L et lunes

Sur trois films de la sélection

Rengaine (Lune d’Or) de Rachid Djaïdani

Le film auréoluné a déjà fait l’objet d’un texte plutôt réservé lors du festival de Cannes. Rengaine est certes enrobé d’un discours usant : que peut bien signifier l’opposition entre « cinéma français » et « cinéma céfran » que martèle comme un slogan l’un des comédiens du film au Fifib ? Il faut reconnaître au film de Rachid Djaïdani une certaine élégance du jeu de jambe. Djaïdani met en scène et dirige ses acteurs en boxeur, les poussant dans les cordes, les travaillant au corps, les obligeant à improviser pour sortir du moindre dialogue tout ce qu’ils ont dans le ventre. Les coups ne portent pas toujours, mais le résultat est loin de déshonorer un tournage qui s’est étalé sur neuf ans.

L de Babus Makridis

Au sein de la compétition se cachait par ailleurs, comme le suggérait le programme, un OFNI. L, équivalent grec du A des conducteurs apprentis, suit un homme en crise, fou de sa vieille bagnole au point de ne jamais en sortir, sauf pour la quitter définitivement au profit d’une moto. Moto dont il ne se sépare que pour un bateau, transférant ainsi son amour de véhicule en véhicule. Le Grec Babis Makridis s’en est vanté lors du dialogue avec le public suivant la projection : avec ce film, il ne voulait apporter aucune réponse, que des questions. Les spectateurs ont eu beau s’échiner à défricher le terrain, rien à faire ; le réalisateur opposait toujours un non inflexible. Le film n’aurait-il pas été vaguement influencé par le Western fordien, dans l’animalisation des hommes et leur rapport au paysage ? Non. Peut-on voir une parabole de la crise grecque dans celle du personnage principal ? Pas du tout. Ne sent-on pas une parenté avec le burlesque de Keaton ? Jamais de la vie. Tout ce que Babis Makridis a bien voulu concéder, c’est qu’il s’agit d’un film sur l’identité et que L est un road movie immobile. En effet, c’est un film d’apprentissage dont le héros n’apprend rien. Pour soutenir ce programme, qui en soi n’est rien de plus qu’un exercice oulipien, il n’y a que le héros interprété par Aris Servetalis et sa voiture. Cela donne lieu à quelques scènes drôles, si tant est que le burlesque mou kaurismäkien le soit : le personnage fête son anniversaire au volant, rend visite à ses enfants sur un parking, et gagne sa vie en livrant du miel. Film qui se regarde être bizarre, L peut aussi évoquer Wrong par la ressemblance fortuite des deux comédiens principaux et par cette enfilade de scènes absurdes et parfois anxiogènes. Mais là où Dupieux accroche son personnage à un fil émotif, Makridis gomme tout ce qui pourrait faire sortir l’apathie de son rail. L est tout en plans fixes et surcadrés, très symétriques, au point que ce qui est censé être une œuvre ouverte devient vite un film prisonnier de son propre quadrillage.

Antiviral (Lune d’Argent) de Brandon Cronenberg

Ici aussi, tout l’enjeu est de déplacer les lignes du décor, ou du moins de les animer de l’intérieur, par tremblement, par contagion, par infection. Le premier film de Brandon Cronenberg, fils de David, enferme lui aussi son personnage principal dans ses cadres, qui sont autant de salles d’une galerie d’art dédiées à la performance du héros maladif. Antiviral a le courage de mettre les pieds dans la science fiction par le biais d’un thème devenu vieillot : le rapport à la célébrité dans la société du spectacle. Dans un monde aseptisé, d’un blanc chirurgical, et dont la chair n’est faite que d’écrans, les stars vendent leurs maladies à des fans par le biais de sociétés privées. Dans l’une d’elles travaille Syd March (Caleb Landry Jones), qui magouille hors des locaux de son entreprise et fait circuler les chers virus sur le marché noir. Ce faisant, il contracte volontairement la maladie mortelle d’une superstar sexy, et devient la proie de contrebandiers sans scrupules.
A l’idée de réintroduire, dans un monde qui s’en abstrait, l’organique par la maladie, s’ajoute celle de substituer l’assimilation de l’autre à la sexualité. En plus d’être pénétrées par extraction de leurs maladies, les célébrités sont mangées sous forme de steaks gélatineux, fabriqués par démultiplication de quelques unes de leurs cellules. C’est donc de l’intérieur que pourrit peu à peu Syd March ; ce qui permet malheureusement à Caleb Landry Jones de développer un surjeu en torsions et gonflements des carotides, frôlant régulièrement le grotesque. Malgré cela, Cronenberg tient son cap, et dynamise petit à petit la mise en scène, osant plus à mesure que la maladie progresse : les cadres se décrochent, la caméra s’anime et le montage s’accélère. Et bien sûr, à force de pourriture, des corps blanchâtres suinte le sang, sécrétion de choix d’une société cannibale.

par Louis Séguin
jeudi 11 octobre 2012

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