Pana vision

Le vingtième siècle a été celui des cinéastes non alignés. Le cinéma, à l’image du monde, avait un côté OTAN et un côté Varsovie. Chacun des deux avait ses propres figures. Les cinéastes non alignés côté OTAN étaient condamnés à l’exil (Welles, Kramer...). Les non alignés côté Varsovie (Paradjanov, Tarkovski...) étaient au contraire empêchés de quitter le pays. Quand la Glastnost les a laissé partir, ce fut une grande fête. On pouvait les « voir » (enfin). C’est d’ailleurs exactement à partir de ce moment là que les critiques ont commencé à regarder les cinéastes plus intensément que les films [voir colonne de droite].

C’est que le cinéaste, dans son rôle de rescapé, était devenu une image. Or, une image est toujours plus qu’une image. Elle est ce qu’elle montre plus ce qu’elle promet de montrer. Toute image (véritable) porte en elle le désir (absurde) d’une autre image (cachée). Kramer avait en lui une image du Vietnam. Welles de l’Europe. Tarkovski du Christ. Paradjanov d’une fleur de papier coloré.

Panahi porte une image d’occidental et ne la cache pas. Tous ces films l’incarnent. La révolte de Mina la gamine du Miroir ou celle des jeunes filles de Hors Jeu, ne contestent pas la loi mais son esprit, elles sont moins des rébellions que des affirmations d’un droit naturel à la liberté. Ces lumières occidentales, pour Panahi, sont celles du cinéma même. La possibilité d’un film apparait lorsque ces révoltes, à l’échelle d’un individu, se manifestent. Elles ne s’organisent pas, ni ne se prévoient. Leur puissance repose sur l’imprévu, leur vérité aussi.

Certes, il y a un scénario. Dans Ceci n’est pas un film, Panahi s’organise dans son appartement pour commencer à travailler à son prochain film. Le scénario ressemble à celui d’Off Side. À nouveau, il est question d’une héroïne. À nouveau, cette héroïne subit une contrainte. Elle a fait des études d’Art, qu’elle voudrait poursuivre. Mais sa famille s’y oppose et la cloître dans un appartement. On voit bien comment ce pitch est un miroir de la condition actuelle du cinéaste, contraint à son tour de rester à demeure, loin du monde et de la possibilité de l’Art.

Si l’image n’était qu’une image, rien n’empêcherait Panahi de tourner son nouveau film chez lui. Transformant son grand appartement en la modeste habitation de l’héroïne à l’aide d’un rouleau de scotch, interprétant lui même les dialogues et les rôles. Il tente, avec conviction, mais échoue. Il tente à nouveau, cherche l’inspiration (ou plutôt l’erreur), en regardant des images de ses films précédents.

Du Miroir, il choisit un extrait du bonus DVD. Mina est dans l’autobus. Soudainement, la petite comédienne refuse de continuer la scène. Elle veut se libérer du plâtre qui lui a été mis alors que son bras va très bien. Cette rébellion mine le film, certes. Cependant, tout en sabotant le tournage, elle lui fait cadeau d’une authentique révolte contre le monde des adultes - par là, la fille ne se limite pas à interpréter un rôle, elle lui donne vie. Voilà, en quelques mots, le cinéma selon Panahi. Voilà aussi pourquoi ce film là n’en est pas un. Jouant lui même son propre scénario, interprétant sa propre image cachée, le cinéaste s’interdit la chance de voir surgir, à l’intérieur du travail de fabrication, quelque chose d’authentique. Pire, il installe un dispositif de maîtrise absolue, de contrôle totale à l’intérieur duquel n’importe quel message, plus ou moins révolté, parlera un langage autoritaire. Le même langage autocratique de l’autorité qui l’a condamné. Panahi le sait. Il est dégouté. L’idée d’auto-saboter son propre film dans le film, ne change rien à l’affaire. Il le fait. Il arrête le jeu. Mais c’est toujours lui qui décide. Cela n’a rien d’anti autoritaire. Il est dans un cul de sac. Il fume une cigarette et, comme un bad lieutenant, caresse son iguane.

Ceci est un conte moral. Comme tout conte moral, il boucle la boucle. Quelque chose arrive à la fin, un imprévu, qui rend le film possible. Un film ironique. Subtilement politique. Sans doute son meilleur. Faut-il croire à cette fin ? Elle est presque trop parfaite pour ne pas susciter le doute. C’est ce qui rend Ceci si intéressant. La maîtrise ne laisse pas la place à la modestie et à la fragilité, mais au culot.

par Eugenio Renzi
samedi 8 octobre 2011

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