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LA BATAILLE DE LA MONTAGNE DU TIGRE  de Tsui Hark

Le tigre et le faucon

5.9

Le centre de l’intrigue de La Bataille de la montagne du tigre est une carte qui passe de main en main, définit les stratégies, scelle les alliances et dissimule les trahisons. Elle représente la région où se déroulent les événements, au nord-ouest de la Chine, en 1946. C’est un bout de papier brun donnant des informations sur les forces en présence : un régiment de l’armée de libération face à plusieurs gangs, dont le plus puissant est dirigé par un certain Hawk. L’utilité pratique de la carte - ses indications géographiques - est totalement occultée par l’usage magique qui en est fait. C’est une sorte de talisman convoité par Hawk pour lui permettre, associé à deux autres cartes, d’asseoir son pouvoir dans la région. Le recours un peu cavalier au MacGuffin est à l’image de ce film de guerre prenant pour prétexte un célèbre récit de propagande. Ce qui l’intéresse est moins la représentation fidèle de la guerre que le pouvoir des images dont cette histoire est porteuse, ayant été adaptée pour l’opéra de Pékin et à l’écran dans les années 70, comme le film y fait explicitement allusion.

La Bataille de la montagne du tigre commence en 2015 à New-York. Un jeune homme d’affaire chinois retrouve des amis et voit passer à la télévision l’extrait d’un film retraçant la bataille du titre. Cette mise à distance n’est qu’un des effets provoqués par les surprenantes juxtapositions et ruptures de ton proposées par Tsui Hark : la cohabitation, par exemple, entre les attributs du film de guerre et ceux du film d’aventure, voire de science-fiction. Yang, le personnage principal, peut ainsi combattre successivement des soldats, un tigre démesurément grand et une galerie de bandits aux mines patibulaires. La texture numérique du film, saturée d’effets 3D, se prête bien à une esthétique hétéroclite. On ne sait jamais ce qui va apparaître à l’écran, simplement parce que le cadre est semblable à une scène vide sur laquelle tout est virtuellement possible. Le spectaculaire tient ici autant à l’effet de sidération qu’au pur procédé théâtral, par exemple dans les retrouvailles finales du jeune homme d’affaire de 2015 avec les combattants de 1946. Ces derniers débarquent dans le salon de la grand-mère en habits de soldats, comme s’ils sortaient des séquences précédentes pour venir saluer leur public. La 3D ludique des trois derniers films de Tsui Hark peut déconcerter, mais force est de constater que le cinéaste a trouvé là un langage neuf, tout aussi propice à la variété des nuances qu’à la profusion des excès.

Les scènes d’action sont placées sous le double signe du tigre et du faucon. D’un côté, la force sauvage du tigre que combat Yang dans la montagne et de l’autre, le faucon apprivoisé par Hawk, dont l’oeil est susbtitué à la caméra pour décomposer certaines scènes. Paradoxe de la fascination pour l’action pure, pour être au plus près du mouvement, il faut le regarder au microscope, c’est-à-dire l’arrêter. Tsui Hark étend cette apparente contradiction au film entier, qui est à la fois une célébration et une déconstruction de l’imagerie historique. Les jeux sur la profondeur servent moins ici à immerger qu’à disloquer, et les effets spéciaux soulignent les artifices plus qu’ils ne les dissimulent. Ce côté bricolé prend tout son sens dans la séquence finale, dont on ne sait plus trop si elle relève du récit historique ou de l’imagination du personnage de 2015. Comme si la possibilité de la retouche, de la modification spectaculaire, conférait à chaque image l’étonnante puissance d’une hypothèse.

par Timothée Gérardin
vendredi 19 juin 2015

Titre : LA BATAILLE DE LA MONTAGNE DU TIGRE
Auteur : Tsui Hark

Scénario : Huang Jianxin

Avec : Zhang Hanyu (Yang Zirong) ; Tony Leung Ka-Fai (Hawk) ; Lin Genxin (Shao Jianbo) ; Yu Nan (Qinglian)

Durée : 2h21

Sortie : 17 juin 2015

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