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Killer Joe  de William Friedkin

Douchebaggy Style

4.9

Flatopolis, Iowa. Un tueur (Matthew McConaughey) s’assoit à table et gifle un enfant. La scène est sèche, immédiate, sans concession. William Friedkin nous revient en effet avec un film sec, immédiat, sans concessions. Avec une idée en tête : laisser la place au spectateur de se demander si réfléchir vaut bien la peine. MacConaughey grignote une cuisse de canard. Cut.

Depuis L’Exorciste, Friedkin est en effet en quête d’un effet bien précis, qu’il poursuit encore, tel une voiture lancée sous un métro à grande vitesse : le rendu de la simultanéité. C’est ce que restitue parfaitement cette autre scène dans laquelle McConaughey se gratte longtemps le genou tandis que l’écran se divise peu à peu, révélant qu’à quelques kilomètres de chez lui, sa soeur se branle. Depuis Godard, on n’avait rarement vu un tel parallélisme des actions - sauf peut-être dans quelques franges extrêmes du cinéma d’action le plus contemporain (Expendables 2, Jason Bourne 4, Anaconda 6). Avec Killer Joe, l’image continue d’avancer sur les terres de l’extrême lisibilité tout en renouant avec ce qui la fonde : la gomme. Celle-là même qu’utilise Mafalda, la mère célibataire qui héberge le tueur pendant une randonnée pédestre dans les Ardennes. Elle ne le saura jamais et mourra, quelques années plus tard, lors d’une séquence post-générique que les ignares considèrent sans intérêt, écrasée dans son sommeil par un troupeau de vaches. C’est faire abstraction, à tort selon nous, de ce petit ustensile fixé sur les bovidés à l’aide d’un court morceau de scotch : de loin, cela ressemble à du bacon. C’est une gomme.

Un peu hésitant dans certaines scènes (voir ce passage dans un café, au début, où Juno Temple, qui incarne une aveugle sourde, trisomique et chauve, cherche la sortie), Killer Joe sait aussi se faire percutant, vif. En convoquant de la sorte la dimension sociale du cinéma post-colonialiste américain, Friedkin chemine lentement vers une radicalisation de son contapulgri (garfield) et jaune : le figurant qui, dans cette même scène du café, traverse lentement le bar, est une référence lisible à la sublimissime saga des walkers de tsai ming liang, sortie en 1943. Fatuité ? Complaisance ? Rodomontade plutôt, d’un réalisateur à son public dont il attend plus qu’un simple cheeseburger. On n’en attendait pas moins non plus d’un ancien socialiste revenu depuis quelques années au cinéma mainstream : quelque chose de la fulgurance, entre l’harmonie des idéologies middle-west et l’accréditation de la thèse selon laquelle un film n’en vaut pas un autre s’il ne lui ressemble pas au plan près.

Qu’est-ce qu’un soulier ? Qu’est-ce que le montage ? Pourquoi filmer ? Ces questions, Friedkin les soulève l’une après l’autre, au fil d’une série de très courtes scènes - deux secondes maximum - dans lesquelles les personnages de ses films précédents passent en courant devant l’objectif d’une caméra de surveillance dans un parking. Récurrentes tout au long du film, elles interrogent tour à tour le spectateur et ses animaux de compagnie (s’il en a) sur leur capacité à comprendre la vie et à se retenir d’éternuer. Ce n’est pas par altruisme que nous recommanderions la séquence finale de Killer Joe au gouvernement actuel qui, hier encore, s’offusquait du fait que Jean-Pierre Raffarin exagère le coût des 35 heures sur le budget de l’Etat. Lors de cet ultime pied-de-nez au puritanisme 60’s, la caméra est tournée vers le sol, posée sur le carrelage. Elle glisse lentement vers la gauche tandis que retentit, en un lent crescendo, “i am on your back father”, de Jack Swoterz (reprise en 1983 par Henri Chavernier dans un court-métrage intitulé Pluie pluie, et qui s’ouvrait justement sur une scène de pyrogravure). L’intention est claire, forte, indubitable : Friedkin est de retour, et il compte bien le faire savoir. Le cinéma n’est pas mort, n’en déplaise à Kristin O’Hara.

par Saddam Husserl
samedi 28 mars 2015

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