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70a Mostra Internazionale d’Arte Cinematografica

Ana Arabia

3.7

Ana Arabia se présente avant tout comme un plan séquence de 84 minutes, l’autre film virtuose de cette Mostra avec Gravity, qui a fait l’ouverture. Ici, bien-sûr, pas d’étoiles, aucun espace : la scène est dans une cour à Jaffa, entre jardin, décharge et cuisine. Les 84 minutes correspondent à la visite d’une jeune journaliste israélienne, Yael, dans la famille palestinienne de la femme du titre, juive rescapée d’Auschwitz convertie à l’Islam, qui vient de mourir. Le dispositif est répétitif à l’extrême, et ne manque pas d’assommer même le plus bienveillant des spectateurs : la visiteuse rencontre l’un après l’autre tous les membres de la famille ainsi que quelques voisins, passe avec chacun d’eux une petite dizaine de minutes, le temps de recueillir, à chaque fois, une anecdote qui dissipe le mystère d’Ana Arabia tout en symbolisant au passage le conflit israélo-palestinien et ses contradictions. Rien n’enraye le rythme de croisière extrêmement lancinant de la steadycam en plan-séquence, dès qu’elle quitte le plan fixe : les personnages marchent tous, systématiquement, au même rythme qui semble attendre que la caméra puisse les suivre. La scène est au crépuscule, et se veut donc hypnotique, ainsi que le suggère le t-shirt de l’un des intervenants, « hypnotic sunsets ». Gitaï aimerait hypnotiser son spectateur, mais le plan-séquence n’est pas forcément le meilleur procédé pour raconter comment une jeune femme ingurgite une succession d’histoires toutes plus émouvantes ou touchantes les unes que les autres.

Il n’y a pas beaucoup d’autres manières de conclure, du coup, que de lui faire verser une larme, ce qui est à la fois trop (son bouleversement arrive comme un cheveu sur une soupe bien tranquille) et pas assez (on a l’impression qu’elle pleure et puis s’en va, comme si elle n’était venue que pour ça, pour une larme). Deux qualités au film, cependant. La première tient au mouvement de grue final qui révèle la situation exacte du décor que l’on a arpenté, et le situe subitement au milieu des taudis, ce à quoi on ne s’attendait pas vraiment, tant les intervenants avaient manifesté d’amour à son égard. La seconde, et non des moindres, c’est l’actrice, Yuval Scharf. Elle n’est pas toujours juste – difficile de tenir la note pendant 84 minutes, cela dit – mais elle est toujours très belle. On soupçonne Gitaï, amateur de visages féminins (il faut voir son plan-séquence sur Natalie Portman en larmes au début de Free Zone) de n’avoir fait le film que pour la regarder elle, pour tenter l’expérience d’un film où la caméra ne se détacherait pas une seule seconde, pendant 84 minutes, d’un visage parfait, et en scruterait toutes les variations – auquel cas la larme constituerait le bouquet final d’une histoire de visage, seulement de visage.

par Camille Brunel
jeudi 5 septembre 2013