Un monde à découper

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Dans un village lituanien, des familles ne se parlent pas, se cachent tout. Un jeune homme vole une arme à des chasseurs qu’il a pris en filature, provoque une enquête de police ; les langues se délient, sans que cela ait nécessairement à voir avec les opérations en cours. Peace To Us In Our Dreams marque le retour de Sharunas Bartas : montré à Cannes l’année dernière cinq ans après la présentation de son précédent long-métrage, Indigène d’Eurasie, à la Berlinale 2010, accompagné aujourd’hui d’une rétrospective au Centre Pompidou, le film semble émerger d’un trop long silence.

Il ne s’agit pas de nier la pénibilité passagère de certaines scènes, ni l’agacement que provoque d’emblée l’impression que les personnages se recroquevillent sur eux-mêmes, en perpétuelle quête intérieure. Le spectateur se voit assigné à un rôle de psychologue des visages (filmés sans cesse en gros plan), d’herméneute des expressions. La contemplation de l’extérieur ne disant évidemment rien de l’intérieur, la proposition s’interrompt en quelque sorte à mi-chemin. On peut décrire Peace to Us in Our Dreams comme un film patient. Plus lent que nous et que ses propres personnages, il finit par faire de son absence de mystère une qualité, sinon une force. Une astuce de scénario plus loin, le film bascule doucement : le vol d’une arme, l’arrivée des flics, puis un meurtre s’enchaînent. La contemplation devait créer l’attention.

Paradoxalement, il faut quelques énigmes pour mieux se comprendre et trouver enfin un terrain d’entente. Alors que les dialogues commencent enfin, le jeune homme au fusil, l’oeil sans cesse collé au viseur, restreint son champ de vision pour mieux regarder, tandis qu’une vieille femme cesse d’écouter les autres pour à son tour faire de son oeil un instrument de précision. Le champ se réduit, mais le monde s’étire toujours plus. La découpe chirurgicale de ce monde se trouve ainsi freinée par l’extension rapide de l’univers du film.

Le film en resterait-il à cette prise en charge médicale de la cure de ses personnages atones qu’il ferait manquer ses quelques beautés. Ainsi assiste-t-on dans la dernière partie du film à la naissance d’un monde avec ses premiers animaux, son premier peuple, et enfin ses relations sociales naissantes. Si Peace to Us in Our Dreams repose sur ses basculements, faisant comme si l’écriture et le découpage s’étaient trouvés débordés, c’est pour introduire un dernier dépassement, plus simple celui-ci : les bourgeons sont bien là.

par Aleksander Jousselin
jeudi 11 février 2016

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