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INTERVENTION #47

Star Wars : Le Réveil de la Force  de J.J. Abrams

Keira has vanished

3.9

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Arrêtés devant un bac rempli de Blu-Ray du dernier Star Wars alors mêmes qu’ils ont fini leurs achats, deux amis, habitués aux virées dominicales dans un des supermarchés culturels dont l’exceptionnelle ouverture sera une habitude une fois les derniers décrets de la Loi Macron publiés au J.O., discutent.

CJ - On sait que le prénom de la pauvre actrice avait été écorché dans les crédits du premier épisode de la “prélogie”. Déjà, Kiera (sic), n’y incarnait que le double d’un personnage plus important, simplement destiné à leurrer les adversaires en même temps que le spectateur. Aujourd’hui, il est difficile de ne pas voir que Daisy Ridley, qui incarne Rey - la nouvelle héroïne du septième épisode - est à son tour un double dégradé et rajeuni de Keira. On pensait pourtant en avoir fini avec la guerre des clones.

AJ - C’est en effet de là qu’il faut peut-être partir. Le conservatisme de la saga a été entièrement délégué au personnage principal féminin, qui sera sans doute plus important dans les épisodes suivants que ne l’étaient Leïa dans la trilogie originale ou Padmé dans la prélogie. C’est curieux pour un film dont on a vanté le progressisme de surface : après tout, un noir et une femme en sont les héros. Mais c’est à celle-ci qu’on donne les clés de la momie.

CJ - Ne nous y trompons pas. Bien que le personnage de Finn soit plus réussi que celui de Rey, l’ombre de la trilogie passée plane également sur lui. En effet, il n’est pas le premier personnage noir de la saga. Lando Calrissian l’a précédé, introduit dans L’Empire contre-attaque. Il est intrigant de constater que les deux personnages partagent plus que leur couleur de peau. En effet, l’acte qui fait de Lando un personnage de premier plan dans l’intrigue, et qui le fera par la suite passer définitivement du côté “lumineux” de la force, est un acte de trahison (il livre Han Solo aux mains du chasseur de prime Boba Fett). De même, l’histoire de Finn commence avec sa désertion de l’armée des stormtroopers. Ce retournement d’allégeance commun aux deux personnages, quoique construit en miroir, conduit à une même punition : ces deux personnages sont condamnés à être perçus comme des lâches (en plus d’imposteurs : l’un fait croire à Han Solo qu’il est toujours l’ami qu’il a connu par le passé, l’autre usurpe l’identité d’un pilote de la résistance) jusqu’à ce qu’un acte héroïque décisif ne vienne racheter leur conduite aux yeux des autres personnages et des spectateurs. A noter que ce sont également les rares personnages de premier plan qui ne cherchent pas d’emblée à s’embarquer dans une guerre ouverte contre l’empire, car ils en connaissent toute la puissance.

AJ - Oui, en réalité, la construction du personnage de Finn repose sur une vraie bonne idée - peut-être la seule du film, d’ailleurs. Le Réveil de la force met en effet en scène, pour la première fois dans l’histoire de la saga, un héros issu des rangs des stormtroopers. L’effet cultural studies recherché par J.J. Abrams, explicitement destiné aux directeurs de conscience et à ceux qui voient en Hollywood l’avant-garde de l’anti-racisme, se retourne ici quelque peu. Ce n’est pas parce que Finn est noir qu’il est intéressant, mais parce que c’est un soldat au service de l’ordre établi, un homme sans visage, sous un casque blanc. Il y a là un geste doublement beau : celui de ne pas réduire Finn à son rôle de héros noir auquel toute une communauté pourrait s’identifier et qu’une autre devrait, délivrée de sa culpabilité historique, aduler ; mais il faut aussi prêter attention au geste qui qualifie Finn pour devenir celui que l’on va suivre. Un de ses compagnons perd la vie lors de la première bataille du film. Alors qu’il se vide de son sang, le soldat va effleurer une dernière fois le casque de celui auquel on n’a pas encore donné son nom définitif : trois traits rouges vont désormais identifier le futur Finn. Qu’ils rappellent des peintures indiennes n’est pas anodin, et pas le plus inintéressant des retournements que ce film tout en contre-pieds peu subtils orchestre. Je suis néanmoins étonné que personne ne se soit demandé qui était ce camarade de combat mort dans les bras du héros. Était-il noir, était-il jaune, était-il blanc ? Qu’en est-il des rapports raciaux dans l’armée du Premier Ordre ? Si la question n’a pas été posée, c’est - je le crois - pour une excellente raison : dans cette galaxie très lointaine, les professeurs de cultural studies sont une denrée rare. Or, les problèmes que pose la présence de Finn parmi les protagonistes relèvent de ce monde-là, pas du nôtre.

CJ - Mais c’est aussi précisément parce que Finn pose beaucoup moins de problèmes aux protagonistes qu’il ne le devrait que le film perd presque tout intérêt une fois l’introduction passée. Si l’entrée en scène du personnage paraît si réussie au regard du reste du film, c’est peut-être parce que Finn n’y est pas encore assimilable à une figure connue de l’univers Star Wars. En effet, rien dans la séquence d’ouverture du film ne laisse présager de ce que va devenir Finn par la suite. Contrairement à beaucoup d’autres protagonistes de la saga, il ne semble ni être un élu de la Force, ni être investi de pouvoir politique, ni descendre d’une lignée de personnages connus, ni même être un aventurier dans l’âme. A l’ouverture du film, Finn est un personnage neutre, plutôt défini, comme tu le dis, par le blanc de son armure que le noir de sa peau. Cette absence de filiation quelconque permet au film de créer autour de lui une séquence originale, qui ne connaît à ce jour aucun équivalent dans le reste de la saga. La cruauté des Sith ainsi que les affrontements entre l’empire et la résistance ont déjà été montrés maintes et maintes fois, mais jamais aussi crûment et avec une échelle à ce point proche des individus. Lors de cette séquence, le film s’autorise un traitement très premier degré, au sens où les images produites ne sont pas teintées du souvenir des films précédents avant même de parvenir aux yeux des spectateurs. Expurgée des effets de palimpsestes qui empêtrent tout le reste du film dans un jeu d’auto-citation lassant, la séquence se laisse regarder pour elle-même, et ménage un espace de liberté pour le spectateur, qui pourrait associer ces images à autre chose qu’à des productions estampillées Star Wars.
Malheureusement, Finn se révèle trop vite être un fils spirituel de Han Solo (puisque son héritier de sang occupe la place de l’antagoniste). Un référent lui est alors assigné, et le film ne peut plus trouver d’échappatoire au lourd héritage d’images que constitue la saga. Pire, le film n’essaie même plus, et une fois l’équilibre recherché atteint, il se complaît dans sa nature de réplique de l’épisode de 1977, Un nouvel espoir.

AJ - Cette ouverture ne ressemble pas non plus à un autre film de J.J. Abrams, ce n’est pas une resucée de Super 8 par exemple. Elle commence par une courte scène de dialogue entre Poe Dameron et un autre partisan de la résistance. En dehors d’une phrase aisément interprétable comme une pique à la prélogie de Lucas (“This will begin to make things right”) et des plans cachés dans BB8 (idée directement reprise d’Un nouvel espoir, les propos échangés restent énigmatiques. C’est peut-être ce reste de mystère qu’une imagination encore enfantine pourrait investir, et serait à même d’apprécier à leur juste valeur les atrocités commises par le Premier Ordre sous le commandement de Kylo Ren : elle ne leur accorderait nulle valeur métaphorique, ne songerait pas à l’Organisation de l’Etat Islamique en voyant fuir Poe et BB8 vers un vaisseau. Non, en réalité, une mémoire d’enfant pourrait songer à la manière dont cette scène rappelle les premiers tomes de Blake et Mortimer, leur découpage précis et pourtant surprenant, qui multiplie les passages de fuites de personnages. Je pense notamment au Secret de l’Espadon, qu’une autre scène me rappelle : la destruction de la planète où siège le Sénat de l’ancienne Nouvelle République, copie parfaite de l’anéantissement par le tyran Basam Damdu des capitales du monde entier au début du récit.
Tout ça pour dire que je ne joue pas une imitation contre une autre, mais que le salut pourrait résider dans un changement de généalogie. D’ailleurs, l’épisode 8 ne sera-t-il pas celui qui lèvera le voile sur les origines de Rey, que nous avons un peu oubliée ?

CJ - Peut-être bien… Mais on voit mal ces révélations enrayer la machine infernale qu’a démarrée son élection par la Force. Rey sera Jedi, probablement avant toute autre chose. Et puis, avant l’épisode 8, viendra le premier stand-alone de la saga, Rogue One. L’écriture de ce volet clarifiera encore davantage les intentions de Disney quant à la direction que va prendre cette nouvelle étape de la série, ainsi que ses rapports aux films passés et à “l’univers étendu” qu’elle est censée nier. Ce nouveau projet, qui ne connaîtra a priori aucune suite, pourra aussi bien être une occasion de s’émanciper du reste de la saga qu’un exercice destiné aux fans, étant donné que son rôle est de relier les différentes trilogies entre elles. La façon dont le film va traiter la tension, inhérente au projet, entre la présentation de “nouveaux” personnages - éventuellement dépourvus de liens avec les précédents - et l’objectif narratif du film - qui porte déjà en germe le risque de verser dans le clin d’oeil nostalgique et la connivence avec les fans - sera révélatrice de l’attitude générale de Disney envers sa franchise. La sensation que m’a laissé ce premier film à cet égard est celui d’un projet qui voudrait créer un sentiment de richesse et de profondeur liés à la cohérence de son univers, mais qui refuse de s’appuyer pour cela sur les 40 ans de variations sur cet univers. En résulte un film qui ne peut puiser que dans six autres pour se constituer une identité propre.
Six films, dont trois semblent presque reniés. En effet, c’est plutôt aux épisodes de la prélogie que fait penser la destruction des planètes sénatoriales. Après tout, la trame de Kylo Ren ne fait que nous répéter qu’il faut tuer le père pour mieux honorer le grand-père, celui avec qui tout a commencé…

par Aleksander Jousselin, Cyril Jousmet
lundi 16 mai 2016

Star Wars : Le Réveil de la Force J.J. Abrams

Avec : Daisy Ridley (Rey) ; John Boyega (Finn) ; Harrison Ford (Han Solo) ; Adam Driver (Kylo Ren) ; Oscar Isaac (Poe Dameron) ; Carrie Fisher (Leia Organa) ; Mark Hamill (Luke Skywalker)

Scénario : J.J. Abrams, Lawrence Kasdan et Michael Arndt

Durée : 2h15

Sortie : 16 décembre 2015

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