Entrevues 2010, 25èmé festival du film de Belfot - 26 ovembre / 5 décembre

#2 carnet

30 novembre

Belleville-Tokyo, Elise Girard – 73’
6.7

En surface, le film ressemble à une comédie parisienne lambda, légère et sentimentale. Il fait même tout pour y ressembler : distance, raideur et séquence musicale, rien ne manque. Même le casting, avec le couple d’acteurs de La Reine des Pommes – Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm – répond à cette exigence. Le point de départ a quelque chose du vaudeville : un critique de cinéma quitte sa femme, qui travaille dans une salle du Quartier Latin, au moment où celle-ci se découvre enceinte, puis il revient avec mille excuses, et continue de la tromper. Rien de vraiment drôle. Ceux qui connaissent Elise Girard, longtemps programmatrice du cinéma action et ancienne compagne du directeur du festival de Locarno, déjà délégué général de la Quinzaine des réalisateurs, Olivier Père, quand celui-ci était critique aux Inrockuptibles, disent ouvertement qu’il s’agit là d’un film à clé. Quant à Elise Girard, elle dit que Belleville-Tokyo est inspiré de sa vie, sans être vraiment autobiographique. Le film suit dans ses déceptions successives la jeune femme, qui semble être la seule à trouver la situation grave. Chaque fois qu’elle en discute avec ses parents, ses amis, voire ses patrons Jean-Jacques et Jean-Loup (joués par Philippe Nahon et Jean-Christophe Bouvet), elle se retrouve malgré elle dans une situation de comédie. Et lorsqu’on attend d’elle, confinée dans le rôle de la désespérée, une réplique amusante sur son sort, elle répond par une tirade cinglante. Valérie Donzelli se révèle excellente à ce jeu de massacre, jouant sur les attentes que sa présence suscite pour rendre son personnage encore plus rabat-joie. Plus on tente de l’apaiser, telle la maîtresse de Julien lui assurant qu’il n’y a entre eux rien de sérieux, et qu’elle devrait se réjouir de l’avoir pour mari, plus la colère et le ressentiment de Marie grandissent. Petit à petit, ne pouvant plus tolérer l’apathie de Julien ni celle de ses proches, c’est donc elle qui se rend insupportable, et devient franchement agressive. On se prend un moment à rêver d’un vigilant movie dans le milieu de la cinéphilie parisienne : le film aborde cette pente mais n’ose pas s’y risquer. La violence, et c’est dommage, reste jusqu’au bout rentrée, retenue au maximum. L’histoire de Marie et Julien s’arrête trop tôt : on aurait voulu que le film joue cartes sur table, et que ce personnage de comédie qui ne voulait pas en être un ait l’occasion de changer vraiment de registre.

Des rêves pour l’hiver, Antoine Parouty - 59’
5.0

A Brive, en mars, Independencia (par la voix de C. B.) écrivait : « Le film d’Antoine Parouty, réalisateur briviste, pourrait devenir célèbre pour les deux plans consacrés à des fragments d’âne flous dans la nuit, vers la fin d’un récit centré sur des adolescents partis chanter du hard-rock dans une maison de campagne en Corrèze. Comme pour quelques autres films de la compétition, on a le sentiment étrange que les films sont en représentation, spécialement pour le festival. Que, sachant qu’ils ne seront ni distribués ni diffusés, ils ont été construits dans la perspective d’être regardés par un public tranquille, venu voir des films, pas des histoires, à un tarif de festival. » Rien n’a changé. Ici comme ailleurs, l’objet placé devant l’objectif devient vite le prétexte d’une démonstration de savoir-faire. La foi dont témoigne le cinéaste en ses jeunes comédiens (et surtout son acteur principal, forcé de jouer seul une partition difficile) n’est que le revers d’une confiance en son propre pouvoir de transfiguration. A travers l’adolescent fugueur, musicien et poète, l’imagerie rimbaldienne revendiquée vaut aussi comme garantie poétique. L’incertitude de l’adolescent renforce l’assurance de l’adulte ; la sincérité est à double tranchant. Dans la salle, les lycéens venus en nombre soupiraient et riaient devant la rébellion du héros. On aurait pu défendre ce dernier si une question ne nous en avait empêchés : pourquoi, après tout, les adolescents n’auraient-ils rien à dire de ces idées d’adolescents dont le cinéma français (de La Belle Personne à Des Filles en noir) semble avoir encore tant besoin ?

Blue Sky, Black Bread, Ilya Tomashevich - 22’
6.0

Une évocation de la vie rurale et du travail des champs dans une région indéterminée de la Russie. Les moissonneuses moissonnent, les troupeaux bêlent, les enfants pédalent sur des vélos. A chaque activité son plan, cadré d’une manière toute soviétique : angles cassés, contre-plongées insolites, etc. Ilya Tomashevish est à bonne école, il est diplômé du célèbre V.G.I.K. – l’Institut National de la Cinématographie Russe, également producteur. Blue Sky, Black Bread démontre un professionnalisme appréciable ; le problème, c’est que la maîtrise technique du réalisateur se retourne parfois contre son film. La désynchronisation de l’image et du son produit quelques beaux effets quoique déjà vus. Idem pour les jeux de lumière, où l’on sent poindre un certain académisme. Ce qui frappe plus encore, c’est que la campagne semble ne pas avoir évolué depuis La Ligne générale. Le ciel est bleu, le pain noir, mais la gaieté demeure dans ce documentaire hors du temps où se fait entendre un refrain séduisant mais trompeur : l’été est toujours généreux au pays d’Eisenstein et de Boris Barnet.

Fading, Olivier Zabat - 65’
7.6

Certains films de la compétition se sont sentis à l’étroit dans la rubrique « documentaire » aménagée par les organisateurs du festival. C’est le cas de Fading, déjà présenté à Venise en septembre dans la sélection Orizzonti, et augmenté pour son passage à Belfort d’une séquence introductrice de cinq minutes. Sa durée totale – environ 65 minutes – en fait le long-métrage le plus court de la compétition. Son sujet – deux agents de sécurité hantés par les spectres d’un hôpital – le distingue quant à lui des préoccupations habituelles du documentaire. Dire de ce film qu’il est rétif à toute catégorisation revient pourtant à énoncer une lapalissade, tant les relations qui s’établissent entre la fiction et le documentaire sont nombreuses dans le cinéma contemporain. Pour Fading, Olivier Zabat a suivi dans leur travail quotidien Marc-Antoine et Jérôme, deux gardiens de nuit d’un centre hospitalier de la banlieue parisienne. Guidés par le faisceau d’une lampe torche dans l’obscurité des galeries souterraines, ceux-ci ont confié au réalisateur être témoins d’apparitions fantomatiques. Il faut dire que les sous-sols du bâtiment conduisent à une église, et la présence de la mort se fait partout sentir dans ces lieux où le moindre cliquetis de tuyau peut être pris pour une manifestation surnaturelle. Fading excelle dans la restitution d’une atmosphère angoissante, où rien n’est montré mais suggéré au moyen d’un bruit ou d’un contraste de lumière. Le titre en anglais nous met sur la piste : il s’agit d’appréhender le film comme une matière visuelle, sonore et textuelle, dans ses éclats et ses évanouissements. Des fragments d’un poème de Czeslaw Milosz – écrivain polonais dissident du régime soviétique – sont lus par un SDF qui a trouvé refuge dans une cave. Le film ne dit pas si ce dernier cohabite dans le même espace que les deux gardiens, mais il propose pourtant une série de correspondances entre les deux parcours. Mirek le sans-abri se photographie avec un téléphone portable ; Marc-Antoine, lui, se filme au volant d’une voiture qui slalome entre les colonnes d’un parking. D’une histoire à l’autre un même désir d’image s’exprime, qui est aussi celui de la vision. Les deux vigiles sont un peu comme Saint Thomas : ils croient ce que leurs yeux ont vu. Le texte de Milosz pourrait les rassurer sur ce point : « Certains disent que nous ne devrions pas avoir confiance en nos yeux, / Qu’il n’y a rien qu’une illusion. / Ceux-là sont désespérés. / Ils pensent que dès que nous nous détournons, / Le monde, derrière notre dos, cesse d’exister / Comme escamoté par des mains de voleurs. »

Not All Fuels Are The Same, Benoît Grimalt – 16’
7.0

Un documentaire peut-il être burlesque ? A défaut d’y répondre, le film pose la question. Suite de scénettes avortées, celui-ci raconte, selon le résumé donné dans le catalogue du festival, « un moment de l’histoire de la musique du XXIe siècle au pays des Beatles ». Rien n’indique à l’avance qu’il s’agit d’une comédie, mais le ton est donné. Humour à froid, sans commentaire : le laconisme est de règle. Photographe, Benoît Grimalt est aussi économe qu’efficace : à peine esquissé, le geste est aussitôt interrompu. Le film n’offre au spectateur que le temps de s’étonner, de hausser les sourcils, pas celui d’observer ces rockeurs originaux se donner en spectacle. Rien ne sert de s’attarder sur un plan qui n’a plus rien à donner, seul importe ici l’effet comique immédiat. Ce qui n’empêche pas de jouer sur le redoublement, en interposant parfois des cartons étalant sur l’écran, comme un titre ou un mot d’ordre, la moindre phrase d’un des trois voyageurs, ou l’inscription la plus anodine – Not All Fuels Are The Same, par exemple, est écrit sur une pompe à essence... Il est rare qu’un premier film soit aussi dépourvu d’apprêt et d’orgueil, rare aussi qu’une comédie se termine alors qu’on vient seulement de comprendre qu’elle en était une. Et c’est assez pour attendre la suite.

Too Much Pussy ! Feminist Sluts In The Queer X Show, Emilie Jouvet – 98’
5.5

Entre les Etats-Unis et l’Europe, le film suit la tournée de sept “performeuses” et du show qu’elles créent, mettent en scène, et exécutent elles-mêmes. Curieux spectacle, qui pourrait être une version trash, à la fois plus crue et plus intello, de celui des filles d’Amalric. Manifestement fascinée, la réalisatrice s’attarde cependant beaucoup plus que le réalisateur de Tournée sur les numéros des artistes. Ici, le strip-tease est intégral, la démonstration ne souffre pas les coupes. Il s’agit de ne rien éluder de la charge provocante du spectacle, de la porter hors des murs ou des lieux qui lui sont réservés, et devant les yeux de spectateurs sans doute moins prévenus. Mais c’est, aussi, une manière de rabattre sur la scène le discours et la violence que portent les femmes avec elles, de transformer en même temps le show en un prêche et un exorcisme. Le spectacle fonctionne alors autant comme cache que comme vitrine de l’engagement politique, et c’est aux performeuses qu’il appartient d’y revenir backstage, entre elles, pendant les moments de pause que leur ménage leur périple. Au détour des conversations, chacune d’entre elles va prendre à partie la caméra pour raconter brièvement son histoire, et revenir sur ses convictions. Proches du courant queer, elles sont, déjà, de la génération d’après, de celles qui ont étudié la théorie du mouvement à l’université, et qui peuvent aussi bien officier comme maîtres de conférences que comme actrices porno. Leur question est d’abord celle du spectacle : peut-on, comme le prétend l’une d’entre elles, opposer à la pornographie mainstream une bonne pornographie ? Peut-on réagir à la violence infligée par la publicité, à ce culte oppressant de la beauté dont témoigne une autre, en faisant soi-même, mais autrement, violence à son corps (les numéros étant parfois à la limite de la séance de torture) ? Plutôt que de poser la question, le documentaire d’Emilie Jouvet n’a de cesse d’y répondre par l’affirmative. Son projet ne se comprend que tard dans le film, lorsque les femmes, de passage en Allemagne, rendent hommage avec d’autres à deux jeunes homosexuels assassinés en Israël : transformer les militantes en héroïnes de la cause, moins inspirées des gender studies que des premiers chrétiens.

par Arthur Mas
jeudi 9 décembre 2010