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Easy Rider - James Benning

vendredi 28 septembre 2012

Un graffiti sur un mur de prison, une vierge encadrée et une colonne de fumée, voilà tout ce qui reste des images d’Easy Rider. C’est dire si cette version 2012 est lugubre, plus encore que l’original dont elle souligne à rebours l’allure d’enterrement. Le remake le suit dans les grandes lignes comme on ferait un pèlerinage touristique, de déserts naturels en villages en friches. L’itinéraire ne nous épargne pas non plus l’enthousiasme forcé par la carte postale : un tracé droit et du folk rock dans les oreilles, le sentiment de liberté est presque obligatoire. Deux ou trois fois seulement le film fait des pauses, s’arrêtant au bord d’une rivière pour se délasser, ou devant une maison typique encore en état, comme pour la prendre en photo, et chaque soir, bien sûr, pour faire un feu autour duquel reprend en off la conversation de Jack Nicholson et Peter Fonda avec Dennis Hopper. Rares moments d’intimité, où les terrains vagues aperçus de la route semblent à nouveau habitables. Ailleurs, les paysages et les constructions d’époque se sont tous mués en monuments, comme autant de gisants qu’on voudrait difficilement tirer de leur sommeil déjà sacré.

Il faut prendre à la lettre les paroles de la chanson de Sadie Benning qui inaugure le voyage de son père sur les traces d’Easy Rider : "You think you know, you think you’ve been there". La mise en garde vaut pour tout spectateur, mais plus encore pour ceux soucieux de reconnaître dans chaque prise de vue les lieux qui accueillirent, quelque quarante années plus tôt, les aventures des trois motards de la Californie jusqu’à la Nouvelle-Orléans. Easy Rider 2012 n’est pas vraiment un circuit touristique pour nostalgiques des années hippies. Devant la caméra de Benning, le chopper mythique conduit naguère par Peter Fonda souffre trop sûrement de la comparaison avec la noble monture des cow-boys d’antan. La communauté baba cool pourtant si accueillante avait en fait élu domicile dans une décharge. Narquois, le film prend un plaisir certain à balader spectateurs et cinéphiles dans le décor. "Vous pensiez avoir vu le paysage grandiose de Monument Valley, mais regardez tout en bas, la petite voiture qui roule de gauche à droite ; maintenant que vous l’avez remarquée, impossible de détourner les yeux. Que vous êtes mesquins de vous intéresser à une si petite chose motorisée lorsque se dressent devant vous les rochers majestueux de Monument Valley." Le film de James Benning n’est pas aimable, pas plus que ne l’était celui de Hopper en 69. Mais, pour qui sait qu’on rate toujours un paysage même encadré sur une toile mouvante, il est d’une intelligence indiscutable.

AM, MP