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Nouvelle histoire d’un couple actrice-metteur en scène, nouvelle histoire d’un tournage d’un tournage qui n’en finit pas. Deux histoires qui ont déjà tout donné. Porumboiu, lui, continue d’esquiver les étiquettes, après une fausse comédie (12h08 à l’est de Bucarest) et un faux film-policier (Policier, adjectif). Ni drame, ni comédie, déguisé en réflexion sur la lente mort du cinéma, Métabolisme (ou quand le soir tombe sur Bucarest) et son titre théorique trompeur séduit en lorgnant plus du côté d’Hong Sang-soo que de l’austérité nationale actuelle – plans séquence et grands sujets.

Independencia : Tes films sont composés de grands blocs, de longs plan-séquences fixes. Comment procèdes-tu sur le plateau de tournage ?

Corneliu Porumboiu : Lorsque je commence à tourner, une fois que j’ai fait ma mise en place avec la caméra, je fais beaucoup de répétitions avec les comédiens avant de faire la prise. Je parle beaucoup avec les acteurs et j’insiste sur la direction. En amont, je travaille beaucoup sur le casting. Les acteurs connaissent le texte une fois le casting bouclé. Ils peuvent déjà avoir un aperçu de ce que va être la mise en scène, car je commence à leur donner des premières indications dans l’espace. Sur place, au moment du tournage, je fais une « répétition générale » comme au théâtre. Je place ma caméra, et je peux ajuster des choses en fonction du cadre que je vais utiliser, par rapport au mouvement des personnages à l’intérieur du plan.

Inde : Dans Métabolisme, la longue scène de répétition dans l’appartement, entre le metteur en scène Paul et sa comédienne Alina, semble illustrer cet effort de préparation.

CP : Il faut savoir que je travaille différemment avec chaque acteur. Je ne suis pas assez fou pour appliquer de façon rigide la même méthode de travail à chaque fois ! J’essaie d’être le plus concret possible, de donner des indications précises, sur la biographie du personnage par exemple. Je choisis des acteurs qui m’inspirent, des comédiens qui peuvent vivre totalement l’expérience avec moi sur un film.

Inde : Est-ce eux qui dictent le rythme ?

CP : Non. Mais avec eux, j’ai de quoi commencer concrètement le travail de mise en scène. Par exemple, dans le scénario de Policier, adjectif (2009 ndr), lors la scène finale de confrontation entre les agents de police et leur chef, je voulais que le personnage d’Ivanov se lève et fasse des tours autour du bureau et des deux policiers assis en face de lui. Or, au moment du tournage, ce mouvement ne donnait rien d’intéressant, et j’ai demandé à l’acteur de rester assis derrière son bureau. C’est un exemple très terre à terre de la distance entre une intention de départ et une réalité de travail. Si je ne le sens pas, je ne le fais pas. Quand je commence à répéter les séquences, j’ai malgré tout un schéma dans ma tête.

Inde : Tes films sont très peu découpés.

CP : Sur Policier, adjectif, j’avais beaucoup de valeurs de plans de type américain. Nous avons pris des photos lors des répétitions, à la fin et au début de chaque plan, pour voir ce que ça donnait au niveau de la continuité et si ça allait fonctionner correctement au montage. Cette dynamique à l’intérieur du plan guide le rythme de mes films davantage que le découpage.

Inde : De tous, Métabolisme est le film qui réfléchit le plus sur lui-même et sur le cinéma.

CP : Je voulais surtout interroger sur ma méthode et mes outils de travail. Deux choses m’ont inspiré cette histoire : d’abord, l’expérience d’un ami réalisateur, qui a commencé un film et qui ne l’a jamais terminé après dix ans de travail. Je voulais raconter l’histoire de ce tournage, la fabrication d’un film inachevé. L’autre déclencheur venait du financement et des aides de l’état, qui avait changé ses critères en exigeant de fournir un storyboard précis avant le tournage. Quand j’étais étudiant à l’école de cinéma, nous manquions de métrage et mes professeurs nous demandaient de venir avec un storyboard avant de filmer quoi que ce soit. Ils craignaient que nous n’allions pas au bout de la fabrication des projets.

Inde : Pourquoi avoir tourné en 35 mm ? Tu y es encore attaché ?

CP : Oui... Je me suis dit que ça serait mon dernier réalisé sur support physique.

Inde : Dès la première scène, on évoque la disparition de ce monde : Paul évoque la mort du cinéma et la disparition des supports physiques. Est-ce que tu reprends à ton compte un tel discours, celui qu’on a entendu dans Holy Motors, ou Le Congrès, sur le devenir des images ?

CP : Non. Ce que dit Paul est excessif. Le rapport au cinéma a changé. Dans la salle, il demeure presque religieux... Mais en ce qui concerne Métabolisme, j’avais davantage en tête une certaine ambiance des films sur le cinéma, les films d’Hong Song-soo notamment. Beaucoup de ses titres sont des histoires d’amour dans le milieu du cinéma. Ils racontent l’endroit et l’envers du décor. J’aime ses histoires et sa façon de faire du cinéma. J’ai vu tous ses films sur une période très courte, en dix ou quinze jours. Ils me fascinent et ont beaucoup évolué, notamment sur l’écriture. C’est un cliché de dire qu’ils se ressemblent tous.


Policier, adjectif (2009)

Inde : Entre le visible et le tout montré, il y a cette scène de l’endoscopie, qui occupe tout l’écran, qui est étonnante par rapport au reste du film. La logique de mise en scène ne devrait pas dévoiler ce que Paul regarde sur le lecteur dvd de son ordinateur. Le plan séquence voudrait tout montrer mais en mettant à distance la réalité. Une image vidéo de l’endoscopie n’a pas cette vertu : elle montre une réalité indiscutable. La scène renvoie à la scène de la porte et du couple qui fait l’amour : la caméra reste derrière et refuse de montrer le sexe, alors que l’image médicale d’un estomac est une manière de dire qu’une caméra peut tout montrer.

CP : Le numérique peut aller jusque-là, il permet de montrer tous les détails. Cette scène est une manière paradoxale de dire que le cinéma doit rester pour moi un art de la suggestion. Il doit selon moi proposer une vision parcellaire du monde.

Inde : Policier, adjectif se terminait par un schéma au tableau : on ne voyait rien de l’arrestation du dealer, pourtant suivi tout au long du film.

CP : Nous sommes dans l’ère du tout voir et du tout montrer, et cela me semble un peu dangereux en ce qui concerne le cinéma. Je reste très attaché à l’ellipse, à sa forme allusive.

Inde : Tu présentes deux films cette année : Metabolisme et un documentaire The Second Game, montré à la dernière Berlinale.

CP : The Second Game est un film dont le point de départ est une rencontre de football. En 1988 a lieu comme chaque année le derby du championnat roumain entre le Steaua et le Dynamo Bucarest. A cette époque, mon père, qui était arbitre international de football, avait officié lors de cette rencontre. J’ai revu des extraits de cette partie avec mon père l’année dernière, lors du passage d’une émission roumaine intitulée “Replay”, qui revient sur des match marquants du football national. Il y avait une séquence de cinq minutes, et ça a fait remonter en moi des souvenirs de jeunesse. J’avais vu ce match en direct à la télévision, et c’était très confus, parce qu’il neigeait beaucoup ce jour-là et que j’avais très peur pour mon père. Lorsque j’ai voulu revisionner l’intégralité de ce match avec mon père, je n’avais pas d’idée précise de ce que j’allais faire. J’avais pris un dictaphone au cas où, sans savoir qu’un film allait exister. Je pensais que cette discussion pouvait être le début d’un futur projet. Ce n’est qu’au fur et à mesure que l’entretien est devenu un film. Par son essence même, cette rivalité sportive est le témoignage d’une époque. C’était très intéressant de revoir ces images avec mon père, qui avait vécu tout cela de de très près. Un an avant la chute du régime, deux clubs mais aussi deux systèmes s’affrontaient : le Dinamo, le club de la Securitate, la police secrète, et le Steaua, qui était le club de l’armée et du Ministère de la Défense.

Inde : Tes films sont ironiques mais parfois assez tristes, un peu trompeurs également : 12h08 est une fausse comédie, Policier, adjectif est un faux film policier. Il y a souvent des scènes au comique absurde : la longue scène du dictionnaire dans Policier, adjectif, ou ici dans Métabolisme la discussion à propos des baguettes chinoises.

CP : Mon cinéma possède quelque chose de la farce. C’est comme cela que je vois l’histoire de mon pays.

propos recueillis à Paris le 20 février 2014.

par Thomas Fioretti
mercredi 30 avril 2014

Titre : Métabolisme (ou quand le soir tombe sur Bucarest)
Auteur : Corneliu Porumboiu
Nation : France - Roumanie
Annee : 2013

Avec : Diana Avrămuţ, Bogdan Dumitrache, Mihaela Sîrbu.

Durée : 1h29min.

Sortie : 16 avril 2014.

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