Un stand-up au paradis

Dans Funny People, Judd Apatow cueillait un personnage de comédien au moment où il apprenait qu’il était touché par une maladie incurable. Dans C’est la fin, Seth Rogen et Evan Goldberg rassemblent toute la troupe Apatow dans une maison à l’heure de la fin du monde. Dans les deux films, la perspective de la fin est là pour susciter des instants de vérité. Le résultat est radicalement opposé. Apatow tirait son film vers l’analyse, quitte à désamorcer ses gags et à paralyser la narration, quand le duo Rogen-Goldberg fait exactement l’inverse, utilisant l’apocalypse comme prétexte à l’hystérie collective et donc à l’hyperactivité comique. La conséquence est que, pour le meilleur et pour le pire, les acteurs et réalisateurs de C’est la fin en font beaucoup. Séquences clipesques, confessions à la caméra, suite amateur de Pineapple Express, personnages livrés à leur imagerie : tout est poussé jusqu’à l’épuisement.

Seth Rogen accueille Jay Baruchel à Los Angeles et le traîne à une soirée de son ancien compère de Freaks and Geeks et surtout de Pineapple Express : James Franco. À la fin de ce dernier, la fiction partait en fumée, et une table de café, où les héros se retrouvaient après le combat, de devenir le lieu d’une porosité entre personnes et personnages. Ici les comédiens jouent directement leur propre rôle et il est amusant de constater la facilité avec laquelle ce méta-cinéma s’accomode du surnaturel. Comme si l’apocalypse venait de ce court-circuit qui change les acteurs en personnages et les personnages en acteurs. L’intrusion du fantastique n’est possible qu’à la faveur de ce raisonnement tordu : si c’est la fin des personnages, alors c’est la fin du cinéma, c’est-à-dire la fin du monde. Dans le même temps, le caractère délirant du scénario est là justement pour nous tirer de la tentation théorique. Les démons qui envahissent Los Angeles, les rayons de lumière qui viennent ravir les élus, c’est bizarrement tout cela qui redonne une chair fictionnelle à des acteurs qui ont été vus mille fois dans autant de films de la bande Apatow.

Si la fin du monde est, comme il se doit, le temps de la révélation et du jugement dernier, on attend du film qu’il dise quelque chose d’une époque de la comédie américaine que ces acteurs représentent. Il y a un peu de ça dans la satire du groupe : Jonah Hill est un faux-derche précieux, Jay Baruchel est celui dont on n’a plus entendu parler depuis son petit rôle dans Million Dollar Baby, James Franco a la prétention du parvenu et Seth Rogen ne s’est toujours pas remis de Green Hornet… Mais derrière les apparences, le film ne se veut pas vraiment révélateur d’un esprit de bande. « Que tu le veuilles ou non, ces connards sont tout ce qu’on a », lance même Craig Robinson dans un éclair de lucidité. C’est la fin est un anti-manifeste proclamant qu’il n’y a rien à proclamer, et que le hasard a, par défaut, mis tout ce petit monde dans la même galère.

Depuis Freaks and geeks Jason Segel s’est marié (dans 5 ans de réflexion), Seth Rogen a eu un enfant (dans En cloque mode d’emploi) et Judd Apatow a fait sa crise de la quarantaine (dans Quarante ans mode d’emploi). Et pourtant, avec ses créatures fantastiques, son humour plus régressif que jamais, C’est la fin oppose une résistance ultime au passage à l’âge adulte. Le film voudrait fixer pour toujours, dans une éternité fantaisiste, l’heureuse puérilité d’un genre qui s’est toujours refusé à choisir entre les caprices de l’adolescence et le sentimentalisme de la bromance.

par Timothée Gérardin
mercredi 9 octobre 2013

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