Live report

« Vous venez de voir Donoma ». En guise de carton final, il est rappelé au spectateur qu’il a assisté à une projection exceptionnelle. Son avènement a fait l’objet d’une mise en scène au long cours, depuis le début de l’année, à force d’articles et de ramdam internaute. Ce qui place d’emblée Donoma dans un certain paradoxe, puisque le projet « fauché » de Djinn Carrénard (entendre : reposant sur le bénévolat de toute l’équipe) ne se présente pas comme un film amateur échoué en salles, mais comme un film professionnel et légitime passé à travers le protocole de la production cinématographique ; il le fait à bon droit, et c’est donc comme tel qu’il doit être vu.

Première surprise : le « film guérilla » n’a rien de militant dans son propos. Carrénard s’intéresse exclusivement aux différentes déclinaisons du couple et à la parole qu’elles occasionnent. Parole qui n’est jamais tant un instrument de séduction qu’un motif de domination, râteau ou rupture. A ce titre, le couple le plus marquant du choeur est celui que forment la professeur d’espagnol et son élève, Dacio. Lorsque celui-ci tente maladroitement de se déclarer, disant éprouver de plus en plus de « compassion », l’enseignante saute sur l’occasion de l’humilier et déplace par là même la parole du terrain de la séduction vers celui du rapport de force, sur lequel se déroulera leur relation jusqu’à la fin. Autre couple : une photographe choisit de contrer toute inclination consciente et se met en couple avec un inconnu, instituant comme règle fondamentale un mutisme rigoureux. Le moment où ils se parlent enfin devient immédiatement celui où l’équilibre est rompu, où ils se séparent. Loin de tout marivaudage, Donoma semble démontrer l’échec de la parole.

Ce souci de reconstituer la parole en train de se faire n’est pas sans lien avec le cinéma du parrain moral de Carrénard, Kechiche. Mais la parole, chez ce dernier, s’épuise en vain dans un parcours toujours plus ou moins tracé d’avance. A l’inverse, un certain optimisme habite Donoma, et les personnages témoignent en permanence de leur liberté, quitte à le faire dans l’échec. Le film ne fait que courir, dans l’urgence, après cette liberté des personnages, rappelant plutôt en cela le cinéma de Téchiné.

Donoma, il fait jour, « le jour est là », il suffit de le filmer. Le jour est tellement là qu’il crame souvent l’image comme l’évidence crève les yeux, et que, dans l’urgence, la mise au point et le cadrage sont parfois aléatoires, relevant presque de la figure de style. C’est sans doute le sens du militantisme de Carrénard : Donoma joue la mise en scène contre la technique, le mysticisme contre la psychologie : il n’y a qu’à voir la psy, à côté de la plaque, qui oppose le diagnostic aux signes. D’une certaine manière, il oppose acteurs et personnages ; ce qui compte, ce n’est pas le trajet de ces derniers, c’est leur démarche. Pour le dire autrement, les rôles importent moins que l’envie de jouer d’une troupe bénévole, et les personnages ne sont pour une bonne part que ce que les comédiens veulent bien qu’ils soient. Ces divers partis pris, parfois imposés par les contraintes de la (non) production (Carrénard est au four et au moulin, et ailleurs encore), feraient presque de Donoma un avatar non théorisé du dogme danois. En tant que tel, c’est aussi un film symptomatique d’une nouvelle éthique/esthétique du cinéma, la production low cost. Les studios hollywoodiens s’appuient sur un marketing très lié à la grosse dépense, érigée en gage de qualité et en argument concurrentiel. De même, les productions désargentées brandissent de plus en plus souvent leurs comptes à sec comme un bannière publicitaire de premier choix : La Guerre est déclarée de Valérie Donzelli fait figure d’exemple en la matière, et Donoma enfonce le clou, essayant de faire d’un handicap initial un label de résistance… allant jusqu’à présenter le projet comme un « film guérilla », terme assez peu compréhensible ici. Tout comme les blockbusters certifient en amont que les spectateurs en auront pour leur argent, ces petites productions annoncent qu’avec elles, au moins, les spectateurs seront mis face au réel sans fard et sans chichi.

Force est de reconnaître à Donoma cette énergie : Carrénard (et sa troupe) n’essayent pas tant de recréer le naturel (de la parole notamment), que de le créer. Dans les moments de jeu les moins convaincants, les comédiens manifestent toujours une implication sincère dans l’existence de leurs personnages, tout comme ces personnages mettent un point d’honneur à profiter qu’il fait jour pour avancer. Ainsi le personnage de Salma fait du surplace, tandis qu’elle perd petit à petit les fondements de son existence (sa sœur, son copain). Elle est affligée de stigmates, elle lévite : sans le comprendre, et sans trouver la foi pour autant, elle fait de ces évènements des signes dont l’origine importe peu, et qui ne valent qu’en tant que motifs d’action. Comme ses personnages, Donoma fait feu de tout bois, un feu sacré : le jour est là, la caméra tourne, la fête (panthéiste) peut commencer.

par Louis Séguin
mercredi 7 décembre 2011

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