Edito #09

7 juillet 2010

Nous ne sommes jamais vraiment revenus de Cannes. Il aurait fallu pour cela mettre un point final à deux discours à peine entamés, déjà abandonnés, laissés à la dérive. Le premier concerne la Quinzaine des réalisateurs, cette année extraordinairement faible car confiée par la SRF, association craintive et conservatrice, à un directeur incertain. Le deuxième est tout aussi politique quoiqu’en un sens beaucoup plus large : l’état du cinéma français. Discours éternel et nécessaire, nécessairement éternel, qui peine à prendre la forme d’un texte unique et hante plutôt l’ensemble de nos papiers. La Palme d’or, si espérée, si inespérée, nous a détourné de ces querelles domestiques. Deux mois durant, bercés par le bourdonnement des abeilles de l’oncle Boonmee, le courage de reprendre la bataille a manqué. Une fois de plus, Cannes nous a rattrapé. D’abord, par une projection, inoubliable, de Film Socialisme organisée par Médiapart au Cinéma des cinéastes, suivie d’une rencontre, franchement « mortelle », avec Jean-Luc Godard. Que le cinéaste ennemi de tous les académismes ait snobé la conférence de presse sur la Croisette et décidé de s’inviter sur le plateau de ce jeune site d’attaque, le préférant à la triade Cahiers-Inrocks-Libé, est un signe et un parti pris. L’histoire de la critique en est ponctuée. Au début des années 1980, Serge Daney déménage à Libération. Derrière lui, il ne laisse rien. Désormais, le travail des Cahiers ne sera plus l’exclusivité des Cahiers. Il y a deux ans, Skorecki quitte politiquement Libération. Dans son film Skorecki déménage, il fait comprendre que le lieu était désormais inhabitable ; pour lui qui incarne ce qui reste d’une longue tradition critique.

Et aujourd’hui, où en est l’art d’aimer ? Mercredi passé sortait en salle Tournée de Mathieu Amalric. Film plein de courage et de profonde aigreur. Film que nous trouvons, dans le discours qu’il entretient avec le monde du spectacle, fermement politique. Nous ? Tournée fait consensus. La presse l’aime. Mais cette même presse aime aussi Carlos d’Olivier Assayas, depuis aujourd’hui en salle après une diffusion, au moment de Cannes, sur Canal +. Lisez Le Monde : on va jusqu’à y dire qu’Assayas était conscient, au moment du tournage, de « friser la perfection ». Ovation critique pour ce film objectivement mal fait, apolitique, irréfléchi et ringard de l’aveu même du cinéaste, qui dans les entretiens répète comme un mantra ne pas avoir d’idées sur le révolutionnaire, ne pas avoir d’idées sur le format sériel, avoir voulu faire un film « de cinéma ».

Comment expliquer cette coexistence, dans le coeur de la presse, de deux films dont l’un est simple et moderne et l’autre pénible et laborieux ?
Au retour de Cannes, un texto envoyé depuis Barcelone nous racontait que le papier publié par Independencia sur Carlos aurait sérieusement chiffonné Assayas. Intrigués par cette attention inattendue, nous en causons avec une connaissance de Canal +. L’ami le savait presque trop, ayant lui même réuni la revue de presse pour le réalisateur : d’un côté les articles favorables ; de l’autre les négatifs – seulement deux, impossibles à rater : Médiapart et Independencia. Ce qu’il ignorait, comme la plupart des lecteurs l’ignore, est que l’ovation en apparence sans bémol de ce cinéaste est loin de représenter l’avis, bien plus articulé, des critiques. Dans les rédaction, il y a ceux qui détestent, ceux qui aiment pas, ceux qui ont des réserves et puis il y en a un qui adore. C’est systématiquement ce dernier qui écrit.

Reste a savoir quelle force impose ce coutume. Cela constituerait la matière d’une bonne fiction. L’essentiel consiste plutôt, comme l’a entendu Skorecki, comme l’a entendu Godard, à prendre acte d’une abdication de la profession. Les rédactions de la presse cinéma peuvent produire de bons ou des mauvais textes, mais ne sont plus de véritables espaces de pensée et d’émancipation. Il est temps de déménager à nouveau.

Pour aller où ? Durant les dix dernières années, les festivals, au moins certains – Turin (jusqu’en 2008), Venise, le Forum de Berlin, le FID Marseille – ont pris le relais. En publiant des livres, en construisant des occasions de rencontre, en découvrant et soutenant des cinéastes. Mais ce n’est pas leur vocation spécifique. Plutôt, un intérim pour cause de vacance du titulaire. La critique devrait donc revenir, se faire une nouvelle place qui ne sera sans doute plus aussi exclusive et confinée que jadis, mais soumise à l’inter-dépendance de tous les passeurs de cinéma : festivals, associations, producteurs, salles. Il est clair qu’Internet est la voie. Mais pour que la critique puisse se poser, il faut qu’elle trouve une économie, une économie de l’indépendance. Cet espace reste à construire. La rentrée apportera quelques nouvelles. Nous avons remis les choses en chantier. Mais pour l’heure, direction Gare de Lyon, Avignon, Marseille : un grand festival débute.

par Rédaction
mercredi 7 avril 2010

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