Beyond imagination

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Il y a deux mois, alors que nous en étions à la moitié de la série (épisode 5, “fin de l’Acte I”), nous avions formulé une hypothèse sur la suite. Elle qui parlait si précisément et à chaud de l’esprit chaotique, à la fois apocalyptique et jouissif, qui anime actuellement l’Amérique, aurait pu durer le temps des primaires républicaines et démocrates, voire jusqu’à la fin de l’élection présidentielle américaine. Les conjectures ne sont plus de mise à l’heure où Louis C.K. a achevé la série en dix épisodes, soit deux actes. Dans sa seconde moitié, la série a basculé. Nous disions que Horace and Pete tendait à montrer en quoi le pire était toujours certain. Les cinq derniers épisodes confirment ce constat mais ne s’en contentent pas. Ils inventent un monde parallèle où les notions de catastrophe et de succès, de tragédie et de comédie, n’ont plus cours : la parole qui se propage dans la série ne s’embarrasse pas plus de présages que de genres.

Les mots, de fait, ont pris un temps d’avance. Le spirituel, écrivions-nous dans un texte sur Cemetery of Splendour d’Apichatpong Weerasethakul (lire ICI), pourrait être le moment où ce qu’on voit n’est encore que ce que l’on dit. En ce sens, la seconde partie de Horace and Pete est d’ordre spirituel. Que l’esprit soit bon ou mauvais n’est plus la question. Certains, en France, veulent encore organiser des séminaires de libération de la parole (à droite) ou défiler pour la liberté d’expression (à gauche), mais les mots ont déjà fait leur chemin. Ainsi de l’ancienne patiente que Pete a rencontrée en hôpital psychiatrique, souffrant du syndrome de Gilles de la Tourette. Ce chemin, comme nous l’indiquent les insultes incontrôlées qui sortent de sa bouche, n’est pas aléatoire. Les horreurs visent toujours les minorités (Juifs, Noirs, LGBT, etc.), mais c’est du même coup le dégoût pour les Blancs qui va toujours croissant. Vient à l’esprit un fameux sketch de Louis C.K. : “Je ne dis pas que l’on est meilleur parce qu’on est blanc… mais c’est tellement mieux d’être blanc !” Il va de soi que la chute est moins rassurante que terrifiante. Elle est l’écho d’un futur qui ne diffère pas du présent, quand bien même celui-ci se serait déjà effondré. Demeure une question : si les mots décrivent ce qui n’est pas encore, si l’esprit de la série consiste à invalider immédiatement les promesses de changement par une logorrhée conservatrice, qu’y a-t-il entre les deux, entre le présent cataclysmique et l’avenir pire encore ?

Horace and Pete occupe précisément cet espace. L’acte II nous permet de discerner, avec une acuité plus grande que l’acte I, le seuil sur lequel nous laissait l’épisode 5, quand nous n’osions plus regarder le sol se dérober sous nos pieds. L’épisode 6 laisse entrevoir la relation normale entre Pete et une jeune femme, mais Horace réveille soudain ses pulsions les plus obscures, sa méchanceté la plus profonde et en même temps la plus apparente, et pulvérise le couple naissant. Louis C.K. est un sale type, il ne cesse de le dire dans ses sketchs et ses séries. Il faut le prendre au mot. La précision avec laquelle l’humoriste nomme le monde se heurte à sa rencontre avec une femme qu’il finit par deviner transsexuelle, dans l’épisode 7. Pourtant, l’épisode 8 met immédiatement de côté l’ambiguïté autour de son genre, lorsqu’il s’avère que Horace et sa soeur ont tous les deux passé la nuit avec un(e) noir(e). Que signifie ce mouvement de bascule ? La gêne terrible éprouvée devant cette femme était, peut-être, à double ressort. Horace ne peut se résoudre au fait que la femme avec qui il a fait l’amour ait pu être un homme. Il n’a pas de problème avec sa couleur de peau. Or c’est peut-être cette indifférence qui pose ici problème, plus que le jeu troublant auquel s’adonne la jeune femme, en faisant tergiverser Horace. On serait en tout cas tenté de le penser, quand on assiste à cette séquence remplie de rires gênés, le matin, lorsque les deux Afro-Américains se rencontrent. Plus tôt dans la série, Horace imaginait avec envie les ébats de Barack et Michelle Obama, exempts selon lui de toute l’obscénité dont il se sent porteur. Louie, déjà, renvoyait l’élection de 2008 à une mauvaise conscience WASP, prête à accuser l’adversaire de racisme pour mieux s’en décharger. Les épisodes 7 et 8 décrivent la haine dont l’Amérique de Trump et de Sanders est faite mais racontent, aussi, le dégoût que les Blancs devraient éprouver pour eux-mêmes, en suggérant une idée scandaleuse : et si les blancs qui ont voulu porter Obama à la présidence de leur pays l’avaient fait comme Sylvia et Horace ont élu leur partenaire d’un soir ?

Le vieux Pete haïssait les minorités ; on se souvient de la manière dont il parlait des homosexuels et du premier jour où il a servi un client noir. Horace ne revendique pas cette généalogie mais veut l’accepter, se contraint à avoir honte et honte de sa honte dans une logique sans issue. La série a pourtant trouvé une fin, mais elle méritera un troisième épisode de la nôtre. L’épisode 9 sera la conclusion du deuxième. Bill de Blasio et une tribune en forme de lettre du vrai Louis C.K. en sont les protagonistes.

De Blasio est le maire de New York ; c’est aussi un démocrate de gauche, plus à l’aise dans le bar de Brooklyn qu’à Wall Street. Louis C.K. est un centriste, mais c’est aussi un homme plus à gauche que De Blasio. Il n’est pas anodin que Horace and Pete ait élu domicile à Brooklyn, le quartier dont Bernie Sanders est originaire. Le candidat démocrate vit dans le Vermont mais n’a de cesse de rappeler que, quoi qu’il arrive, l’élection d’un président démocrate en novembre serait une première puisqu’il s’agira soit d’une femme, soit d’un juif de Brooklyn. C’est aussi que, face à lui, Trump peut se revendiquer comme natif du Queens et figure de Manhattan, et qu’Hillary Clinton, ancienne sénatrice de l’Etat, a le soutien de De Blasio, New-Yorkais de toujours. Dans l’absurde débat que se livrent les candidats à la présidentielle pour savoir qui est le plus new-yorkais, les habitués du “Horace and Pete’s” ne sont pas partie prenante. La série convoque De Blasio et Clinton comme Sanders et Trump avant eux pour mieux les congédier. L’épisode final insiste cruellement : il n’y a pas à se revendiquer des liens du sang, ni à s’attacher aux lieux qui nous ont vus grandir. Il importe moins de savoir d’où l’on vient, ou vers où notre voix porte, que de dire où l’on habite, de reconnaître où nous sommes.

Que dit Louis C.K. dans sa tribune, envoyée au moment de la mise en ligne de l’épisode 6, donc du début de l’acte II ? Qu’il faut cesser de plaisanter à propos de Donald Trump, parce qu’il est dangereux, et surtout qu’il ne faut voter pour lui sous aucun prétexte. Il écrit aussi qu’il était, avant l’irruption de Trump en favori de la primaire républicaine, favorable à une alternance, donc à l’accession d’un républicain à la présidence. Le fossé est grand entre Louis C.K. et ses personnages, et ceux-ci le lui feront bien remarquer en critiquant vertement la tribune au début de l’épisode 9. Le showrunner n’a pas écrit une lettre à ses fans, mais aux clients du plus beau bar de l’Amérique, qui a choisi Trump et Sanders. Il ne les condamne pas, mais leur dit simplement que désormais, c’est une tragédie qui va se jouer, loin du cirque électoral et de la comédie partisane, et que les héros n’en seront ni Clinton et ses soutiens, ni Sanders et ce qu’on appelle encore la gauche.

Il serait trop facile de dire que le seul dialogue valable serait celui entre le réel et la fiction. “Ceux qui n’ont pas d’imagination se réfugient dans le réel”, est-il rappelé au début d’Adieu au langage de JLG. Cela veut dire aussi que le réel reste un territoire de l’imaginaire, isolé certes, mais qu’il en fait bien partie. Louis C.K. propose de penser au-delà de ce qu’on peut imaginer, et c’est sûrement là qu’il faut chercher la raison profonde de ce clap de fin prématuré.

par Aleksander Jousselin
mardi 31 mai 2016

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