Une nuit à l’ACID
Deux adolescents, un garçon et une fille, vivent leur premier rendez-vous dans un parc. Timides, hésitants, ils parlent un peu de tout, d’eux-mêmes et de psychanalyse… La première partie du film suit leurs déambulations dans ce parc qui accueille leurs incertitudes alors qu’ils se rapprochent peu à peu. Un arbre qu’on contourne, une branche à laquelle on se suspend, sont autant de détours des gestes qu’appelle l’autre mais que l’on retient pour différentes raisons. Le parc recèle autant d’inconnues que l’aventure amoureuse elle-même. Ses zones d’ombres se dessinent plus clairement au fur et à mesure que la nuit tombe, et qu’avec elle survient la solitude de la jeune fille et la révélation de la tromperie du jeune homme. Un très long plan voit s’assombrir la colline sur laquelle se tient la jeune fille, son visage recouvert des ténèbres ambiantes tandis que la seule lumière restante provient de l’écran du téléphone et des messages, affichés à même l’écran, qui éclairent la nuit.
Comment, alors, faire le deuil d’une journée alors que celle-ci étend encore sur nous sa pesanteur affective, les gestes qu’on a osé effectuer et qui soudain semblent une succession de mensonges. Le personnage comme le film reviennent physiquement sur la première partie. La jeune fille décide de revenir en arrière, avant les gestes de l’amour, avant les mots et la rencontre même. C’est en somnambule qu’elle parcourt à nouveau tout le chemin suivi dans la première partie, yeux grands ouverts mais indifférente cette fois aux aspérités du parc qui l’entourent, aux arbres dans les racines desquels ses pieds se prennent parfois. L’espace n’est alors plus un terrain de jeu à explorer mais un sentier balisé et parfois traître, en même temps qu’il conduit, à la faveur de la nuit, vers une atmosphère fantastique.
Un troisième personnage vient bousculer ce cheminement silencieux à rebours de l’espace et des sentiments : un des gardiens du parc, qui suit la jeune fille et tente de la convaincre de s’arrêter, en vain dans un premier temps. Celui-ci perturbe d’autant plus le retour en arrière de la jeune fille qu’il emmène le film dans une autre direction. Il s’essaie à diverses bouffonneries pour la faire rire ; aux déambulations incertaines de la première partie, aux gestes fragiles qui recelaient autant la possibilité de l’amour que son mensonge, succèdent les mouvements précis du kung-fu, et une chorégraphie d’autant plus sûre qu’elle tient d’abord de l’exercice personnel. Alors qu’il promettait de libérer le récit, le gardien se fait de plus en plus pesant, personnifiant peu à peu la nuit prometteuse qui peut progressivement noyer ceux qui l’habitent. Il est dommage que la nature fantastique de la seconde partie soit soulignée par une scène de réveil qui rabat les séquences nocturnes sur l’imaginaire et le rêve. La beauté du film est de suggérer que la possibilité d’un amour réside d’abord dans des mouvements balbutiants, dans l’acceptation de la possibilité de trébucher. Damien Manivel s’affranchit avec Le Parc des références qui portaient son premier long-métrage, et s’avance en chancelant ici et là, avec bonheur.