Edito #06

20 janvier 2010

Il est tard pour faire le bilan de 2009. Il est même déjà trop tard pour faire le bilan des années zéro. On sait ce qu’ont été ces dernières dix années. Pas une seule chose. Le numérique des grands et des petits. La série télé d’auteur. Des créateurs de télé qui se mettent à faire des séries pour le cinéma. Des documentaires ayant ouvert une voie commune aux cinéastes et aux artistes.

Puis le onze septembre, naturellement. L’image des avions percutant les deux tours du WTC, et de ces deux tours pulvérisées dans Manhattan, fut pour nous ce que la carte de Yalta était pour Daney, ce que le film de Zapruder sur l’assassinat de JFK a été pour les cinéastes des années 1970 : une image fondamentale qui sert de catégorie pour comprendre toute les autres images. Les tours jumelles en train de s’effondrer ont eu cette fonction. Et on n’a pas encore fini avec elles. Samedi soir, Independencia présentait au CENTQUATRE le dernier film de James Benning. Ruhr, tourné entièrement en HD numérique, est une étape nouvelle dans la carrière du cinéaste et artiste américain. Une nouvelle approche de la durée, désormais potentiellement infinie.

Il y aurait mille choses à en dire. L’une des plus marquantes est ce qui du 11 septembre y fait écho. Des arbres bruissent et perdent leurs feuilles quand des avions les survolent à l’orée d’un aéroport. Une barrière de dos se lève et s’agenouille aux appels d’une prière dans une mosquée. Précédé d’une sirène, un fourneau d’usine noir de suie, que sa forme carrée rend proche d’un gratte-ciel, s’embrase toutes les dix minutes et libère d’immenses panaches de fumée colorées par la lumière, virant du blanc au jaune, du gris au noir au fur et à mesure que la nuit tombe, jusqu’à ce que cette image à répétition se fonde dans le gris bouché du numérique. Couleur bouchée qui est l’équivalent de ce que fut le blanc pour l’argentique, comme l’ont montré les photos de Hiroshi Sugimoto : le gris est simultanément l’addition et l’annulation des images.

S’il fallait choisir un plan pour la décennie, ce serait celui-là. Il en évoque tant d’autres, de Cloverfield à La Guerre des Mondes, d’Avatar à District 9, du Village à Superman. Mais il ne s’agit pas d’une évocation. Le plan dure une heure, la moitié du film. Quand bien même Ruhr est au départ un portrait de l’Allemagne ne croisant qu’incidemment le souvenir des attentats sur New York, il évoque directement, et frontalement, la répétition et la latence de l’image du 11 septembre dans le cinéma. Dix ans où rien n’a changé sinon le ton, la lumière, l’état d’âme qui noircit, l’horizon qui se bouche, chaque jour un peu plus.

par Rédaction
mercredi 20 janvier 2010

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