Le retour des nuls

Double bill

A East Great Falls dans le Michigan, un groupe de potes se reforme le temps d’une rencontre au sommet des anciens élèves du lycée. A Paris, un groupe d’amis fait bloc à chaque coup dur - ici une dépression de l’un d’entre eux. Entre l’hexagone et les States, les mêmes problèmes, sexuels, sociaux et sentimentaux. Au début de Dépression & des Potes, en vacances sur l’île Maurice, Talia (Gyselle Soares) une pénible et braillarde danseuse brésilienne, ne supporte plus l’attitude négative et apathique de son petit ami Franck (Fred Testot). Il pourrit leur séjour et se fait plaquer au retour. Le point de départ laisse imaginer un pitch à la Sans Sarah, Rien ne va (2008). On déchante vite lorsque le film revient dans la capitale, bavard, sans rythme ni imagination ; l’idée de base est plutôt pas mal : un type, bon client caractériel, odieux avec tout le monde se fait diagnostiquer en deux temps trois mouvements une dépression par un médecin un peu bête. L’épisode va souder ses camarades et les renvoyer à leurs propres démons.

American Pie 4 s’appelle en véo « reunion ». Les trentenaires casés profitent de l’occasion d’une rencontre des anciens élèves pour se replonger dans l’eau du bain lycéen. Bombant le torse, la force et la bêtise du film est de faire comme si rien n’avait eu lieu entre temps en procédant à une sorte de remake du premier épisode (1999). Les héros de celui-ci n’ont pas évolué, juste changé et vieilli. Le problème, c’est que le cinéma ne les a pas attendu pour faire sa mue. American Pie est une série grasse, à l’image des derniers Farrelly (sans en posséder le talent et la tendresse), coincée entre le comique lourdingue et sentimental de la fin des années 90, qui fait mine de ne pas s’être pris la vague Apatow en pleine poire. Néanmoins, sur près de deux heures souvent longues, elle offre deux ou trois scènes à la mécanique comique irrésistible parce que méthodique, jouant sur le danger de l’intégrité physique des héros. Elle met en scène leur laideur, leur bassesse morale. Les situations les plus entraînantes sont réalisées comme des cascades, avec le sérieux d’un film d’action. L’intro est à ce titre très réussie – placer les personnages dans les moments les plus embarrassants est ce que ces films ont produit de mieux, un peu comme les enchaînements gore et grotesque d’une autre saga, les beaux Destination Finale.

En France, la bande de Farrugia, ancien Nul et producteur de Dépression, n’a pas ce problème : si les Américains ont le luxe pour faire plusieurs suites à un film médiocre, le concept de succession n’a pas cours en France, qui lui préfère celui de de continuité, d’esprit de “bande”. En ce sens, le modèle est et sera toujours le Saturday Night Live plutôt que le prétexte de la vulgarité des American Pie, plus délicat à exporter ici ; il faut d’ailleurs avouer un plaisir non dissimulé de voir la saga en V.F., voix de gogols compris, réduisant ainsi la distance entre lycée américain et territoire français. Personne ou presque n’a cependant envie de ressembler aux héros de Dépression & des Potes. Pas d’avantage aux tâches d’American Pie, mais l’affection est plus grande. Une seule fois, le héros joué par Fred Testot se montre à la hauteur d’une véritable expérience : pour à nouveau séduire sa belle cruche de danseuse, Franck apprend la samba et lui en fait vers la fin une brillante démonstration. La scène, qui ne dure qu’une dizaine de secondes, offre ce qu’on avait envie de voir : une tension qui remobilise le personnage, qui fait d’un enjeu comique et dramatique une vraie belle scène. Le reste n’est qu’un ramassis de gags pourris jusqu’à l’os : punchlines tournant rapidement à vide, corde usée des scènes de biture et virées pour fêter un événement, puis soirée tournant mal (le syndrome Very Bad Trip, moins la folie) ; humour communautaire et thématique : ici, les putes et transexuels du Bois de Boulogne ; là, une dérive limite homophobe dans un bar gay ; Papa et Maman font Shabat, l’ami canadien a un accent vraiment moche, le petit brésilien d’adoption est le placement pub de rigueur, achevant le film à coup de guimauve. L’ennui est que tout reste à l’état de pure écriture, de la vanne de caïds du stand up et du petit écran.

Un autre écueil se dresse d’ailleurs devant les deux films, American Pie voulant rejouer le retour, celui d’une familiarité : pas sûr que l’idée d’un tel rythme soit la bonne, prenant le risque de ne plus rien filmer, ou seulement ce qu’on a déjà vu. Sur ce point très précis, American Pie est désolant : la série déjà épuisée fait ressurgir les corps modelés par les excès et le temps. Pari du retour raté de l’athlète de haut niveau trop gras et usé pour pouvoir gagner encore. Mais aussi celui d’offrir plus d’humanité – raté tant la saga est dans le fond triste, plus pathétique que vraiment nulle. Comme dans une série télé qui aurait trop duré, le spectateur voit les héros vieillir et les accompagne dans les périodes clés de la vie : la première fois, les émois de l’été, le mariage, la crise des trentenaires. Dans 50 ans American Pie racontera encore la même histoire : Jim Levenstein (Jason Biggs) sera ce puceau fantasmant sur des nanas bien gaulées de 70 ans ou sur les infirmières de l’hospice. Dans 50 ans, Hollywood vendra encore avec la même ambiguité la recette de sa soupe populaire : un peu trash mais pas trop – plats un peu plus vieux mais sempiternelles tartes, pas meilleures pour autant.

Là encore, toutes ces questions sont loin d’atteindre la troupe originale de Farrugia et Chabat, dont les tentatives consistent à s’agripper à l’écran avec constance. Dépression & Des Potes n’est alors juste que la cour de récré grandeur nature de la vraie bande de potes que constitue l’immense famille Canal (qui a lancé Jonathan Lambert et Fred Testot ; voisins de l’humour sur les trentenaires en vogue, auquel on peut associer l’atroce série Bref) ; là encore il s’agit d’occuper le cadre, quelle que soit la nullité des catchlines. Aux States, les puceaux restent ces losers quand bien même ils ont réussi leur vie sociale. En France, les gars font toujours l’union sacrée après une soirée arrosée sur les Champs ou ailleurs. Cynisme d’une glue de purs consommateurs. Et si on préfère les gentils nazes d’American Pie aux nullards de Dépression et des Potes, c’est non sans tristesse qu’on se dit qu’au fond, un raté reste un raté.

par Thomas Fioretti
mardi 8 mai 2012

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