pré-existant, dans lequel Dolan daignait momentanément s’incrire, confirmant ainsi son statut de film d’après.

Ce jeu sur le premier, le second, le troisième degré est au cœur du cinéma de Dolan. S’il fallait le résumer, on citerait l’une de ses feintes, en interview à l’époque des Amour Imaginaires, lorsqu’on lui indiquait que bon, quand même, sa musique était avant tout celle d’In the Mood for Love, sorti même pas 10 ans plus tôt… On ne se souvient pas de la réponse exacte du réalisateur mais en substance, cela donnait : « Et si je veux employer cette musique-là, qu’est-ce qui me l’interdit ? Wong Kar Wai n’en pas le monopole que je sache ». Dans Tom à la ferme, rebelote : deux hommes se retrouvent à danser le tango dans une grange sur du Gotan Project, groupe de tango électrique devenu célèbre autour de 2005. On exprime, sur Twitter, quelque chose comme « il a osé ?! » - et le voilà qui nous répond : « Ils sont censés écouter quoi, du Brian Eno ?!! » Dans le fond, on ne peut pas le blâmer, il a raison. Dans le fond du fond, il y a quand même quelque chose qui coince. On ne peut pas exiger du public qu’il fasse comme s’il avait oublié tout ce qu’il a déjà vu 200 fois, jamais entendu ce qu’il a déjà entendu 2000 fois. Autrement dit : on ne peut pas exiger du public qu’il prenne le film à la fois au premier et au quinzième degré. S’il fallait choisir de ne s’intéresser qu’à un seul des travers de Dolan, ce serait celui-là, cette façon de s’embourber constamment dans ce jeu du déjà-vu/jamais-vu, du je suis très jeune/je suis très vieux.

On ne dit pas qu’il devrait choisir pour choisir, un peu d’indécision ne fait de mal à personne. Mais dans son cas, l’indécision ne lui réussit pas. Lorsque la mère du fils perdu se met à pleurer, en gros plan, et à crier son sentiment d’injustice, son incompréhension, tandis que les violons de Gabriel Yared (compositeur pour L’Amant et Le Patient Anglais, quand-même !) larmoyent en crescendo, la scène enfle et éclate en moins de temps qu’il en faut pour le dire. Le fait que l’adéquation musique/dialogue s’inscrive dans un film de cinéphile n’enlève rien à sa redondance.

Dolan a-t-il souffert d’être pris par en-dessous, considéré jeune prodige trop tôt ? Aurait-il eu besoin d’avancer plus lentement, de ne pas être placé au pinacle alors qu’il débutait ? Sa voie n’est peut-être, après tout, pas celle du cinéaste de génie, juste du bon faiseur. La preuve ? En fin de soirée, à Venise, passait The Sacrament, d’Eli Roth, film d’horreur très premier degré, sans beaucoup d’autre prétention que de fournir au visiteur du samedi soir son lot d’horreur très-horrible. Le méchant, à un moment donné, s’aligne trois rails de coke, qu’il sniffe. Horrible. Sauf que Dolan fait la même chose. Son méchant très-méchant à lui, le grand frère qui séquestre Tom, s’enfile soudain trois rails de coke – il était aussi question de séquestration dans The Sacrament, d’ailleurs. Hypothèse : que Dolan ait une expérience personnelle de la coke ou non, l’apparition de celle-ci dans son film n’a rien de plus personnel que dans le film d’horreur américain. C’est encore un gimmick. Un gimmick qui a fait ses preuves : pourquoi s’en priver ? Les Américains n’ont pas le monopole des gangsters cocaïnomanes, que je sache.

par Camille Brunel, Eugenio Renzi
mercredi 4 septembre 2013

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