Séquelles

Prometheus pouvait-il faire autre chose que décevoir ? A se tourner ainsi vers l’origine, le film ne pouvait que glisser sur la pente boueuse d’une évidence : l’origine est soit toujours reportée, éloignée, soit toujours déceptive, sans vérité. Chose que la psychanalyse a découvert depuis longtemps, et il est étrange que, malgré les références un peu trop massives aux lieux communs de cette science, Ridley Scott n’ait pas prévu cette conséquence.

L’intérêt était de scinder l’origine en deux, pour rapporter l’aurore au crépuscule, faire de la naissance de l’homme le signe de son éclipse prochaine. L’homme veut rencontrer son créateur, mais il découvre son exterminateur. Le film multiplie les clins d’œil au vieil Œdipe : David, le robot, veut tuer son créateur ; la fille de Weyland veut hâter la fin du règne de son père ; Elizabeth Shaw veut rencontrer les « Ingénieurs » mais ceux-ci, pères ignobles convertissant leur amour en haine, veulent massacrer l’espèce qu’ils ont fait naître. Aux schèmes psychanalytiques sont d’ailleurs aussi accolés le darwinisme et la religion, Prometheus visant la grande fable syncrétique brassant tous les grands mythes de l’origine. Ridley Scott a toujours montré une double fascination pour l’origine et pour l’altérité. Les machines de Blade Runner s’interrogent sur cette enfance qu’ils n’ont jamais eu et les hommes se demandent ce qui les sépare de ces robots. Le premier Alien voulait rendre hommage à la phylogenèse kubrickienne de 2001, remplaçant la pierre originelle par l’altérité radicale du monstre – qui pourtant doit naître à même l’humain, trouver son origine en trouant le corps de son autre. A ces motifs s’ajoute un goût manifeste pour les matières organiques visqueuses, membraneuses, pour la forme fœtale et la scissiparité. Rien n’a changé dans Prometheus. Le caché en profondeur (le vaisseau, l’inconscient), le même qui est notre autre (David le robot), l’autre qui est comme soi-même (les Ingénieurs), l’organisme primitif (la créature), et les motifs archétypiques sont toujours là.

Redoublant l’origine, voulant donner la clé d’une altérité qui ne trouve sa source que dans le même – l’alien est le frère maudit de l’humanité – Prometheus se mange la queue. Le dévoilement est un repli : tout se résorbe en un même point, ce pauvre camp perdu au milieu de nulle part. Il n’y a plus la radicale extériorité ou l’étrange familiarité qui liait et déliait sans cesse les sorts de l’origine et de l’autre, équilibre instable qui faisait la base de la fascination que les films de Scott pouvaient exercer avant qu’il ne se penche sur les hauts faits guerriers de l’humanité. D’où la triste fin : dévoilement d’une vérité dont on apprend qu’elle est sans vérité, qu’elle ne recèle aucun savoir sur l’homme. Les hommes partent chercher leur créateur. Celui-ci n’a rien à leur dire. Le soupir d’agonie de Weyland dit cette déception : « There’s nothing. » David répond avec ironie : « I know », puisque, robot, il sait que la création est sans vocation. Peut-être Scott a-t-il jugé géniale l’idée d’un mystère conclu par une absence de secret. Peut-être ne s’est-il pas rendu compte que le film jouait contre lui-même à ne vouloir déboucher sur rien d’autre que le vide.

par Gabriel Bortzmeyer
lundi 4 juin 2012

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