Roland-Garros 2014

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D’un festival l’autre – notes pour une série.

Cannes à peine terminé, l’idée peut paraître saugrenue. Nous avions pourtant clos notre couverture du festival sur un rappel : deux des films les plus intéressants de la quinzaine étaient visibles à Paris, Adieu au langage et Welcome to New York. Le tournoi de Roland-Garros est ainsi, de ce point de vue, un festival de Cannes du tennis : des stars, des larmes, des découvertes, des matchs qui restent en tête une heure, un jour ou pour l’éternité. D’ailleurs, le meilleur du tournoi peut aussi être vu loin de Paris, chez soi ou sur internet.

Le tennis a suivi l’évolution de son époque et de ses moyens de diffusions : de Youtube (les « highlights » ou résumé d’un match où l’on ne voit quasiment que les coups gagnants, ce qui change complètement la perception qu’on avait d’un match dans sa durée par exemple) au streaming, grâce auquel on peut suivre un match depuis son ordinateur ou depuis un écran plus petit encore. On peut aussi, sur Youtube, (re)voir d’anciens matchs, comme le font les personnages dans Tonnerre. A Roland-Garros, et dans d’autres tournois, des questions soulevées à Cannes par Independencia surgissent aussi : comment filme-t-on ? Comment critiquer ? Que faire des questions de genre et de sexe – on n’oublie pas les demandes déconcertantes et répétées faites aux joueuses de « moins crier » pendant les rencontres, le débat souvent relancé à propos de la nullité de la WTA, de l’incongruité supposée de l’égalité financière dans les prize money – ? Sur France Inter, face à Patrick Cohen, Godard a dit qu’il ne regardait plus le football, parce qu’il est « trop mal filmé ». Il a aussi rappelé le projet qu’il a longtemps eu de réaliser un film où il suivrait le plus loin possible à Roland-Garros un joueur issu des qualifications.

À la télévision en revanche, la mise en scène du tennis a peu changé depuis les années 90 : hormis les plans de coupe sur les joueurs à des moments clés, le plan séquence large, fixe, reste le standard de l’échange et laisse le jeu se dérouler et s’exprimer dans sa durée. L’idée est d’analyser le tennis comme un symptôme, mais aussi comme une utopie : quels sont les matches que nous rêverions de voir ? Comment pourrait-on montrer différemment le tennis ?

Contrairement aux journaux sportifs, rien ne nous oblige à tenir quotidiennement en haleine le lecteur. Cette série sera parallèle au tournoi : cinq chroniques pour une compétition de quinze jours. En plus de l’ouverture et de la clôture, on pourrait y raconter un hypothétique match Federer-Nadal, par excellence la rencontre dont le scénario est écrit d’avance, mais dont on croit aussi déjà connaître les images, comme il s’agit d’écrire sur un film qu’on connaîtrait trop bien sans même qu’il soit sorti. On pourrait ensuite écrire une interview imaginaire de JLG à la sortie d’un match, comme si au lieu d’interroger les joueurs, le journaliste se tournait soudain du côté du public – en réalité, il le fait déjà, souvent pour le pire, avec toute la révérence que cela suppose, et il suffit de voir du côté de France Télévision, Nelson Monfort & co, suppliant une star du cinéma ou l’entraîneur de Nadal de lui livrer quelques secrets, en échange de quoi on ne voit plus le match. Enfin, on peut imaginer un chat entre nous deux, l’un regardant un match féminin, l’autre une rencontre masculine. Si le jeu est en lui-même passionnant, car immuable dans sa télégénie, il s’accompagne d’aspects extérieurs à intérêt variable, des commentaires aux modes de diffusion, en passant par les manières de filmer, propres à imaginer d’autres modèles, d’autres terrains de jeu. Le premier mouvement de l’utopie serait dialectique : d’une analyse et d’un entretien naîtrait, enfin, un dialogue. Des films qu’on connaît et des matchs qu’on espère, des textes.

À suivre...

par Thomas Fioretti, Aleksander Jousselin
mardi 27 mai 2014

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