Europacops

Après Steak et Seuls Two, on avait envie de croire à la promesse qu’avaient faite Eric et Ramzy de ne plus confier leur talent à des « vendeurs de yaourts », comprenez les réalisateurs des Daltons et de Double Zéro. On s’est donc retrouvé, bonne poire, devant Halal, police d’état. Et l’on regrette à présent de ne pouvoir écrire une notule qui ne ferait que déplorer le retour à la case Double Zéro, constater que l’humour du tandem pourrait, un jour, finir par tourner à vide - ce dont témoignent la métamorphose de Ramzy en Gad Elmaleh, et l’éternel retour des running gags d’Eric (l’anglais à la Nelson Monfort, les Chinois, la rue Oberkampf…).

Il leur a manifestement fallu, pour la première fois, s’adapter à Europa Corp, maison de production fondée notamment par Luc Besson il y a un peu plus de 10 ans. S’y adapter, c’est-à-dire créer un monde où la bêtise est à l’image de ces gros-plans déformant les visages qu’a toujours affectionnés le réalisateur d’Adèle Blanc-Sec : laide et bruyante, contrairement à Steak et Seuls Two, où elle est touchante. On retrouve l’abject cynisme qui préside, entre autres, depuis quelques années, à la série des Taxi, des Arthur, des Pierre Morel (Taken, Bons Baisers de Paris). Et sous ses airs de galéjade, Halal oblige à parler encore de sujets qui fâchent - Besson avait porté plainte pour diffamation, en 2003, contre trois critiques de Libération qui avaient trouvé raciste la caricature des Allemands dans Fanfan la Tulipe (ici). Cette fois, cependant, les producteurs se sont prémunis contre ce genre de réaction : dans le monde caricaturé d’Europa Corp, l’absence de second degré est une caractéristique nazie (sic), comme le souligne cette scène où un skinhead croit découvrir le second degré lorsqu’Eric demande : « vous connaissez la différence entre un être noir, enfin, un Noir, et un Blanc ? Y en a pas, c’est tous les deux des êtres humains ! ». Le leader moustaché du gang déplore alors : « tout le monde s’imagine que les nazis n’ont pas de second degré. Eh ben c’est pas vrai ! » Tout est là : Eric est drôle, planqué derrière l’une de ces blagues génialement nulles comme il en racontait à la fin de Steak, mais il s’adresse à un sosie d’Hitler tout droit sorti des obsessions de la maison Besson. Peut-être avez-vous déjà entendu parler de ce « point Godwin », loi selon laquelle tout discours, s’il dure suffisamment longtemps, finit par évoquer Hitler, faisant alors perdre toute chance à l’interlocuteur de garder son assise argumentative, la mention du dictateur passant pour être l’argument inattaquable par excellence. Halal atteint ce point en moins d’une heure. Hors-sujet total, entériné par ce qui se passe en ce moment en Afrique du Nord. Avec son tableau d’une Algérie d’Epinal, épanouie et rigolote, voilà un film qui ne pouvait pas plus mal tomber.
Cela fait longtemps que le duo s’amuse avec « petit Jésus » et « Allah Wakbar », et Seuls Two se moquait déjà des racistes à travers l’inspecteur Gervais (mémorable scène de la confession de Ramzy sur l’autoroute). Avec quelques blagues sur les flics, tout Halal y était et ne dérangeait pas : il ne s’agissait que de gosses faisant semblant, leurs gags reposant sur le changement perpétuel d’un degré de comédie à un autre. Eric ne faisait que singer le racisme, qui allait et venait comme un masque dont on ignore le danger. Son personnage du Kabyle peut jouer au benêt avec des symboles SS tatoués sur le dos, sur lui, la croix gammée n’est qu’un ridicule gribouillage d’adulte. On ressent bien comme un pincement au coeur à l’idée de leur infliger, à eux, l’agacement suscité par les relents de cet humour hérité de la série des Taxi, incrusté dans le leur - remplacez Eric par Diefentahl, Ramzy par Naceri : c’est Taxi 5, Police d’Etat. Qu’on nous rende La Haine ! Eric et Ramzy ne sont plus en train de singer le racisme, ils jouent ailleurs - avec leurs perruques, notamment. Leur humour n’occupe pas suffisamment le terrain ; ce qui en fait une couverture non seulement mal placée, mais en plus trop petite : Halal n’est globalement pas drôle. Les bons gags se compte sur les doigts de la main : la pommade anti-ride pour guérir les griffures de lynx, les post-it qui indiquent ce qui est mou et ce qui est dur dans la chambre d’hôtel, les lunettes 3D à l’opéra (en étant bon public), le tableau pour « fuir correctement » dans le commissariat, « on se retrouve à 13h bis », et « il est fort, ce Lorànt Deutsch ». Le reste aurait plutôt tendance à laisser parier que, dans une société qui vote à 50% Le Pen ou Sarko, Halal joue avec le feu, remet de l’huile sur des clichés nationalistes qui se portent déjà suffisamment bien.

Que les flics, les filles et les Tunisiens soient bêtes peut toujours passer pour de l’humour, mais parions que ces blagues puent quand-même ; que ce discours signé Rachid Dhibou, comprenez l’Arabe forcément innocent (exactement le même procédé que celui des dealers juifs forcément innocents de Jewish Connection) dit en fait le contraire de ce qu’il croit affirmer par un sous-texte insidieux face auquel l’angélisme neuneu d’Eric, qui prend finalement les traits d’un extra-terrestre, ne fait pas le poids, désolé. La bêtise que Halal risque de colporter dans les cités – cœur de cible du studio à l’origine de Banlieue 13, Yamakasi… d’ailleurs, le film marche beaucoup moins bien intra-muros -, cette bêtise qui consiste à croire que l’on peut dériver des qualités individuelles d’une appartenance à un groupe ethnique ou social, et donc à croire que les gentils et les cons se distinguent aussi facilement, fait peut-être plus de ravages que l’ecstasy importé aux USA de Jewish Connection. Halal est là pour apprendre aux enfants d’immigrés à aimer leurs cités, à se contenter de leur état, à tranquillement niquer la police, dans leur coin, entre un saucisson halal et une télé. Regardez This is it, regardez Avatar ; regardez les Américains, les nibards de cette actrice blonde, la perruque d’Eric, et riez fort, les yeux fermés.

Comparés à cela, les défauts que constituent le manque d’inventivité, l’absence de style, les blagues qui tombent à plat, les références racoleuses (This is it et Avatar s’en retournent d’avance dans leur tombe), la misogynie (le seul personnage féminin est une blonde à gros seins interprétée par la pire actrice possible, responsable de moments de malaise rarement vécus au cinéma), la misogynie intégriste (à peine arrivé à Paris, Ramzy croise une blanche : c’est une pute) et l’humour scatologique semblent des qualités. Quant aux catholiques et aux homosexuels, ils en prennent pour leur grade. Les nazis, ce sont eux. Si, si. Ce Norman Bates du quartier est gay, ses amis catholiques nazis - à moins que ce soit l’inverse, un nazi qui est un catholique, avec ses amis gays… Dhibou secoue son film dans tous les sens, jusqu’à cette fin absurde – qui aurait pu être drôle – où Eric et Ramzy tuent un preneur d’otage arabe avant de se souvenir qu’ils savent déjà qui est le méchant, qu’ils se sont trompés de cible, et rejouent aussitôt la même scène de prise d’otage, mais avec le catholique homosexuel nazi à la place du maghrébin.

Tout cela, c’est peut-être la faute à Philippe Sollers. Je sors du cinéma, et dans le métro, je reprends mon livre, Les Voyageurs du Temps. Je lis ça, c’est page 181 - étonnant comme l’anti-cléricalisme a pris le même coup de rance que le capitalisme acharné :

« Le progrès impliquait une lutte incessante contre l’Eglise catholique, avant que ce progrès devienne lui-même étrange et souvent monstrueux. Nous gardons évidemment le progrès, nous pensons avoir dépassé les monstres, mais notre raison est-elle pour autant éveillée ? […] Le capitalisme émergent tient à supprimer tous les saints absurdes du calendrier. Ca fait de la place. Mais ces « saints », dans la vie courante, procuraient pas mal de jours fériés. […] Un jour férié, c’est un jour sans travail, c’est-à-dire une abomination économique. Travaillez plus pour gagner plus, dit sans arrêt le nouveau dieu, en expulsant les habitants casaniers et farfelus d’un faux paradis céleste. […] Je connais beaucoup d’athées sérieux et tenaces. Immanquablement, leur tête de Turc préférée est l’Eglise catholique. Demandez-leur s’ils savent qu’ils travaillent ainsi pour l’extension du capitalisme. Ils ne comprendront pas votre question. »

Alors, élève modèle du modèle américain, l’écurie Besson ? Sûrement pas. Si elle est certes capable d’alterner divertissements grand public et grands films (Tree of Life, prochain Malick, lui appartient), même Marvel, studio hollywoodien spécialisé dans l’entertainment, n’est jamais descendu aussi bas que la mauvaise conversation capable de ne manipuler guère plus de sujets que la xénophobie et les gros seins.

par Camille Brunel
mardi 22 février 2011

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