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71e Mostra Internazionale d’Arte Cinematografica

# Dimanche 31 août

Où il est question de...

Retour à Ithaque de Laurent Cantet
6.7

Belluscone. Una storia siciliana de Franco Maresco
5.0

The Smell of Us de Larry Clark
2.5

Voie rapide

Venise est moins fatiguante que Cannes : moins de queue, moins de monde, plus d’air et moins de distance à parcourir. La programmation est complètement étrangère à ce sentiment, si ce n’est qu’ici les films sont très courts, 1h30 maximum le plus souvent. Cannes et Venise n’ont en commun que l’idée que tout le monde fait à peu près le même festival. Une impression triomphe, celle que ce n’est pas la programmation qui fait un grand festival, à l’inverse des petits, mais ce que les gens peuvent en dire. J’écoute les gens autour de moi. Leur festival est décevant, les films aussi, le sentiment est donc partagé. Reste un point aveugle : le film des frères Safdie projeté jeudi dernier, dont personne ne parle, et qui est pourtant le meilleur film que j’aie vu ici pour l’instant. Seul le film de Bogdanovich, « bien meilleur que le dernier Woody Allen », trouve grâce à leurs yeux. Une phrase sur Jacquot se perd dans une bourrasque de vent.

Avant ce petit essai d’espionnage, le nouveau film de Laurent Cantet était projeté. Espérons qu’il ne passe pas aussi inaperçu que l’avait été la sortie de Foxfire, confessions d’un gang de filles, son précédent long-métrage. Si l’on est arrêté par une connaissance sur le chemin de la salle, on se voit interrogé : « mais, tu aimes Entre les murs ? ». En tout cas, Retour à Ithaque me convainc. Tourné en espagnol, à Cuba, un double dépaysement : on ne croyait plus trop à la France ; tant mieux, le film non plus. C’est un huis-clos à ciel ouvert, qui se déroule sur la terrasse d’un immeuble de La Havane : des amis se retrouvent et discutent de choses légères. Rapidement, ça se transforme en film de procès, où la promesse n’est néanmoins pas la prison. C’est donc un film politique, qui démultiplie les possibles, stimule sans cesse l’attention parce qu’il est inattendu. Ce pourrait être la chronique des années de jeunesse des protagonistes, qui ne parlent que du passé, mais en fait, chacun y est libre : de raconter ce qu’il veut, de partir, de s’enfuir. Ce matin, Cuba est libéral. Tout le monde décide de rester, l’ambiance est agréable, les conversations plaisantes et divertissantes, mais l’auto-critique approche. Si les personnages sont libres, ils s’expliquent sans cesse sur l’usage qu’ils en ont fait, l’un partant en Espagne parce qu’il n’avait pas d’avenir à Cuba, l’autre confessant avoir dénoncé son ami pour ses opinions hétérodoxes. Personne ne croupit en prison, pourtant, comme si tout cela n’avait pas de conséquences. Si le film vante les confessions entre amis, le linge sale lavé en famille, il regarde aussi vers la France, à sa manière, qui ne semble pas très française. Comme Foxfire, Retour à Ithaque est un film de bande. Comme un autre film français, vu à Cannes, Bande de filles de Céline Sciamma. Un autre encore, cette fois réalisé par une bande de trois cinéastes, Party Girl, a à voir avec la bande. Pourquoi les deux derniers ont été si appréciés par la critique, quand les deux premiers ne suscitent que la méfiance, sinon le rejet a priori ? Le film de Cantet ne tolère, en même temps qu’il regarde vers le pays d’origine du cinéaste, qu’un retour sur lui-même. A jouer ainsi, il s’épaissit mais avance toujours, la fluidité des rapports d’égalité qu’instaure la mise en scène compensant l’ajout de couches successives ; c’est un procès sans procureurs ni avocats, une guerre sans généraux ni soldats inconnus. Sur la terrasse, on se retranche, à l’écart des bruits de la rue et des célébrations teintées de mouvements de foule plus suspects, en même temps qu’on se critique. La défaite de l’amitié et de la camaraderie semble toujours plus proche, la bande d’amis est plus dangereuse que l’ennemi extérieur. Comme dans United Red Army de Koji Wakamatsu, on n’est jamais jugé plus durement que par ceux qui partagent notre combat, on est déjà à l’extérieur du groupe quand on se croit encore camarade de lutte. Les personnages sont à la fois coupables d’avoir coupé les ponts avec l’idéal socialiste, avec le pays de Castro, d’avoir largué les amarres du passé, d’être en-deçà du socialisme ; mais aussi au-delà, c’est-à-dire de former une communauté autonome, comme l’est le film, qui regarde un peu partout sans rien devoir à personne.

C’est en attendant de voir Belluscone de Franco Maresco que j’ai prêté l’oreille à ce qui se disait. C’était un prélude à une séance où toute la salle a communiqué avec elle-même à coups d’applaudissements. Toutes les cinq minutes, ces derniers accompagnaient les rires, intimidants au point d’enlever toute envie de les partager. Premier film italien vu ici, la pression nationale déteint sur moi. Maresco s’est fait connaître notamment par une émission de télévision satirique du début des années 90, Cinico TV, co-réalisée avec son acolyte Daniele Cipri, et constituée essentiellement d’interviews. Très vite, et ce sentiment n’est pas courant, le film perd qui ne connaît pas les acteurs, les références, c’est en tout cas ainsi que les réactions de la salle nous le font ressentir. Il s’agit d’un faux documentaire, une enquête menée par un historien du cinéma, sur un vrai documentaire « inachevé » de Franco Maresco, censé avoir disparu depuis quelque temps. Le faux reprend les codes de l’émission célèbre de Cipri et Maresco, le vrai s’attaque à la loi du silence qui règne en Sicile dès qu’on parle de la mafia. Belluscone ne veut jamais vraiment démêler le vrai du faux, il mise sur ses effets comiques, qui reposent évidemment sur cette ambiguïté. L’enquête devient alors inutile puisqu’elle perd sa fonction principale. Elle ne sert que l’obésité du film, qui répond à celle de la télé italienne, les enchères ayant bien monté depuis que l’empire berlusconien Mediaset a pris le contrôle des chaînes du pays. Le matériau réel, en revanche, est une accusation en règle de Berlusconi pour ses liens avec la mafia sicilienne. Avec la télévision, Maresco fait l’inverse d’un réalisateur comme Pippo Delbono, très critique à l’égard de la télévision également : là où Delbono prélève des bouts d’écran comme pour amputer le monstre, Maresco en absorbe la graisse. Plus exactement, il s’arrête en cours d’opération, laisse les outils en plan, regarde comment tout se mélange et se confond. Il y a là un beau témoignage de confiance envers le spectateur, qui, la salle l’a prouvé - et même chez les gens un peu perdus par la vitesse du film - échappe à cette confusion. De l’autre côté, le film ne semble heureux qu’à voir sortir de ce magma des débiles qui jouent aux cons, donc se prêtent à un jeu télévisé où l’on dit contre toute évidence que la mafia n’existe pas. Maresco est déjà ailleurs, et insiste : c’est du cinéma, les enfants. Le piège est tendu à la télé, le procès fait au public qu’elle s’est constituée. Maresco accuse la loi qu’on élabore puis qu’on feint d’ignorer, mais s’exonère de toute responsabilité dans cette mascarade où les pauvres sont engagés pour faire les crétins. Pour faire rire le public aussi, dont on ne sait pas trop ce qu’il a pensé, emporté qu’on est, plus par son délire que par le film. Plus tard, quelques échos me parviendront, tous flatteurs, sans plus de précisions, rendant très nette l’impression que Belluscone n’a pas fait qu’électriser les festivaliers, il a aussi accéléré tout le festival. Dorénavant, on comprend que les journées seront plus courtes, qu’il faudra aller plus vite.

Le délire se prolonge quand est présenté le nouveau film de Larry Clark. Pas de retour en Amérique, The Smell of Us est intégralement tourné à Paris, avec des adolescents français. Le public applaudit à tout rompre, impatient et enthousiaste. Malgré la déception suscitée par son précédent film, Marfa Girl, vu à Amiens, l’enthousiasme est contagieux, la curiosité en éveil. Le film raconte l’histoire d’un groupe de jeunes garçons qui commencent à se prostituer, les uns homosexuels, les autres hétéros, mais les premiers intéressent plus Clark que les seconds. En cela, il est très français, ce n’est qu’un grossissement du scénario de Jeune et jolie de François Ozon. D’une homophilie l’autre, il se fond également dans l’entre-soi de la bourgeoisie parisienne. Plus ça va, moins on sait comment parler des films de Clark. Le réalisme ne paraît pas être un bon angle. Le terrain est alors encore plus glissant que si on les abordait d’un point de vue moral. The Smell of Us se laisse approcher avec le point de vue le plus large possible, c’est-à-dire en termes économiques : son scénario s’y prête. Les jeunes qui filment des ébats réels dans des soirées, ”ça existe” ; voilà le réalisme économique. Clark n’arrête pas de montrer en effet qu’un certain nombre de choses horribles “existent”, pour ensuite dire que lui va filmer ça autrement. Il y a ainsi dans le film un personnage de pornographe ; Clark s’en démarque en même temps qu’il en fait son assistant, du début à la fin. Toujours au plus près de l’objectif, ce jeune homme se voit de temps en temps emprunter ses images par la fiction. Le plus souvent néanmoins, le plan laisse baiseurs et voyeur ensemble à l’image, pris dans les mêmes excès. The Smell of Us contient aussi tous les signes de l’Amérique, à commencer par un caméo de Clark lui-même dans la séquence d’ouverture, mais il n’est pas américain. Le skate, le vocabulaire anglicisé n’y font rien, ce film est dit en français. Presque en audio-description, comme si la France n’était bonne qu’à être un filtre entre l’Amérique et nous : encore des échanges et trafics, de la prostitution au troc ou à la conversion des idiomes. C’est primitif, animal, mais puisqu’on est en France, il faut civiliser tout ça. Larry Clark a désormais deux idoles. La première, depuis toujours, c’est la jeunesse : il y a un an, Le Congrès d’Ari Folman comprenait la reprise d’une belle chanson, Forever Young de Bob Dylan ; Clark reprend la mauvaise idée au générique de son film, version punk navrante. Ce qui nous amène à la seconde idole : la jeunesse française, prélude à l’illustration du « forever » dylanien. Jeunesses de tous les pays…

Restons en Italie.

A suivre...

par Aleksander Jousselin
lundi 8 septembre 2014

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